Un, et deux, puis trois… D’abord simple, puis plus complexe, enfin difficile…

Guy JUCQUOIS

 

UGS : 2020018 Catégorie : Étiquette :

Description

1. Mise en bouche unicellulaire

Les êtres unicellulaires, du moins tels qu’on les connaît ou qu’on les imagine, semblent ne pas avoir de problème ni personnel ni relationnel. Ils se reproduisent « automatiquement », dès que les conditions de la scissiparité leur sont accordées par dame Nature. Les liens entre leur cellule d’origine et eux ne sont que biologiques et aucune cellule ne garde de souvenirs de leur ascendance ou de leur descendance.

Cette situation dura très longtemps, du moins à notre échelle temporelle humaine, car ensuite apparurent une foule d’êtres pluricellulaires qui se diversifièrent et cela aboutit à nous aujourd’hui, les êtres humains. C’est d’ailleurs de nous qu’on traitera dans cet article ou simplement d’une de nos caractéristiques, intéressantes certes, mais apparemment difficiles à accepter dans notre vie quotidienne.

Il s’agira, en effet, de nous interroger sur les premiers chiffres, ceux qui semblent apparaître dans toutes les langues et dans tous les systèmes de numération. Plus exactement sur le sens, individuel et collectif, des chiffres « un », « deux » et enfin « trois ». Nous n’irons pas au-delà, car la symbolique des trois premiers nombres change complètement à partir de « quatre ».

2. Quand on est seul…

Commençons donc par la solitude de celui qui se découvre totalement seul. Remarquons d’abord qu’à la différence – présumée sans doute, mais très vraisemblable – des êtres unicellulaires auxquels on a rendu en débutant un bref hommage, les êtres pluricellulaires sont dotés, du moins le pensent-ils, d’une conscience relative de leur existence et des conditions de celle-ci.

Pour abréger, nous passons immédiatement à nos frères humains, à ceux que nous appelons très improprement – comme on le constatera plus loin – nos « semblables ». Nous savons et on rappellera qu’ils ne sont semblables entre eux et avec nous que très superficiellement. Disons simplement qu’il n’y a, et encore sans trop y regarder, que leur architecture qui est identique. La principale difficulté quand on est seul est d’en avoir conscience. Cela signifie qu’on a conscience de l’existence d’autres individus qui nous paraissent semblables à nous, d’autres personnes avec lesquelles on forme habituellement des communautés humaines, petites ou plus importantes. Depuis l’australopithèque, et d’ailleurs bien avant, les individus des groupes communiquent entre eux pour se prévenir d’un danger, pour manifester tantôt leur volonté de collaboration, tantôt leur opposition, leur amitié ou leur inimitié.

3. Aussi quand on est moins seul…

Nos semblables ont, dans le but de faciliter tous leurs rapports, amélioré les systèmes de communication utilisés entre eux. Mais, sans savoir déjà que la communication totalement réussie et parfaite est impossible, ils ont alors développé deux systèmes de communication, qu’ils ont mixés dans leur conscience en sorte qu’ils s’imaginent toujours, et encore aujourd’hui, qu’il n’existe qu’un seul système de communication. Ils viennent d’inventer les incompréhensions et les quiproquos. En effet, celui qui communique tout comme celui à qui s’adresse la communication pense aisément que ce qui est dit et ce qui est compris sont identiques. Pourtant l’expérience la plus triviale d’un chacun démontre que la cohérence et la congruence postulées ici ne se rencontrent essentiellement que dans des messages qui concernent soit des éléments extérieurs aux deux personnes en question, soit des éléments purement factuels sur lesquels les deux individus en communication sont totalement d’accord.

En réalité, dans la plupart des actes de communication, on ne vérifie pas la bonne et exacte compréhension des messages émis et reçus par celui qui les a émis et par celui qui les a reçus. Pourtant, alors que chacun a pu faire et a déjà fait à diverses reprises l’expérience de cet « entre-deux » présent dans la plupart des actes de communication, dans l’immense majorité des situations, les uns et les autres font le plus souvent « comme si » les messages étaient effectivement univoques.

Cette position est évidemment la plus confortable et la plus pratique dans la vie courante. Elle permet de vivre en apparente harmonie avec nos contemporains. Autrement, notre vie quotidienne deviendrait rapidement infernale. Si, comme l’affirmait Henry IV, selon les rumeurs traditionnelles, « Paris vaut bien une messe », la paix et la sérénité des relations sociales et familiales valent bien, de leur côté, un simulacre d’excellente compréhension et de bonne entente, du moins dans l’immense majorité des situations.

4. Et même quand on est à « deux »…

Mais, nous avons grandi depuis notre naissance et nous ne pouvons oublier – la nature se chargerait d’ailleurs bien, à défaut de nos proches, de nous le rappeler! – que la reproduction de l’espèce commence généralement par l’enchantement que l’un ou l’une éprouve un jour à la rencontre, même accidentelle, de l’autre, féminine ou masculin, en supposant nos deux héros hétérosexuels ce qui constitue encore, pensons-nous, une relative majorité de nos contemporains.

Dès lors, la communication que les deux tourtereaux – car le lecteur aura deviné qu’il s’agissait bien d’eux – changent assez radicalement de registre. Tous ceux qui s’intéressent aux phénomènes psychologiques vous le confirmeront, dans ce type de rencontre, le « coup de foudre » ou ce qui en tient lieu d’après les milieux et les époques, aboutit fréquemment à une relative occultation des capacités communicationnelles de ceux qui s’apprêtent à s’engager ensemble et, au début à tout le moins, dans un partenariat à deux seulement.

