Description
Il est bon de commencer en insistant sur le caractère ambigu de la figure de Socrate, puisque Socrate est une figure ambiguë tant du point de vue de la philosophie que de l’usage que l’on a fait de son nom.
Du point de vue de la philosophie, c’est une figure difficile à aborder, parce que Socrate n’a rien écrit. Certains disent qu’il aurait peut-être écrit quelques poèmes à la manière d’Hésiode et ce serait tout. On ne connaît Socrate qu’au travers une série d’auteurs antiques : il s’agit donc d’un auteur que l’on aborde par ricochet, ou, plutôt, d’une figure que l’on découvre au travers de certains auteurs renommés.
Quel est le milieu grec dans lequel évolue Socrate ?
Socrate évolue dans le milieu grec athénien, c’est-à-dire à la fin de l’époque d’une Athènes triomphante et il serait né en 469 avant Jésus- Christ et serait mort, condamné à boire le poison – la ciguë –, en 399 avant Jésus-Christ. Cet auteur appartient définitivement à la période classique grecque.
Il existe trois auteurs principaux qui dépeignent Socrate : le poète comique Aristophane ; l’auteur, qui est à la fois politicien et philosophe, Xénophon et l’auteur majeur Platon, qui a été présenté comme l’héritier absolu de Socrate, mais c’est à discuter. C’est à discuter, car chacun de ces auteurs va tirer Socrate du côté de sa propre façon de penser et Platon tire Socrate du côté de l’idéalisme.
Gnothi seauton – « Connais-toi toi-même »
Il s’agit de la reprise d’une formule qui se trouvait sur un fronton du temple de Delphes qui disait ceci : « Connais-toi toi-même et tu connaîtras les dieux et les hommes ».
Le « Connais-toi toi-même » a été tiré, par la suite, du côté de la philosophie en que telle. Pour simplifier, on dira que dans la pensée idéaliste, la connaissance procède de l’idée. Par définition, l’idée est en nous : nous la produisons, nous la pensons, nous la ruminons quelquefois et puis nous l’énonçons. L’idée se trouve bien au sein de l’homme et de l’homme pensant : il s’agit bien de la voie royale vers la connaissance pour les idéalistes. C’est pourquoi Socrate est, dès lors, tiré du côté de l’idéalisme.
Par cette formule, Socrate insiste-t-il sur la notion de conscience ? Cette question peut faire l’objet de discussions très longues en philosophie.
En fait, l’idée de conscience n’existe pas à l’époque de Socrate. La conscience, au sens où nous l’utilisons aujourd’hui comme concept, serait probablement « une invention » du IIe siècle après Jésus-Christ. Elle apparaîtrait pour la première fois sous la plume du philosophe Apulée de Madaure dans un traité qui, justement, traitait du démon de Socrate. Apulée dit, au IIe siècle de l’ère chrétienne : « Le démon de Socrate, c’est ce que nous appelons ‘la conscience’ », donc ce qui pense en nous.
À l’époque de Socrate, les gens ont une intériorité –, on pourrait d’ailleurs remonter à l’époque du néolithique, car il est évident que les gens ont une intériorité –, mais ils ne l’exprimaient pas de cette manière. Ainsi, quand on va parler de son fameux « daimôn » –, qui est un grand sujet en philosophie –, on s’interrogera sur le démon de Socrate : Est-il « en » Socrate ? Est-il « hors » de Socrate ? Est-il parfois « en et en dehors » de Socrate ? C’est presque un indécidable lorsque l’on travaille les sources de ses dits.
Pourquoi Apulée de Madaure utilise-t-il la forme de « daimôn » (le démon) ?
Les démons font partie des êtres qui peuplent l’éther et l’air chez les anciens, du moins dans certains des systèmes de pensée antiques.
Le daimôn ou les daimonesses, qui donnent le mot « démon » en français, n’ont pas une connotation négative en soi. Ce sont les chrétiens qui, par après, opposeront, dans le sillage de la littérature biblique, les anges aux démons. Chez les anciens, le démon peut être une figure, tout simplement, protectrice par rapport aux humains. Il n’y a pas nécessairement de péjoration lorsque l’on emploie le mot au IIe siècle de notre ère.
