Un viol à l’école communale. Le naufrage de la raison

Christian DELSTANCHES
Marc GUIOT
Alain MARCHAL
Georges VERZIN
Claude WACHTELAER

 

UGS : 2019026 Catégorie : Étiquette :

Description

Le 25 avril 2019, une école communale de Schaerbeek s’est retrouvée emportée par une vague d’émotion qui a occupé l’actualité pendant plusieurs jours et qui a pesé lourdement sur son quotidien.

Nous essayons ici de proposer une analyse des événements qui ont mis en émoi la communauté éducative schaerbeekoise. Au départ d’une suspicion de viol reposant sur un socle de faits très peu assuré, on est passé, en quelques jours, à un début d’émeute nécessitant la fermeture d’une école fondamentale et le recours aux forces de l’ordre. Ce qui s’est passé à Schaerbeek, et qui se reproduira probablement ailleurs dans le futur, pose de nombreuses questions et doit susciter de nombreuses inquiétudes. Il est donc plus que jamais nécessaire d’analyser les faits avec sérénité.

Rappel des faits

L’affaire commence le jeudi 25 avril après la fin des cours. La maman d’une petite fille de quatre ans, inscrite à l’école fondamentale n° 1, rue Josaphat à Schaerbeek, récupère son enfant, sommeillante selon certains témoignages. Après être rentrée à la maison, la maman constate la présence de sang dans la culotte de sa fille.

Avant de se rendre chez un médecin ou de se présenter aux urgences de l’hôpital, les parents recontactent l’école en mettant, d’emblée, en avant la possibilité d’un viol.

La direction, puis les autorités communales réagissent immédiatement en alertant les services médicaux liés au département de l’enseignement communal (Service de promotion de la Santé à l’école), orientent les parents vers l’hôpital le plus proche et alertent la police. Dans la foulée, les parents déposent plainte pour viol.

L’hôpital Paul Brien réoriente, le jour même, l’enfant vers l’hôpital Saint-Pierre qui dispose d’un service spécialisé dans la prise en charge des cas d’abus sexuels. L’enquête démarre immédiatement, mais, à ce stade, aucun indice probant ne confirme la réalité du viol.

Malgré le démarrage de l’enquête, la prudence des médecins et les appels au calme des autorités communales, les réseaux sociaux et le bouche-à-oreille du quartier commencent à propager l’idée d’une agression pédophile.

Cette rumeur va aller en s’amplifiant pendant le week-end et connaître deux moments forts. Le premier se situe le lundi 29 avril. Une manifestation est organisée devant l’école. Elle réunit une foule très mélangée composée d’habitants du quartier, peut-être de parents de parents de l’école, mais aussi de gens venus « soutenir » les parents pour donner suite à la mobilisation des réseaux sociaux. Sont aussi présents plusieurs conseillers communaux de l’opposition. Certains d’entre eux sont, de leur propre aveu, en contact avec les parents depuis le jeudi. Le deuxième moment fort aura lieu le lendemain et dégénérera en mini émeute pendant laquelle des fenêtres de l’école seront caillassées malgré la présence de la police. Plusieurs personnes parmi les plus excitées feront l’objet d’une arrestation administrative.

Contexte physique

Pour bien comprendre les événements, il n’est pas inutile de dire quelques mots sur l’organisation de l’école et la disposition des lieux. L’école 1 accueille des enfants de maternelle et de primaire. Le bâtiment est un chef-d’œuvre architectural d’Henri Jacobs qui figure dans de nombreux ouvrages sur l’art nouveau et qui accueille tous les ans de nombreux visiteurs lors des journées du patrimoine. Il se déploie autour d’un majestueux préau entouré à l’étage d’une galerie permettant les circulations. Il y a deux cours de récréation, deux blocs de toilettes et les enfants de maternelle et de primaire ont peu de contacts, leurs classes se trouvant dans des parties différentes du bâtiment. L’école est construite en intérieur d’îlot et ne dispose que d’une seule porte d’accès, fermée la plupart du temps. Une caméra permet au secrétariat de l’école de contrôler les entrées et les sorties.