Les cliniciens confirmeront que dans la formation des couples interviennent bien souvent chez l’un comme chez l’autre des éléments psychologiques hérités de l’enfance et résultant des interactions anciennes entre les parents et leurs enfants, aujourd’hui devenus adultes. Quels qu’aient été les aléas de leur éducation, qu’elle ait été merveilleuse et extraordinaire, ou à l’inverse, lamentable et médiocre, chaque enfant devenu un adulte conserve en lui, généralement méconnaissables et métamorphosées, les marques de la transmission parentale et de ses particularités individuelles.

5. « Deux » en « un » ?

Néanmoins, les transmissions et les héritages psychologiques sont d’habitude bien enfouis dans nos inconscients en sorte que leur interférence dans notre vie d’adulte n’apparaisse pas, au moins directement et consciemment, à ceux qui en sont pourtant le sujet ou, selon les cas, l’objet. Il faut, au contraire, beaucoup de travail sur soi, une grande maturité et souvent de grandes souffrances – celles qu’inflige généralement la vie d’un chacun – pour en prendre la mesure et pour obtenir un certain détachement sur ce plan.

Cela signifie donc que l’impression initiale de la rencontre fondatrice d’un couple est celle d’une parfaite entente et d’une totale adéquation des vues de l’un et de l’autre en sorte que les premiers temps après la rencontre se passent le plus souvent dans une irréalité merveilleuse qu’on désigne habituellement par des termes exprimant la fusion béate et illuminée de deux êtres qui s’aiment et, de leur propre aveu, ne font plus qu’un.

Il existe une expression selon laquelle « chasser le naturel il revient au galop » qui exprime bien ce qui se produit le plus fréquemment. Il ne sera d’ailleurs pas inutile de rappeler que le mot « naturel » ou « nature » n’est que la transcription du latin natura qui est le participe futur d’un verbe qui signifie « naître » et que le mot signifie donc proprement ce qui va advenir du fait de telle naissance. Cette acception convient parfaitement au propos.

6. « Un » redevient « deux »…

Car, on a deviné que si, lors de la rencontre fondatrice, cet inconscient issu de la natura propre à chacun avait dans une mesure certaine, mais difficile à cerner et à mesurer, guidé en quelque sorte les choix, d’ailleurs réciproques et cela pour les mêmes raisons, mais que les deux tourtereaux en avaient ignoré et la réalité présente en eux ainsi que les conséquences de cette présence.

Par contre, avec le temps qui en passant a quelque peu usé les coloris de la première rencontre, les deux partenaires, qui avaient durant une certaine durée vécue dans l’illusion de n’être plus qu’un, tant était étroite leur union, découvrent que leur partenaire n’était finalement pas comme ils l’avaient, l’un et l’autre, perçus et imaginés. On désigne en général cette « découverte » comme étant une application du « principe de réalité ».

L’essentiel est alors que la « lune de miel » des débuts ne devienne pas ensuite une « lune de fiel » pour l’un ou l’autre et plus généralement alors pour les deux. L’expérience est riche d’enseignements. Il se n’agit ni plus ni moins de faire son deuil d’un compagnon ou d’une compagne placés l’un comme l’autre dans le paradis des rêves impossibles et d’un kaléidoscope amoureux.

Il doit prêter serment et sera puni selon les lois s’il a fait un faux témoignage. Les Latins estimaient d’ailleurs qu’un témoin unique ne pouvait être suffisant, d’où leur expression testis unus, testis nullus, à savoir en traduction libre : « un témoin unique équivaut à pas de témoin ».Malgré ces précautions concernant la bonne fois des témoins et leur capacité à rendre la réalité sur laquelle porte leur témoignage, la vérité des témoignages demeure fréquemment dans l’esprit des gens empreinte d’un certain doute…

7. Accepter d’être « deux »…

Chacun va découvrir qu’il vit, non avec son « père » ou avec sa « mère », ce qui aurait pu être idyllique ou infernal, mais avec quelqu’un qui n’est pas a priori

un étranger à proprement parler. Cependant ce compagnon ou cette compagne n’est décidément pas non plus ce qu’on croyait qu’il ou elle était, à moins qu’on ne l’accuse d’avoir été ou de s’être montré(e) pour autre qu’il ou elle n’était dans la réalité.

Ainsi s’annonce une nouvelle période de la vie qui est vécue et voulue – le plus fréquemment – comme commune, ou mieux comme « devant être commune ». Le caractère commun, voire fusionnel, du temps qui débute alors est le plus souvent désiré et voulu par les deux partenaires. Chacun essaie en ces moments d’atténuer toutes les aspérités perçues comme gênantes et menaçantes pour la bonne entente qui a prévalu jusqu’à cette époque de leur vie.

La période est également celle d’une répartition économique de la vie commune et des charges qui en découlent inévitablement. Sans doute, aujourd’hui, l’homme et la femme acceptent spontanément de partager toutes les corvées qui meublent leur vie commune. Ceux ou celles – il est possible en effet que les compagnes se comportent ainsi… – qui n’ont pas encore adopté ce partage des missions régulières ou non qui résultent de toute vie, conjointe ou célibataire, devrons toutefois s’y mettre, car les conflits, justifiés, seront rapidement de la partie.