Par exemple, un auteur comme Philon d’Alexandrie n’hésite pas à dire, tout penseur de la judéité qu’il est : « Les démons, les anges et les âmes qui flottent dans l’air sont la même chose ». Cela démontre bien l’utilisation du daimôn, des daimonesses dans un sens qui est celui des êtres intermédiaires.
Notre civilisation peut-elle se reconnaître dans Socrate à partir de la formule « Connais-toi toi-même » ?
Il s’agit évidemment de quelque chose qui est hautement problématique, parce que, contrairement à certains historiens de la philosophie qui pensent que l’on peut ramener tous les penseurs à l’époque contemporaine, en tirer des leçons et même des considérations morales positives ou négatives, peut être dangereux. Baudouin Decharneux pense que l’intérêt de l’histoire de la philosophie c’est de, précisément, se confronter à d’autres systèmes de pensées et à nous inviter à un décalage à la façon dont nous pensons nous- mêmes.
C’est pourquoi il est assez partisan de l’histoire de la philosophie, de l’épaisseur du temps et de mesurer l’épaisseur du temps. Prendre un penseur antique, l’amener dans la pensée d’aujourd’hui et dire : « Voilà ce que l’on peut en tirer ». Cette attitude lui semble extrêmement naïve.
Voici un exemple qui parlera à tous.
On peut tirer des choses absolument remarquables d’Aristote aujourd’hui sur le plan scientifique. Mais quand Aristote dit qu’il y a des hommes qui sont esclaves par nature, Baudouin Decharneux ne pense pas que l’on puisse prendre cette proposition et la transposer aujourd’hui en disant qu’Aristote a tout vrai ou tout faux. Cela n’a pas de sens, car Aristote parle en son temps. Et le travail du philosophe est précisément de montrer le sens que cela avait à son époque, peut-être les autres systèmes de pensées qui, à la même époque, s’y opposaient et peut-être alors en tirer des leçons, mais en tenant compte de l’épaisseur du temps.
Socrate, aujourd’hui, nous invite-t-il à une réflexion ? Oui et l’histoire de la pensée ne s’en n’est pas privée, parce que Socrate a connu une fin tragique. En 399 avant Jésus-Christ, il est condamné injustement à boire la ciguë, condamné à mort. Pour Baudouin Decharneux, il devait s’agir d’un règlement de compte qui suit une période particulière de l’histoire que l’on appelle « la tyrannie des Trente », où Socrate a été accusé d’avoir été l’enseignant des Tyrans. Et lorsque le retour de la démocratie a eu lieu, il a, en quelque sorte, indirectement « payé l’addition » de certains de ses élèves. Certains l’appelaient même le tyrannos didaskalos, le maître du tyran. Baudouin Decharneux a l’impression que l’on a réglé des comptes sur le dos de Socrate et qu’on lui a fait dire des choses qu’il n’a pas dites. D’autres historiens de la philosophie ont une autre opinion.
Ce qu’il y a d’intéressant, c’est de voir –, du moins si on en croit les sources –, la posture de Socrate par rapport aux lois de son temps.
Socrate est un idéaliste, mais il y a une dimension de Socrate que l’on a oubliée : c’est que c’est un légaliste. C’est un homme qui considère que, quand des lois ont été votées dans un système –, qui est un système participatif –, en l’occurrence la démocratie athénienne, et que ces lois lui ont permis de grandir, d’évoluer, d’être ce qu’il est, même si ces lois, à un moment donné, s’avéraient injustes à son égard, il convient de les suivre. Socrate est un jusqu’au-boutiste du légalisme. Il l’a fait à deux reprises.
La première fois s’est produite lors d’un célèbre procès qui avait opposé les Athéniens à des généraux, qui, d’ailleurs, avaient amené les troupes à la victoire. Socrate était parmi les jurés et il s’était opposé à ce qu’on les juge, car on voulait les juger de façon collective et que la loi athénienne précisait que chaque citoyen a le droit à un procès individuel. Socrate n’a pas été suivi, mais il a défendu là une posture légaliste.
La deuxième fois s’est produite au moment de sa mort. Apparemment, certains avaient pensé organiser son évasion. Cette idée semble assez plausible, car cela aurait arrangé beaucoup de monde qu’il soit écarté un petit moment le temps que les événements se tassent. Mais Socrate a refusé de quitter la ville d’Athènes, préférant mourir dans la dignité, plutôt que de renoncer à ses valeurs.