Quand la petite fille est arrivée le matin, elle a été immédiatement prise en charge, soit par une éducatrice, soit par son enseignant(e). Plus que probablement, elle n’est pas restée seule pendant la matinée, même pour se rendre aux toilettes (à cet âge les enfants ont encore parfois du mal à se rhabiller et l’enseignant(e) est là pour les aider). Les informations dont nous disposons ne permettent pas de savoir si l’enfant est restée à l’école pendant le temps de midi ou pas. Si c’est le cas, elle était – en principe – sous surveillance. Elle est en tout cas retournée en classe l’après-midi sans que sa titulaire ne remarque quoi que ce soit, à part que la petite n’avait pas l’air en forme. Rien dans les informations données par la presse ne permet de dire que la maman récupère à 15 heures 10 une petite en pleurs ou qui se plaint d’avoir mal quelque part. Rien dans sa tenue vestimentaire n’attire particulièrement l’attention des adultes.

Analyse des hypothèses

À l’annonce de la plainte des parents, qu’en l’occurrence tout le monde prend au sérieux au niveau de l’école ou des services communaux, plusieurs hypothèses peuvent être envisagées.

Le viol

Par là, nous entendons une agression commise par un adulte sur la petite fille. Cet acte aurait, plus que probablement, été commis par un homme. Ce qui pose d’emblée plusieurs problèmes. La commission de cet acte suppose un certain nombre de conditions. La petite, qui a incontestablement saigné dans la région génitale, a donc dû être déshabillée, puis rhabillée, sans que cela attire l’attention de personne. Si la petite a été agressée sexuellement, elle n’aurait donc ni pleuré ni crié, ce qui n’est pas impossible, mais semble peu probable. Enfin la commission de ce type d’agression n’a – raisonnablement – pas pu se produire sans que l’auteur ne s’isole avec l’enfant, ce qui implique qu’il ait soustrait la petite à la vigilance des adultes (enseignants ou éducateurs, mais aussi le personnel de nettoyage qui circule dans les couloirs).

Il faut aussi tenir compte du fait que le personnel de l’école est essentiellement féminin, ce qui limite fortement le nombre de suspects potentiels.

Des jeux d’enfants dangereux

Une seconde hypothèse envisageable est celle d’un jeu entre enfants, éventuellement entre la petite et un enfant plus âgé, qui aurait mal tourné et occasionné des blessures. C’est une hypothèse qui est plausible, mais qui pose pratiquement les mêmes problèmes que la précédente : où et quand l’acte a-t-il été commis et comment est-il passé inaperçu de l’équipe ?

Problème médical

L’hypothèse d’une cause naturelle (infection, saignement lié à une manifestation hormonale) n’a jamais été considérée comme la plus plausible ni par les parents, ni par les manifestants, ni par les conseillers communaux qui sont intervenus dans le dossier, sans que des éléments objectifs ne permettent de comprendre pourquoi. Nous y reviendrons.

Un récit en développement

Très vite, un certain nombre d’interventions ont contribué à la diffusion d’un récit très « connoté », mélangeant fantasmes de pédophilie et accusations complotistes. Il se sont répandus comme une traînée de poudre, débordant complètement les acteurs institutionnels (autorités communales, institutions médicales et parquet). Tous ces acteurs ont été accusés, avec virulence, lors de la manifestation du 29, d’avoir traîné pour réagir et de pas encore avoir identifié le coupable.

Le mardi 30, les autorités communiquent, devant la porte de l’école, les conclusions du parquet qui sont limpides : il n’y a aucun indice de fait de mœurs. C’est l’échevin de l’enseignement qui se charge, devant la porte de l’école, de la communication de ces informations au public présent. À peine terminée la lecture du communiqué du Parquet, il est conspué, ciblé par des projectiles et évacué par les quelques policiers présents, dont aucun, à ce moment précis, n’est en tenue de maintien de l’ordre. Ces policiers sont, eux aussi, bombardés de projectiles divers, mais peu dangereux, malgré le fait que diverses personnes, de toute origine, essayent de s’interposer et de calmer les plus excités. C’est à cette occasion que des vitres de la façade de l’école seront cassées et des personnes interpellées.