8. Quels sont les changements ?

Quand deux êtres qui ont imaginé n’en être plus qu’un, tout en vivant chacun sa vie, se rendent compte que l’autre peut penser, désirer, vouloir, aimer, bref, être selon ses pulsions et sa nature, le risque est grand que chacun ressente ces réalités, ces évidences, comme des formes de tromperie, on pourrait même affirmer de « dol ». Au-delà d’une perception brusquement interpellant de la réalité de l’autre, il ne s’agit ni plus ni moins que d’une forme de début de rupture d’un état fusionnel, plus ou moins prononcé selon les couples.

La perception est souvent accompagnée d’un sentiment de déception ou même de déréliction. Celui-ci est encore timide, car il est mis en balance avec tous les éléments de satisfaction et de bonheur encore largement partagés.

Ce qui est important à ce stade, c’est que chacun des deux – mais pas forcément en synchronie ce qui pourrait renforcer l’acuité des perceptions singulières dans le couple – ressentira à chacune des mini-ruptures un sentiment d’isolement, voire d’un moment de solitude. Certes, ces moments ne sont que des instants, fugaces le plus fréquemment, et aussi rapidement oubliés chez la plupart.

L’impression, même légère et temporaire, de se retrouver seul à certains moments, mais surtout d’éprouver ce sentiment alors qu’on était soi-même encore plongé dans une euphorie fusionnelle en accentue le goût amer. S’y ajoute éventuellement un piment narcissique lorsque ce goût amer s’accompagne d’un sentiment, même léger, d’injustice : « Pourquoi, alors que je pense faire de mon mieux pour réussir en tout notre vie commune, pourquoi suis-je l’objet d’un rejet ou d’un reproche, formulé ou non ? ».

9. Une rupture qui en évoque une autre

L’essentiel n’est cependant pas là, même si ces réactions et ces perceptions sont vécues comme étant désagréables. L’essentiel réside néanmoins dans la perception que, malgré toutes les qualités attribuées à l’être aimé, on constate que celui-ci est bien une autre personne, une personne différente, qui éprouve des réactions et qui est habitée par des désirs différents ou qui peuvent l’être des miens.

Ainsi, se réintroduit en chacun l’idée que, quelle que soit l’intensité de l’amour qui le relie à l’être aimé, il demeure néanmoins une personne différente et séparée. Ce qui est normalement une évidence pour chacun est perçu dans ces circonstances comme une menace existentielle. Cela signifie en effet que, de même que l’être aimé est né et mourra, le plus probablement indépendamment de moi, ainsi aussi sa vie est et demeure, plus ou moins indépendante de la mienne.

Le vécu de cette situation n’est évidemment pas agréable et il l’est d’autant moins qu’il succède à une période merveilleuse, à celle d’un investissement abyssal, irrationnel, infantile, envers un ou une autre qu’on imaginait avoir réellement perçu(e) au moins comme une partie, essentielle, de moi.

10. Un amour qui en rappelle un autre

En réalité, cette période est également déplaisante, car elle est aussi le rappel d’une « blessure » narcissique fort ancienne. Cette blessure est celle que la rupture avec le premier être aimé, celui dans lequel nous avons vécu neuf mois, qui nous a enfantés, pris près de lui et, volens nolens, laissé croire que nous étions lui et que nos désirs étaient les siens et vice-versa.

On objectera peut-être ici que tous et toutes n’ont pas connu une mère qui passerait pour avoir été idéale, conception de la « bonne mère » qui serait éventuellement fort discutable, mais là ne serait pas l’essentiel. En effet, ce qui importe ici c’est le souvenir archaïque de cet amour inconditionnel et total, au point qu’il était impossible et impensable de prétendre distinguer entre le désir de la mère et celui de son bébé.

Il arrive même que la mère noie ses désirs dans ceux, naissants, de son bébé, en sorte que ni le bébé ni la mère ne parviennent à partir de ce moment à désirer séparément et donc à vivre séparément. Quoi qu’il en soit de ce qui serait une dérive pathologique d’un processus normal, il n’empêche que, pour le bébé, si bien auprès de sa mère, si chaudement blotti sur le sein maternel, que d’abandonner tout cela constitue une menace redoutable avant de devenir, un jour, trop tôt arrivé, un très mauvais souvenir.

L’enfant, puis l’adolescent et enfin l’adulte éprouveront souvent certaines difficultés à ne pas se réfugier, au moins en certaines circonstances, dans des souvenirs archaïques, chauds et bienfaisants. Ces souvenirs de la prime enfance, des premiers jours et mois de la nouvelle vie encore balbutiante, ne s’accrochent pas nécessairement aux contacts maternels.

Ils peuvent se partager entre la chaleur maternante et la chaleur, peut-être parfois plus rude, paternant. Ils peuvent aussi ne se raccrocher qu’au père, sans doute idéalisé. Enfin ils peuvent ne se rattacher qu’à des souvenirs fantasmatiques exprimant non des éléments réels inscrits dans une jeune mémoire à leur recherche évidente, et même s’enraciner dans des éléments imaginaires, tant l’être humain dans ses débuts a un besoin existentiel absolu de se sentir souhaité et aimé.

11. Une nouvelle phase…

Si chacun des deux partenaires de ce qui fut temporairement « deux en un » accepte de devenir dorénavant « un en deux », une toute nouvelle période pourra s’ouvrir à eux, une période durant laquelle ils devront accepter, sans regret ni retour en arrière, d’être décidément deux, mais une dualité qui vit en commun des projets élaborés ensemble, ou à défaut des projets individuels, mais dont l’autre se réjouira.