Il y a beaucoup de grandeur d’âme à accepter, ainsi, la mort et à se la donner en quelque sorte, puisqu’il boit la ciguë qu’on lui présente. Oui et selon les auteurs, c’est intéressant parce que l’on peut avoir un Socrate de Xénophon qui est un Socrate très politique : « Je vous démontre, Athéniens, que vous avez des lois ; que ces lois, d’un certain point de vue, sont vivantes ; que ces lois ont une légitimité et que, quelquefois, elles peuvent être injustes ». Il y a également le point de vue platonicien qui serait nettement plus idéaliste : « La mort ne pèse pour rien. Qu’est-ce que mourir ? Sinon allez retrouver Homère, Hésiode et les grands hommes du passé et continuer à dialoguer avec eux. Ce passage de la vie à la mort, je le vis dans une certaine, si pas insouciance, du moins dans un certain préstoïcisme –, à partir de là, les stoïciens se revendiqueront de la figure de Socrate –, et je m’en vais sans pleurer ».
Ces deux visions du personnage très différentes par rapport à la mort et il y a encore d’autres visions qui peuvent aussi être développées.
La question du suicide
La question du suicide est très différente. Il est vrai que, dans l’histoire, il y a eu des théoriciens du suicide qui, d’un certain point de vue, ont considéré que le suicide est une façon élégante de quitter la vie. Baudouin Decharneux est toujours un peu sceptique par rapport à ce type de démonstration, parce qu’elle ne s’applique que dans des cas très particuliers et elle sert souvent d’alibi pour ne pas s’occuper de l’une ou l’autre personne qui, elle, est en détresse psychologique et morale. C’est pourquoi Baudouin Decharneux n’aime pas trop ces apologies du suicide.
Mais dans le cas de Socrate, c’est une condamnation à mort. Il ne se suicide pas, mais il ne se soustrait pas non plus à la sentence. Il accepte sans se révolter de mourir, mais avec toute une geste. Il est entouré de ses disciples, il boit la ciguë et continue à philosopher en mourant. Il y a là toute une vie de « saint Socrate », une hagiographie socratique qui se met en place et qui en fait un personnage qui ne sera jamais comme les autres. Au fond, Socrate est le « saint martyr » de la philosophie.
En quoi Socrate est-il l’inventeur du religieux ?
L’invention du religieux, c’est un peu l’invention au sens des structuralistes, de la formation d’un concept.
Le mot religion est un mot latin, religio, qui vient de Cicéron et de Varron, bien après Socrate. Il s’agit de la conjonction de la rencontre des Latins avec les Grecs, car ces auteurs latins étaient pétris de philosophie grecque. Et par la suite, ce sera la rencontre du judaïsme et du christianisme au travers de la figure d’un auteur chrétien que l’on appelle Lactance.
Le mot religion, pour Baudouin Decharneux, est un mot qui est tiré du côté de l’universalité, alors qu’en fait, c’est un mot qui s’applique à une socioculture donnée dans toute sa complexité. C’est pourquoi il préfère parler de l’interaction entre le visible et l’invisible, plutôt que de parler de religion quand on parle du monde grec ancien.
En quoi dit-il l’invention du religieux et non pas de la religion ? Parce qu’il lui semble que la figure de Socrate est un indice, un jalon important dans l’histoire de la pensée qui va contribuer à l’émergence de ce concept de religion en ce qui est essentiel chez Socrate, c’est la délibération de l’individu par rapport à lui-même. C’est le concept de conscience, c’est-à-dire qu’à un moment donné, même si le plus grand nombre pense « oui », en soi-même, on peut penser « non ». Et Socrate va attester de cela et va attester du fait que ce « non » n’est pas seulement intéressant pour le sujet lui-même, mais ce « non » singulier peut être intéressant pour la collectivité, alors qu’elle ne s’en rend pas compte. Là, Socrate devient très emblématique du glissement vers une autre façon de comprendre la relation à l’invisible. Une relation qui est moins sociale et une relation qui est davantage crispée sur le sujet pensant, comme le diraient les philosophes.
Pourquoi Socrate apparaît-il comme une figure importante pour beaucoup de libres penseurs ?
Car sa fin de vie invite elle-même à méditer sur le courage d’un homme par rapport à sa propre destinée. Un homme qui refuse d’être prisonnier des préjugés de son temps.