Fantasmes pédophiles

Pour les manifestants et sur réseaux sociaux, la certitude d’un acte pédophile s’est exprimée quasi immédiatement sans recul ni nuance. Le papa de l’enfant est probablement à la base de la propagation du soupçon, mais il semble avoir trouvé, très vite et très facilement, des relais et des soutiens. De nombreuses manifestantes ont réclamé, à corps et à cris, que l’on protège leurs enfants ; elles n’ont pas hésité à dire qu’elles « ne faisaient plus confiance à l’école », que « les enfants sont en danger », qu’elles « avaient déjà attiré l’attention sur les problèmes de sécurité », etc.

Beaucoup de bruit pour rien

Finalement, on saura que toute cette excitation a pour cause une infection urinaire. Il n’y a jamais eu de « méchant monsieur » qui viole les petites filles dans l’école et, pour l’enfant au moins, tout est bien qui finit bien. Cependant, cet incident est beaucoup moins anodin qu’il n’y paraît et laissera des traces profondes. Ses causes méritent une rapide analyse.

Une école dans son quartier

L’École 1 est implantée dans un quartier très représentatif de la géographie urbaine et de la sociologie bruxelloise. La rue Josaphat accueille, très majoritairement, des habitants belges d’origine étrangère et des populations d’immigration récente (c’est le cas des parents de l’enfant impliquée dans le dossier qui sont Guinéens) et relativement pauvre. Mais, à une centaine de mètres à peine, l’avenue Louis Bertrand et, un peu plus loin, l’avenue Paul Deschanel et le quartier du parc Josaphat regroupent, eux, une population issue des classes moyennes aux revenus plus confortables. Il faut bien constater que ces deux publics, quand ils ont des enfants, ne se mélangent pas et que les habitants des avenues Bertrand ou Deschanel font plutôt le choix d’écoles plus éloignées.

Pendant la période où la commune a été gérée par Roger Nols (1970-1990) ce quartier a été laissé à l’abandon et l’école était, en quelque sorte, le seul îlot de service public dans une zone en déshérence. Les changements politiques initiés à partir de 1995 ont radicalement modifié les choses et l’école a été un acteur important dans la revitalisation du quartier. De nombreux projets ont veillé à ouvrir l’école sur le quartier, à augmenter la participation des parents, etc. Cette volonté d’inscrire l’école dans son quartier a pu se faire grâce à la mobilisation des ressources dont dispose la commune et à de nombreux partenariats entre le département de l’enseignement et d’autres départements de l’administration communale. Les événements d’avril 2019 amènent, malheureusement, au constat amer de la relative fragilité, voire de la vanité, de ces efforts.

Un réalisateur de la RTBF, Roger Beeckmans, a découvert l’école en 2000 parce que sa fille y avait inscrit sa petite fille. Pendant l’année scolaire 2001-2002, il a filmé la vie de l’école pour réaliser un film de cinquante-quatre minutes portant le joli titre Une Leçon de tolérance. Le film a reçu de nombreuses récompenses nationales et internationales et répond bien à l’objectif de son auteur : casser le mythe de l’« école poubelle ».

Seize ans plus tard, si les équipes ne sont plus les mêmes, la volonté de bien faire, d’assumer la mission d’instruction publique n’a pas changé. Alors pourquoi cette violence, cette agressivité ? Quelques constats semblent s’imposer, sans qu’il soit question de stigmatisation, mais aussi sans qu’on se retranche derrière un angélisme naïf.

Discrédit de l’autorité

Un des premiers enseignements à tirer de ces événements touche au discrédit de l’autorité. Dans le cas présent, ce discrédit a touché tout le système. L’équipe éducative (direction, enseignants et éducatrices), le pouvoir organisateur (bourgmestre et échevins), l’administration communale, mais aussi la justice et la police ont été touchés. Les appels à la prudence et à la patience ont été ignorés ; les soupçons, les accusations de mensonge ou d’incompétence se sont répandus comme une traînée de poudre. Le rôle déstabilisateur des réseaux sociaux dans l’hystérisation a été évident. On ne peut que partager l’analyse de Frans Olivier Gisbert quand il stigmatise leur capacité à « fabriquer de la haine ».