La manière dont s’instaurera, pour chacun des deux – car ils ne sont encore que deux, mais dorénavant deux étant un plus un ! –, cette dualité unique en unicité duelle dépendra toujours, peut-être moins de la rencontre initiale de ce qui, chez chacun des deux, l’a depuis leur naissance conditionnée.

On a évoqué à la fin de la section précédente d’autres scénarios basés eux sur des souvenirs inconscients reposants sur des contacts non seulement avec la mère et son bébé dans les premiers âges, mais encore sur le rôle du père – déjà une tierce personne ! – ou sur des interactions avec d’autres personnes de l’entourage, des personnes réelles ou imaginaires.

Quoi qu’il en soit de toutes ces éventualités générales et de celle qui se particularisera dans le chef du bébé qui, bien plus tard, deviendra un des éléments constituants du couple en cause ici, à partir du moment où cessera l’impression marquante de la rencontre initiale des deux partenaires, chacun des deux devra absolument faire son deuil de cette première période de leur vie commune, en n’en conservant pour leur avenir que les traits positifs ou, mieux, de construction.

12. Des éléments de construction

Cela aura été un moment clé de leur vie commune, car c’est aussi cette période plus ou moins longue ou brève (c’est selon la réalité ou l’imaginaire…) qui soudera l’un à l’autre, c’est de cette période que s’alimenteront ultérieurement tous les moments de fatigue ou de désespérance, de déconvenue ou de révolte, afin de se muter en des instants essentiels de la construction de l’union des deux protagonistes.

Le néo-couple se doit en effet s’il veut durer et surtout progresser dans sa vie conjugale d’absorber continûment tous les éléments qui lui auront paru négatifs, désagréables et même destructeurs. Car ce sera à partir de tous ces éléments que, paradoxalement, chacun pourra grandir dans sa relation à l’autre.

Pour que ce progrès essentiel se révèle possible et souhaitable chacun des deux doit disposer au départ, c’est-à-dire avant leur rencontre, d’une maturité suffisante pour parvenir à comprendre ce qui, dans chaque événement, petit ou grand, et, quelle qu’en soit la perception des deux, s’explique tant par les circonstances de cet événement que par l’histoire de chacun. Ils découvriront alors, mais malheureusement chacun pour soi, que, cette fois et contrairement à la locution, « l’histoire repasse les plats ».

13. Un travail qui doit rester « gratuit »

Le travail à accomplir est bien entendu d’une simplicité déconcertante pour ou plutôt au sujet de l’autre du couple, mais il se révèle d’une énorme difficulté, d’une presque impossibilité pour soi-même. Tous ceux qui se sont attelés à entreprendre de comprendre ce qui se joue en eux reconnaissent, mais seulement quand ils en sont sortis et s’ils en sortent, que ce travail a constitué l’épreuve la plus difficile de leur existence.

C’est au prix établi par notre dame Nature, à ce niveau si élevé qu’il semble souvent impossible à atteindre, que, lorsqu’il s’en sera acquitté et à la condition qu’ils s’en acquittent tous deux, chacun des deux pourra alors et enfin retrouver l’autre qu’il a pu parfois ou souvent croire avoir perdu en cours de route. Dès lors, qu’il soit seul dans son couple ou que les deux soient parvenus à payer ce prix fort, ils nous quitteront pour vivre, comme les peuples heureux, leur absence d’histoire.

Intéressons-nous ensuite à ceux qui ne peuvent payer le prix fort envisagé ci-dessus. D’abord parce qu’ils ne comprennent pas la question ni la difficulté de ce qui est en jeu. Pour certains, ils se sont simplement trompés ou alors l’autre les a trompés. Ils ne parviendront jamais, s’ils demeurent dans ces dispositions, à comprendre ce qui aura manqué dans une relation qui, selon eux, avait si bien et heureusement débuté.

14. Pour vivre à deux, apprendre à vivre seul

Aucun de ceux-là ou de celles-là n’a réalisé que celui qui n’est pas capable de vivre seul et d’en être heureux ou au moins satisfait et en paix avec lui-même, se révélera toujours incapable de vivre à deux, parce qu’il attribuera toujours les manques dont il se plaint continuellement aux circonstances et aux autres ou à l’autre.

Il est indispensable, dans cette école que constitue la vie commune, de tenir tous les fils rouges, anciens et récents, qui peuvent conduire pour chacun à une interprétation et à une compréhension positive et constructive des autres, mais surtout de soi-même. C’est ce qui rend compte, mais toujours a posteriori que ce travail de dévoilement que seul chacun peut tenter d’entreprendre doit absolument être gratuit.

Pour d’autres, ils pensent comprendre la position de leur partenaire, mais se demandent néanmoins comment et pourquoi ils n’avaient pas perçu ces réalités plus tôt et même dès les premières rencontres, car aujourd’hui ces réalités leur paraissent des évidences.

Désespérant de la vie avec leur partenaire, ils se prennent à rêvasser à une vie meilleure, différente de celle qu’ils pensent devoir subir actuellement et qui ne leur donne aucune des satisfactions auxquelles ils estiment avoir un droit naturel de parvenir.

15. Une place pour une tierce personne

Minutieusement, ils préparent de cette manière ce qu’ils estiment, par un effet miroir fort curieux, mais courant, la fin de leur relation présente. Ils sont déjà à la recherche, au moins potentielle, d’une autre « âme sœur », à moins que ce soit leur conjoint qui, lassé ou lassée des incompréhensions constantes accompagnées du reproche d’être soi et d’être différent, ne délaisse cette union qui se délite progressivement.