Une autre dimension, c’est la dialectique, car Socrate est un maître dans l’art du dialogue. Le dialogue peut, certes, faire émerger une forme de vérité philosophique, mais c’est aussi un penseur. Et là, on touche peut-être à quelque chose qui n’est pas trop loin du Socrate historique : c’est un penseur qui privilégie souvent le questionnement sur la réponse. C’est très important, parce que la différence entre la laïcité et les systèmes de pensées fermés, c’est que la laïcité est une heuristique, c’est un art du questionnement ; la laïcité est une maïeutique, c’est l’art de découvrir et de formuler les vérités qu’on a en nous.
La mère de Socrate, comme le dit la tradition, était accoucheuse et c’est pour cette raison qu’il disait qu’il accouchait les esprits. Il y a là quelque chose qui exprime bien ce qu’il voulait dire, c’est-à-dire qu’il révélait l’individu à lui-même. Non pas en lui apprenant des idées ou des doctrines au travers lesquelles il va grandir et il va évoluer, mais en lui apprenant à se questionner et à laisser émerger en lui ce qu’il tient pour vrai par le raisonnement, mais pas seul, avec l’autre dans le dialogue. Cette méthodologie était de nature à séduire les laïques.
Mais chaque époque a revisité Socrate et chaque courant de pensée s’est efforcé de se le réapproprier.
L’ironie socratique
L’ironie socratique, c’est quoi ? Ce n’est pas, à la manière de certaines philosophies françaises, trouver le bon mot qui aplatit l’adversaire et le ridiculise.
L’ironie socratique, c’est de montrer à une personne qui croit avoir raison, combien son idée est paradoxale. Il s’agit plutôt de l’irone au sens anglais ironically, c’est-à-dire paradoxalement. C’est la mise en évidence du paradoxe.
Il existe des exemples très connus, chez Platon : par exemple, le dialogue qui s’appelle de Lachès, où Socrate dialogue avec un général athénien, Lachès. C’est un personnage qui apprécie beaucoup Socrate, parce que ,lors d’une bataille, Socrate s’est comporté assez brillamment sur les ordres de Lachès, ce qui a pour incidence que c’est deux-là se connaissent, s’apprécient et reconnaissent leur courage réciproque. Socrate va montrer à Lachès, tout général qu’il est, qu’il ignore ce qu’est le courage. S’il y a bien une figure qui inspire aux Athéniens la notion de courage, c’est le général Lachès. Socrate lui démontre qu’en fait, il est incapable de définir le courage.
Platon va le faire dans plusieurs dialogues connus que l’on considère souvent comme des dialogues aporétiques, c’est-à-dire sans issue. Le dialogue se termine et les interlocuteurs n’ont pas nécessairement trouvé une solution au problème, mais continuent à réfléchir à ce problème. Le débat reste ouvert. Ce ne sont pas tous les dialogues platoniciens, mais les dialogues dits de « jeunesse » sont souvent aporétiques. Platon passe en revue le beau, la vertu, l’amour, un tas de concepts. C’est véritablement une méthodologie où la dialectique se met en mouvement et elle démontre que le problème reste ouvert, ce qui ne veut pas dire qu’il soit insoluble.
Cette notion de dialogue paraît être assez contemporaine, car, aujourd’hui, on privilégie le dialogue, l’entretien, l’échange d’idées et peut- être un échange d’idées qui n’aboutit pas nécessairement à une prise de position catégorique. Le danger qui se pose face à cela serait le relativisme : « toute idée en vaut une autre ».
« – Mon cher Baudouin,
Vous vous intéressez à l’anthropophagie ?
– Oui, je le pratique d’ailleurs. Je mange mes congénères.
– Comme c’est intéressant.
– Et vous ?
– Ah moi, je suis végétarien.
– Ah bon, végétarien. Et vous ?
– Moi, je ne mange que du chocolat.
– Donc, vous êtes chocolaphile. »
Tout se vaut, il n’y a pas de hiérarchie dans tous ces délires respectifs et finalement, on se quitte bons amis, parce qu’on ne va pas se brouiller pour si peu.