Manipulation politique et communautarisme

Dans le cas présent, les réseaux sociaux ont aussi facilité la récupération politique de l’incident. Récupération aux motivations diverses.

La première – et incontestablement la plus expressive – a été menée par Yusuf Yildiz, conseiller communal CDH. Ce conseiller communal, Belge d’origine turque, ne communique qu’en turc sur Facebook, ce qui rend la compréhension de ses prises de position difficile. Mais il n’est pas inutile de rappeler qu’il a été élu sur la liste du bourgmestre en octobre 2018 et qu’il avait donc une double motivation à se mettre en avant, se faire valoir dans la communauté turque, bien implantée dans le quartier et prendre une revanche sur le bourgmestre auquel il a tourné le dos après avoir obtenu son siège.

M. Yildiz a, très vite, pris le train en marche en offrant son soutien aux parents. On peut s’étonner de cet empressement. Son intervention a lieu quelques heures après le constat du problème, alors que l’école et le pouvoir organisateur sont prévenus, que l’infirmière scolaire est intervenue et que la petite fille a été dirigée vers l’hôpital. On peut certes admettre qu’un élu s’efforce, s’il échet, de corriger l’inertie des autorités. Ici, on aurait plutôt tendance à parler de court-circuitage.

D’autres interventions avaient une motivation sans doute plus idéologique. Elles émanaient de deux conseillers communaux du PTB : Leila Lahssaini et Axel Bernard.

Leurs interventions sur Facebook illustrent assez bien le climat du moment.

Axel Bernard

29 avril, 14:51

« Les parents de l’École 1 de Schaerbeek sont choqués suite à la suspicion de viol d’une petite fille de quatre ans dans l’école vendredi dernier. Ils ont manifesté leur colère aujourd’hui et ils ont raison. Comment cela se fait-il que l’école n’était pas fermée aujourd’hui ? Alors que l’enquête est toujours en cours et qu’on ne connaît pas encore la vérité. Le bourgmestre leur demande de patienter encore cinq jours et de faire comme si de rien était. Ce n’est pas normal. Les parents sont à nouveau écartés. Ils ont droit à toute l’information nécessaire pour le bien de leurs enfants. Et par- dessus tout, la famille doit recevoir tout le soutien qu’elle mérite comme victime. Tout le soutien. Psychologique, moral, financier. »

En quelques lignes, cette publication contient une série d’erreurs factuelles évidentes. Le problème commence le jeudi 25 et non le vendredi 26. La prise en charge a été immédiate, on voit donc mal ce qui justifie la colère. Enfin, les gens qui ont manifesté le lundi 29 ne sont pas tous des parents de l’école, mais bien surtout des gens du quartier et même des personnes venues d’ailleurs. Beaucoup de légèreté donc dans la présentation des faits. Par ailleurs, on peut s’interroger sur la pertinence de faire de la publicité autour d’un incident qui n’est pas avéré. M. Bernard se pose en défenseur du bien-être des enfants de l’école, mais les inquiéter à partir d’une rumeur est-ce vraiment la meilleure stratégie ?

Dix-huit minutes après, madame Lahssaini relaie, sans plus de recul, la même information, et donc, les mêmes approximations.

Leïla Lahssaini

29 avril, 15:09 ·

« Les parents de l’École 1 de Schaerbeek sont choqués suite à la suspicion de viol d’une petite fille de quatre ans dans l’école vendredi dernier. Ils ont manifesté leur colère aujourd’hui et ils ont raison. Le manque d’information et d’implication des parents d’élèves et la demande de ‘faire comme si de rien n’était’ écarte à nouveau les parents au lieu de les impliquer quant aux mesures à prendre dans l’immédiat le temps de l’enquête. »

Ces publications suscitent peu de réactions, mais la suivante est révélatrice de l’état d’esprit qui présidera lors des deux manifestations.