En d’autres termes, le duo cesse de l’être et le couple d’exister. Toutefois différents scénarios sont envisageables à ce stade. Ils dépendent d’un grand nombre de paramètres dont principalement les raisons et les motivations, sans doute inconscientes, qui ont prévalu à la rencontre et aux illusions initiales.

Mais les scénarios sont également fonction d’autres variables, parfois terre-à-terre, mais compréhensibles, ainsi les ressources propres à chacun. Celles-ci sont bien entendu matérielles, mais encore psychologiques, sociales, professionnelles. Et, au-delà de ces aspects, de toutes les contraintes intériorisées, souvent depuis longtemps, par chacun des partenaires.

Il y a les traditions familiales et sociales d’un chacun, les aspects philosophiques et religieux qui agissent le cas échéant, le « qu’en dira-t-on », etc. C’est dans ce décor qu’une tierce personne peut survenir. En réalité, celle-ci est toujours présente, elle l’était depuis les débuts de la relation qui s’étiole, mais on ne s’en était pas aperçu.

16. La rencontre d’une tierce personne

En effet, la présence dans l’ombre et la discrétion d’une ou de bien des tierces personnes est sans doute une constante, sauf pour Robinson Crusoé qui n’eut certainement pas cette tentation. Celui ou celle que certains esprits considéreront probablement avec simplisme comme un « prédateur » est toujours présent dans notre environnement.

Mais on ne commence à le percevoir que lorsque les circonstances personnelles ou conjugales nous y incitent. On peut d’ailleurs s’interroger sur la fréquente répétition des circonstances psychologiques lors d’une deuxième rencontre amoureuse. Il n’est pas peu fréquent que lors d’une seconde rencontre les ingrédients de celle-ci soient fort semblables à ceux de la première rencontre.

On pourrait d’ailleurs expliquer de la même manière qu’il n’est pas peu fréquent de rencontrer des couples qui se séparent et divorcent, si nécessaire, pour quelque temps après se retrouver et se remarier ou, du moins et à défaut, revivre ensemble. La discrétion nous empêche de citer un couple d’acteurs, américains, qui se sont séparés et qui ont divorcé à plusieurs reprises pour, à chaque fois, se remarier ensemble…Néanmoins, le lecteur ne nous en voudra pas de ne pas procéder comme dans certains jeux de société, en le renvoyant à des paragraphes précédents afin d’envisager la suite de ces néo-couples. Car, comme dans les jeux évoqués ici, les « joueurs » devront reprendre le même chemin et passer par les mêmes étapes.

Il est plus rare, par contre, que l’ancien conjoint change complètement d’orientation et qu’il rencontre une personne avec laquelle aucun des pièges antérieurs ne se renouvelle. Laissons-lui toutefois le bénéfice du doute et espérons que, cette fois, la situation tourne fort bien pour lui et son nouveau couple.

17. Le rôle délicat et peu apprécié du tiers

La logique classique qu’Aristote avait déjà largement codifiée dès l’Antiquité est une logique dont la base est à « deux termes de vérité ».

En d’autres termes, cela signifie simplement qu’il faut se décider et qu’une chose est ou qu’elle n’est pas. Dans cette logique, il n’y a donc pas de troisième terme possible, c’est ce qu’on exprime en disant que dans cette logique le « tiers est exclu ».

Il existe bien d’autres situations dans lesquelles le « tiers est exclu ». Il n’est pas inintéressant ici de les survoler. Outre le film très connu intitulé précisément Le Troisième Homme, on envisagera certaines des contributions de la tierce personne au propos.

Retenons déjà que, dans le film cité le « troisième homme », celui à la recherche duquel tourne la totalité du film est l’ancien ami de celui qui le pourchasse. Car ce troisième homme est la cause de la mort horrible, dans la Vienne de l’immédiate après-guerre, de nombreux enfants pour lesquels il a vendu de la pénicilline frelatée, coupée d’eau, et, de ce fait, non seulement inefficace, mais nocive et mortelle. Somme toute, et malgré des aspects attachants du personnage, ce qu’on désigne habituellement comme un « salaud ».

En fait, les tierces personnes interviennent presque toujours en surgissant à un moment crucial de l’ombre où elles se tenaient. Elles apparaissent dans des moments cruciaux, mais presque toujours dans des rôles incertains, même s’ils peuvent devenir déterminants, ce qui confère à leur intervention une forme d’incertitude qui plane, pourrait-on dire, sur leur personnage.

18. Aussi des rôles plus positifs…

Rassurons cependant le lecteur. Les individus qui jouent ou ont joué le rôle d’un tiers ne sont pas tous des « salauds » comme on les a qualifiés peut-être un peu rapidement plus haut ! Pour les réhabiliter quelque peu, rappelons leur rôle indispensable dans certaines situations où le recours à un tiers s’avère absolument nécessaire.

On songera d’abord au rôle indispensable des témoins dans diverses circonstances de la vie sociale et juridique. Le « témoin » n’est pas toujours un « faux témoin ». Il peut également apporter une lumière qui jusqu’alors manquait dans une affaire qu’il faut régler et donc d’abord comprendre en vérité et en réalité.

Étymologiquement, et depuis le latin testis dont il provient, le « témoin » est à proprement parler le « troisième homme », ou « femme » s’il est féminin. Mais, dans ce cas, il est nécessaire que le témoin soit étranger à l’affaire tout en la connaissant par ailleurs. D’où, d’ailleurs, également les précautions qui sont nécessaires pour recueillir son témoignage.