Ce type de dialogue ne procède pas du dialogue socratique. Il n’y a pas une recherche du vrai. Par conséquent, il est évident que certaines postures sont moins pertinentes que d’autres : on les démonte, on démonte les erreurs, on démonte les préjugés, on démonte les fautes de logique et on essaye de tendre vers le vrai. Ce qui ne signifie pas, en dernière analyse, qu’on a touché le vrai en soi.
À mesure que l’on avance dans l’œuvre de Platon, de plus en plus, Platon pense serrer le vrai. Mais dans les Dialogues de jeunesse, cette ouverture pourrait encore être la marque de fabrique de Socrate et c’est cette volonté de laisser le débat ouvert.
Les fautes de logiques d’aujourd’hui
On retrouve les mêmes fautes de logique : les analogies factices, les métaphores caduques, les confusions entre les arguments qui sont particuliers avec des arguments qui sont généraux. Ce sont vraiment les mêmes erreurs de logique qu’aujourd’hui, sauf qu’à l’époque des Grecs, on s’efforçait de ne pas commettre ce type d’erreurs logiques, tandis qu’aujourd’hui, ça passe de façon indifférenciée sur les ondes et sur les réseaux sociaux.
Un exemple pour faire sourire,
Sur les ondes radio, deux spécialistes parlaient des personnes en prison.
« – Les gens qui ont commis des crimes, notamment, vis-à-vis des enfants en matière sexuelle, sont des gens qui sont incurables, il faut les laisser en prison.
– Non, certains d’entre eux, vingt pour cent, selon lui, peuvent sortir de prison parce que l’on peut les soigner.
– Ah oui. Effectivement, il faut qu’ils aient une thérapie. »
S’ils sont incurables, pourquoi leur procurer une thérapie ? C’est une faute de logique élémentaire que Socrate aurait relevée directement. Mais tout cela est passé dans le flot de la discussion, comme si de rien n’était. On voit bien toute la faiblesse de ce type de raisonnement. Or, Socrate, dans sa façon de dialoguer, était impitoyable à cet endroit. Il faut qu’un raisonnement se tienne. Socrate mettait en évidence les fautes de raisonnement et les fautes logiques : le raisonnement qui n’est ni vrai ni valide ; ou qui est valide, mais pas vrai ; ou bien qui est vrai, mais pas valide.
On peut tenir un raisonnement qui est complètement absurde, mais qui débouche sur une conclusion qui, en soi, semble vraie. Et on peut tenir un raisonnement qui a l’air d’être extrêmement rigoureux, mais qui débouche sur une erreur logique évidente. C’est ce que Socrate s’amuse à démonter régulièrement chez ses interlocuteurs. Aristote en fera des syllogismes, mais c’est le même type de raisonnement déjà. Il y avait un courant de pensée, à l’époque à Athènes, que l’on appelait la sophistique, il y avait des personnages qui étaient souvent des enseignants –, ils n’étaient pas Athéniens d’ailleurs –, dont Protagoras d’Abdere, par exemple, a été un des grands noms. C’étaient, au fond, des rhéteurs et des avocats avant la lettre qui tentaient en permanence d’apprendre la rhétorique et l’art de se défendre, notamment, devant les tribunaux et ainsi d’être capables de manipuler une assemblée. On peut la manipuler dans un sens positif, si, par exemple, la cause que l’on défend est juste. Mais aussi, on peut la manipuler dans un sens très négatif en jouant sur tous les ressorts que l’on peut imaginer de la rhétorique qui n’ont plus rien à voir avec la philosophie d’un certain point de vue et qui sont une pure façon de vouloir tirer à soi avantage d’une facilité de langage.
Une logique qui paraît extrêmement pure aboutit parfois à des non- sens absolus, c’est le cas de ce syllogisme :
Un cheval bon marché est rare. Ce qui est rare est cher.
Donc un cheval bon marché est cher.
Dans le raisonnement, tout cela a l’air tout à fait limpide, mais on aboutit à une contradiction totale.
Socrate mettait systématiquement le doigt sur ce genre de contradiction et c’est ce que, d’ailleurs, certains ont détesté. Il ne s’est pas fait que des amis et il le sait, car a plusieurs reprises il a dit :
« Je sais que je devrais me taire, mais je ne peux le faire, car mon daimôn m’incite à interroger les Athéniens. »
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Libres propos de Baudouin Decharneux |
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Thématiques | Éducation à la culture, Penseurs et société, Philosophie, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses |
Année | 2020 |