Malika Roelants

29 avril, 15:20

« Ces parents on besoin de soutien et d’information claires. Tous les parents doivent s’unir collectivement pour montrer leur solidarité. Même s’organiser dans tout Schaerbeek. Pas d’impunité aux violeurs. Appui psychologique à tous les enfants de l’école. On peut pas fermer les yeux. »

Pour madame Roelants, l’affaire est entendue. Le viol est avéré, ce qui implique la solidarité envers les parents, mais aussi le soutien psychologique « à tous les enfants de l’école » (donc aussi à ceux qui ne sont en rien concernés). Encore une fois, on constatera une absence totale de recul qui s’explique aussi par la rapidité des réactions successives.

Conclusions

Le mardi 30, une conférence de presse est organisée. À cette occasion

Denis Goeman, substitut du procureur du Roi, indique :

« À ce stade de l’enquête, le parquet de Bruxelles peut confirmer que dans ce dossier, aucun fait de mœurs n’a été commis sur l’enfant ni aucune forme de violence. La blessure de l’enfant a été occasionnée par une infection provoquant également des saignements. Il n’y a dès lors pas d’infraction pénale constatée dans le cadre de cette affaire. »

Dans le courant de la matinée, l’échevin de l’enseignement communique les conclusions de l’enquête à la foule massée devant l’école. Devant l’hostilité, les cris et les jets de projectiles, il est immédiatement évacué. La foule, très hostile, invective les autorités et commence à jeter des projectiles. Des fenêtres de l’école sont cassées. La police est contrainte d’intervenir et procédera à des arrestations administratives.

Si aujourd’hui le calme est revenu dans le quartier, on ne peut garantir que la sérénité le soit. Rien ne permet de penser que demain ou dans un an des faits semblables se reproduisent en dépit de la volonté bien affirmée de poursuivre les efforts entrepris dans le passé.

Peu après les événements, d’anciens collègues et moi-même avons publié une carte blanche pour nous exprimer sur cet incroyable gâchis. Elle ne propose aucune solution concrète parce que nous ne sommes plus des acteurs directs. Puissent ceux-ci trouver les ressources pour que la raison se réveille et que les monstres disparaissent.

Viol à l’École 1.

Le sommeil de la raison engendre des monstres

Dans son domaine, chacun des signataires connaît bien l’École communale n°1 de Schaerbeek, et plus largement, le groupe scolaire « La Ruche – Josaphat » qui abrite aussi l’Institut technique Frans Fischer, depuis plus de quarante ans. Tous les cinq, nous avons œuvré, avec de nombreux autres, à faire de ce groupe scolaire un modèle. Et nous étions, et sommes toujours fiers que le réalisateur Roger Beeckmans y ait passé une année entière pour tourner son film Une Leçon de tolérance. Aujourd’hui, après les événements qui ont commencé le 25 avril et que les médias ont largement relayés, nous sommes partagés entre des sentiments divers qui vont de la colère à la tristesse en passant par le découragement.

Le 25 avril, des parents récupèrent leur petite fille à la sortie de l’école. De retour à la maison, la maman constate que la petite a des traces de sang dans sa culotte. Elle soupçonne quelque chose d’anormal et retourne à l’école. Immédiatement, l’école réagit d’une manière que nous n’hésitons pas à qualifier de parfaitement professionnelle : recours à l’infirmière scolaire, information à l’échevinat, réorientation vers l’hôpital le plus proche.

Les écoles sont régulièrement confrontées à des situations délicates. Elles sont conscientes de la fragilité des enfants confiés à leur garde, elles font de leur mieux pour assurer les meilleurs contacts possible avec les familles, surtout quand elles sont implantées dans des quartiers où les populations fragilisées sont présentes en majorité.

Face à ces difficultés, les écoles communales de Schaerbeek peuvent compter sur des appuis au niveau de l’administration communale, mais aussi des PMS et des services de promotion de la santé à l’école.

Et pourtant, dès le jeudi soir, soit quelques heures après les faits, tout dérape. La rumeur se propage à une vitesse fulgurante. Il y a suspicion de viol, voire viol tout simplement.

Malgré la prise en charge de l’enfant par le service spécialisé de l’hôpital Saint-Pierre, malgré la plainte déposée par les parents avec les encouragements des autorités communales, la rumeur continue d’enfler. Un pédophile agirait dans l’école, menaçant la totalité des enfants et il faut donc fermer celle-ci. L’ensemble des détenteurs de l’autorité (direction, bourgmestre, échevin, médecins, police, justice) formerait une alliance pour cacher la vérité (qui est, forcément, que la petite a été violée par « un méchant monsieur »).