Il doit prêter serment et sera puni selon les lois s’il a fait un faux témoignage. Les Latins estimaient d’ailleurs qu’un témoin unique ne pouvait être suffisant, d’où leur expression testis unus, testis nullus, à savoir en traduction libre : « un témoin unique équivaut à pas de témoin ».Malgré ces précautions concernant la bonne fois des témoins et leur capacité à rendre la réalité sur laquelle porte leur témoignage, la vérité des témoignages demeure fréquemment dans l’esprit des gens empreinte d’un certain doute…

19. Et des rôles indispensables…

Le tiers intervient également dans d’autres situations dans lesquelles il est amené à jouer un rôle indispensable et essentiel. Il s’agit des fonctions de celui qu’on appelle interprète. Pour en comprendre le fonctionnement et d’abord l’origine, rappelons que le mot latin interpres, dont il provient, signifie d’abord le « prix négocié entre un vendeur et un acheteur » par un interpres, le mot interpretium signifie d’ailleurs littéralement un « prix situé entre [le vendeur et l’acheteur] ». L’interpres est donc initialement et même ensuite un « négociateur ».

Ensuite, le terme a désigné également, et en latin et en français comme dans d’autres langues, une personne qui « interprète » un texte ou des propos et enfin des musiques ou des pièces de théâtre.

Les Italiens ont une expression pour désigner le rôle, impossible, d’un traducteur ou d’un interprète. Ils affirment en effet : tradutore, traditore, ce qui signifie qu’un « traducteur est un traître ». Il leur semble, à juste titre, qu’il est impossible à un interprète comme à un traducteur de traduire absolument et exactement d’une langue dans une autre.

Dans toutes ces situations, on constate que le « tiers » peut avoir également un rôle positif et même absolument indispensable. Dans les exemples repris ici, le « tiers » est celui qui permet à la vérité de se manifester. Soit pour le témoin, soit également pour l’interprète qui tente l’impossible en traduisant et en interprétant malgré toutes les difficultés de la tâche, ou encore en recréant dans le respect d’un auteur ou d’un compositeur une « interprétation » d’une pièce musicale ou théâtrale.

20. Un retour au tiers du couple

Reprenons le couple évoqué plus haut, alors qu’il était apparemment en crise en découvrant que son conjoint ne semblait pas être celui qu’il pensait avoir rencontré et avec lequel ou laquelle il avait entrepris une relation euphorisante dans ses débuts. Nous avons envisagé plus haut l’évolution de celui dans le couple qui s’éveillait à la rencontre d’un tiers. Ce peut être celui qui n’a pas pu comprendre l’origine de sa rencontre initiale avec son conjoint, mais ce peut être l’autre conjoint également désespérant de l’absence de compréhension et d’évolution de son partenaire.

Revenons un instant sur les conditions de la nouvelle rencontre entre un tiers et un des membres du couple en crise. Si la personne qui formera ensuite un néo-couple avec le tiers a évolué dans son couple initial et a pris conscience, au moins dans une certaine mesure, des conditions personnelles de la première rencontre, elle diminuera dans ce cas le risque de recommencer une nouvelle rencontre sur les mêmes bases que celles de la première rencontre.

Le danger d’une « récidive » est, par contre, bien plus important dans la mesure où cette prise de conscience ne s’est pas produite chez celui ou celle qui est tenté et séduit par une rencontre avec une tierce personne.

21. Le tiers demeure ou s’en va

Cependant dans tous les cas, car les « lois » de la psychologie amoureuse ou affective ne sont pas des lois de la mécanique, des prises de conscience et des retours en arrière ou des évolutions vers davantage de conscience et de maturité sont possibles, le tiers extérieur peut n’être qu’un épisode qui permettrait à chacun d’évoluer dans la relation initiale.

Dans le cas inverse, la relation initiale va s’étioler, s’éteindre et se rompre avec tous les cas de figure de ces séparations et de ces divorces, allant d’une relative harmonie entre les futurs ex-conjoints dans la séparation jusqu’à des conflits qui peuvent s’éterniser et même devenir permanents.

Dans cette dernière hypothèse, on devine les retombées difficiles pour les ex-partenaires, cela va de soi, mais également pour les enfants éventuels issus de leur relation en voie d’achèvement. Quelles que soient les solutions ultérieures imaginées et réalisées par les anciens partenaires, leurs descendants en éprouveront certainement des souffrances et vivront très probablement des séquelles de ce déchirement parental.

Cela ne signifie pas, bien entendu, qu’il faille maintenir à tout prix des couples boiteux et déchirés régulièrement, mais simplement qu’il faille dans ce domaine agir avec circonspection et beaucoup de prudence et de patience.

Les crises dans un couple font partie intégrante de la vie du duo. Elles ne deviennent inextricables et sans solution concrète envisageable que dans la mesure où au moins l’un des deux, sinon évidemment tous les deux, ne parvient pas, dans le calme et une certaine sérénité, à analyser les causes prochaines ET lointaines des tensions. Ceci nous renvoie aux paragraphes12 et suivants ci-dessus.

22. Quand les tiers sont des papillons…

Le titre de ce paragraphe pourrait donner à penser que plus fréquemment le tiers extérieur se représente à plusieurs reprises au couple que nous avons suivi jusqu’ici. Et, de fait, cette situation se présente régulièrement dans la « vraie vie ». Elle fait le fonds de commerce de la littérature de gare comme celui du théâtre de boulevard !

Dans la vie de la plupart de nos contemporains, les coups de canif au contrat sont certainement moins nombreux et répétés qu’il n’y paraît à première vue. On exceptera cependant de notre rapport certaines personnes, de l’un et de l’autre sexe, qui entament et poursuivent jusqu’à la retraite de leurs organes, sinon jusqu’à leur mort, une course effrénée en comptabilisant, tel le Don Juan de Mozart ou ce « Zep » soviétique qui avait accompli – prétendait-il fièrement – sa tâche de stakhanoviste du sexe, le total de leurs « succès » féminins, voire, mais moins fréquemment, masculins.

À ce stade, sans doute, faudrait-il distinguer au moins deux époques dans notre monde contemporain. Ce que nous avons écrit jusqu’à présent se rapporte davantage aux contemporains ayant aujourd’hui davantage qu’environ la cinquantaine. Pour ceux qui sont plus jeunes et surtout pour ceux qui ont moins d’une trentaine d’années, les rapports entre les hommes et les femmes sont sur bien des plans évoqués ici fort différents.

Depuis mai 68 et la libération des mœurs, mais, également, depuis les Trente Glorieuses et paradoxalement depuis la fin de cette période, mais surtout depuis l’indépendance économique de davantage de personnes, hommes et femmes, avec le relâchement des liens ancré dans l’individualisme régnant, les rapports amoureux ont sensiblement évolué et se sont largement modifiés dans la « jeunesse » occidentale.

Les relations peuvent se succéder chez les « jeunes », parfois à un rythme surprenant, mais surtout lorsque leurs aînés qui ont vécu et qui continuent à vivre autrement, s’interrogent autant sur les pourquoi des débuts des relations que sur les pourquoi de leur fin, souvent aussi rapide qu’inattendue. Certains auteurs ont d’ailleurs qualifié ces générations de « générations Kleenex », par analogie avec ces serviettes en papier jetées après leur premier et unique usage…

23. La venue probable d’autres tiers…

Pour ne pas nous perdre dans les méandres d’histoires qui sembleraient tellement différentes selon les lieux et les époques, alors que depuis toujours leurs fondements ont été si proches et semblables, revenons donc au propos de notre couple témoin.

C’est qu’en effet le couple, dont notre texte avait pris la relation comme base initiale de ce texte, aurait dans ce paragraphe dépassé la crise issue de la prise de conscience que la relation qui semblait, jusqu’à ce moment cardinal du couple-témoin de cet article, représenter l’union de deux être voués à s’aimer. Cela devait être ainsi, car les dieux de l’Olympe et tous les autres dieux de la terre en avaient décidé de cette manière.

Le lecteur aura probablement vécu ou compris, généralement a posteriori s’entend, que le décapage des événements constitutifs de chaque personne agit dans l’ombre de l’inconscient, mais ne se donne à connaître qu’à ceux qui le méritent par le travail et la souffrance personnelle.

Dès lors, leur union devient plus solide et ils sentent le moment venu de reproduire cette merveille de deux êtres qui s’entendent et qui s’aiment au point de procréer ou, si on me permet ce néologisme, de « se procréer ». Cette période de leur vie s’ouvre alors sur la procréation et la naissance de leurs enfants. Les conjoints auront – on peut l’espérer et on doit leur souhaiter – triomphé des premières épreuves et ils découvriront, à deux, la merveille de concevoir et d’attendre un enfant.

24. La venue du premier bébé

Chaque histoire sur ce plan, comme d’ailleurs sur tous ceux évoqués dans ce texte, est absolument singulière. Mais chaque histoire fait probablement écho dans le cœur de tous ceux qui ont connu la leur, car les points semblables et les points de contact sont malgré tout fort nombreux.

La venue du premier bébé est dans l’histoire du couple un événement mémorable, celles des suivants éventuels également, quoique, malgré toutes les différences, la « surprise » ne soit plus totalement la même.

Il n’empêche que chaque grossesse, chaque naissance, chaque bébé, a son histoire presque totalement particulière et unique. Il en va de même des parents, pères et mères, dont le regard et l’attitude ne seront pas identiquement les mêmes pour chacun de leurs enfants.

Ces différences normales et constitutives peuvent cependant entraîner si elles sont voulues, senties ou perçues comme discriminantes, des perturbations dans les rapports entre l’un ou l’autre des parents ou les deux parents et leurs enfants. Ils peuvent également susciter des tensions et des conflits entre les parents, tout comme un tiers l’aurait fait dans les paragraphes précédents.

25. Accepter « l’intrus »…

 Lors de la grossesse du premier bébé et surtout au moment de la naissance et après celle-ci, la maman qui, jusqu’alors, était d’abord la femme de son mari, devient, subitement et souvent presque totalement, la mère.

À ce moment, le mari est parfois réduit au rôle d’un « prince consort », mais fréquemment sans le confort de ce dernier tel qu’il apparaît dans les cours européennes. Généralement ce stade dans l’évolution du bébé et de sa mère passe relativement rapidement.

Si ce n’est pas le cas, on conseillera au lecteur de reprendre le « jeu de l’Oie » au paragraphe 22 et suivants. Sinon il apprendra, nécessairement, à partager avec le nouveau venu. Ils devront dorénavant faire « ménage à trois ». Le mari devra partager sa femme avec son enfant, pardon, leur enfant.

Il devra également apprendre à ce que les désirs de sa femme se confondent totalement, du moins au début si tout se passe bien, avec les désirs même balbutiants de son bébé. Lorsque ce dernier tétera et cajolera le sein de sa mère, qui est – il l’oublie trop facilement ! – aussi le mari de celle-ci, et surtout, ce qui est courant, s’il y prend un vif plaisir et qu’il ne se cache pas pour le montrer, le mari, toujours celui-ci qui est devenu le « tiers exclu », éprouvera dans sa tête et dans sa chair la réalité de ce participe passé.