Dès ce moment, l’irrationnel prend le dessus. Il s’enflammera lors de la manifestation du lundi 29 et culminera lors de la mini-émeute du mardi. Ce jour-là, une foule excitée criera « école pédophile » et des dames, d’âge mûr et d’apparence respectable, jetteront des projectiles sur des policiers qui protègent l’école.

Ce groupe scolaire, nous y avons travaillé, nous y avons mené des projets avec de nombreux partenaires. Nous y avons toujours défendu des principes humanistes. Lors de l’inauguration de ce bijou « Art nouveau » en 1907, un échevin avait déclaré : « Les écoles sont les palais du peuple, on ne peut les faire ni assez grandes, ni assez belles ». C’était notre conviction quand nous étions en fonction, ce l’est encore aujourd’hui, malgré les dégâts causés par cette triste affaire.

La bêtise au front de taureau a tout ravagé. On a pensé qu’un pédophile rôdait dans les couloirs d’une école dont le personnel est essentiellement féminin. On a avancé l’idée que la petite aurait été abusée après « avoir été déshabillée par un méchant monsieur », sans s’étonner que personne dans le personnel ne remarque rien. On a dit que l’école et les autorités communales, qui ont réagi quasiment dans l’heure, voulaient cacher la vérité. On a crié que si « c’était une enfant blanche, ça se passerait autrement », qu’« en Turquie, on n’aurait mis qu’un jour pour trouver les coupables », on a hurlé « où sont les conseillers communaux musulmans, où sont les conseillers communaux turcs (?) » devant une école pour laquelle, depuis trente ans le « vivre ensemble » a toujours été au cœur de projets pédagogiques.

Quelle tristesse pour nous face à ces dizaines de personnes déchainées. Mais quelle colère aussi face aux chacals qui ont profité de ce triste fait divers pour l’exploiter politiquement. Nous accusons ces quelques conseillers communaux qui ont encouragé les réactions émotionnelles, qui ont contribué à propager des rumeurs ou des fantasmes ou qui n’ont rien fait pour les démentir ni pour calmer les esprits. Ces racistes aussi, qui ont profité des tribunes offertes par les forums des médias pour déverser leur fiel. Ces bonnes âmes, enfin, qui trouvent qu’il y a aussi des désordres lors de matchs de foot (sans voir que gueuler dans un stade, ce n’est pas tout à fait la même chose que casser les vitres d’une école) ou qui excusent des débordements inadmissibles parce que les manifestants feraient partie de ces nouveaux prolétaires que sont les habitants issus de l’immigration (en oubliant que certains de ces habitants issus de l’immigration sont belges et parfois échevins ou conseillers communaux).

Quelle tristesse aussi de constater que ce vendredi, si les parents admettent enfin que leurs soupçons étaient totalement infondés et s’ils appellent au calme, ils n’ont, pas plus que leur avocat, eu le moindre mot d’excuse pour l’équipe éducative de l’École 1, ni pour celle de l’Institut Frans Fischer qui cohabite dans le groupe scolaire. Ces deux équipes doivent reprendre leur travail lundi et reprendre leur mission, qui est celle de l’école, accueillir sans distinction d’origine, de religion, de sexe, les élèves qui leur sont confiés et en faire des citoyens responsables. Ce travail ne peut se faire que dans la sérénité et nous avons honte pour tous ceux qui ont, pour des motifs inavouables, perturbé une des tâches les plus nobles qui soient : éduquer la jeunesse. Nous adressons notre soutien inconditionnel à toute l’équipe éducative du Groupe scolaire « École 1 – La Ruche ».

Informations complémentaires

Thématiques

Cohésion sociale, Communautarisme, Désinformation, Diversité culturelle, École / Enseignement, Interculturalité, Manipulation de l'information, Multiculturalisme, Pédophilie, Violence de genre

Auteurs / Invités

Alain Marchal, Christian Delstanches, Claude Wachtelaer, Georges Verzin, Marc Guiot

Année

2019