À l’instar d’un rituel d’initiation, si le mari accepte joyeusement et sans arrière-pensées celui qui est – il faut le dire – un intrus, alors pour paraphraser – mais à l’envers – Rudyard Kipling, il sera un père et plus seulement un mari. S’il paye ce prix en toute liberté, alors il sera pourtant et de surcroît, mais davantage, un mari.

26. Et pour les suivants ?

La sagesse populaire affirme que « c’est toujours le premier pas qui coûte ». Si l’homme et la femme de nos débuts du récit parviennent à se souder davantage à travers ces événements bouleversants et restructurant, ou l’inverse s’ils sont mal vécus, ils auront franchi une étape aussi importante que les deux premières de leur vie à deux et à plus.

On imagine que le lecteur ne nous en voudra pas de nous arrêter dans cet article après la naissance du premier enfant de notre couple de référence. On pourrait bien entendu poursuivre le récit en imaginant que notre couple ait décidé d’avoir douze enfants, mais nous avons estimé que le lecteur qui aurait eu la patience de nous suivre jusqu’ici aurait finalement trouvé notre récit trop répétitif. On se contentera simplement d’affirmer que pour les suivants le même scénario se répète. Il y a toutefois une restriction à cette affirmation. Elle dépend en effet des desseins du couple de référence et de l’accord du mari et de la femme sur le nombre et sur le rythme de la venue des suivants. S’ils sont d’accord sur ces points et que leur accord se maintient dans le temps tout se passera au mieux. Si par contre ils ne sont pas d’accord entre eux, et que l’enfant survient néanmoins cela risque fort d’introduire de la zizanie dans le couple.

Enfin, troisième cas de figure, si le nombre d’enfants souhaités et décidés en commun, mais que faute de prendre les précautions que cette attitude entend et que d’autres naissances surviennent ce seront le plus souvent ces rejetons non désirés qui subiront, dans les paroles et/ou dans les actes ou les attitudes, la réprobation des parents.

27. Et ensuite ?

Nous souhaitons bien entendu à ce couple dont la vie fut riche en péripéties une vie heureuse et débordante d’activité et de bonheur, mais nous ferons une ultime fois appel au bon sens du lecteur pour ne pas poursuivre jusqu’au décès de l’un ou de l’autre leur aventure partie d’une solitude.

Elle s’est notablement enrichie par la rencontre de l’âme sœur que l’on peut, sans tenir compte de la grammaire française, mettre également au masculin en évoquant son complément l’âme-frère. Leur rencontre fut à la fois un événement personnel à chacun d’entre eux, mais laissant résonner en écho inconscient chez eux, des scènes et des souvenirs inconscients enfouis dans leur personne, mais apparemment encore très actifs.

On a soutenu, de loin, mais attentivement, leurs gigantesques efforts pour dépasser cette période si merveilleuse et poétique des premiers investissements amoureux. On a suivi les tentations de se réfugier dans les bras d’un ou d’une tierce personne. Puis on est revenu à leur couple.

Tout s’est bien passé ensuite et le couple a mûri et a même donné un ou plusieurs fruits, soit selon leurs désirs conjoints ou propres à l’un des deux, on a espéré avec eux que les enfants qu’ils ont eus ont été désirés et aimés par les deux. Qu’ils soient parvenus à les élever comme il le fallait.

Ils ont dû durant toutes ces années veiller l’un sur l’autre et dans le même temps veiller à leur progéniture. Cela n’a pu se réaliser dans le temps qu’en acceptant, l’un et l’autre, de reporter constamment à plus tard la satisfaction de bonheurs spéculaires dont ils auraient pu jouir s’ils étaient restés seulement à deux en se regardant droit dans les yeux durant toute leur vie.

28. Et enfin…

Aujourd’hui, leur vie continue de s’écouler. Ils vieillissent ensemble, vivant de leurs souvenirs et des bonheurs précieux de leur vieillesse. Les enfants sont partis depuis des années déjà. Ils ont accompli, on le suppose et on l’espère, leur destinée. Comme on dit également ils vivent leur vie. C’est dire aussi qu’ils commencent la leur, arrivés les uns et les autres au stade où leurs parents en étaient quand un beau jour ils ont eu le « coup de foudre » l’un pour l’autre. Les souvenirs que les enfants ont de toute l’histoire de leurs parents sont aussi éloignés de la réalité que ceux qu’avaient leurs parents lorsqu’ils se sont rencontrés.

Mais les enfants ignorent toujours cela, ils rêvent cette période et leurs parents pourront reprendre notre « jeu de l’Oie » au début de notre récit et leur suggérer de repasser toutes les étapes. Mais curieusement même si le jeu est apparemment demeuré le même qu’autrefois, les enfants le trouveront tellement différent qu’ils ne pourront jamais croire et admettre que ce sont les mêmes étapes que leurs parents ont parcourues.

Quant aux parents, ils sont devenus fort vieux, les enfants sont grands, ils ont fondé des foyers. Ils reviennent de temps en temps et lors de leurs coups de téléphone ou plutôt de ceux que leurs parents leur adressent pour prendre de leurs nouvelles, ils s’empressent toujours de prendre immédiatement, en décrochant, des nouvelles de la santé et du moral de leurs « anciens ». La boucle est achevée.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Guy Jucquois

Thématiques

Communication, Langue, langages et démocratie, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Vie affective, Vie familiale

Année

2020

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