Science et foi. Les croyants devant la science

Paul ROBIN

 

UGS : 2009022 Catégorie : Étiquette :

Description

Dire que les rapports entre science et foi ont évolué au cours du temps, c’est une lapalissade. Nombre d’historiens, les uns sérieux, les autres moins, ont narré les péripéties de ce qui fut, durant des siècles, un véritable conflit spirituel. Notre propos n’est pas ici de rappeler les mésaventures inégalement cruelles de Vésale, de Galilée, de Servet ou de Buffon, mais de voir, tant bien que mal, ce que sont devenues de nos jours, les relations entre la connaissance scientifique et la foi religieuse.

À cette fin, c’est moins d’histoire qu’il sera question que des attitudes de l’esprit religieux devant la science.

Certes, qui dit « esprit religieux » ne dit pas grand-chose, puisqu’il faut bien ranger sous cette mention les vieilles filles du patronage, infatigables clientes des manufactures de cierges et d’ex-voto, et des gens comme Gabriel Marcel ou Emmanuel Mounier ; les charbonniers et les philosophes ; les intégristes fanatiques et les modernistes libéraux. Cette diversité, cependant, est précieuse : c’est elle qui permet de dresser un inventaire aussi complet que possible des réactions du croyant devant la science.

Il fut un temps sans problème ; science et religion ne se discernant pas, tout savoir humain est inclus dans la religion, tout savoir est religieux. Prêtre et savant ne font, dans cette conjoncture originelle, qu’un seul et même personnage. Il est, comme disent les Bantous de leur sorcier, « celui qui sait », celui qui possède tout le savoir que l’homme est à même de posséder sur le mode et sur lui- même : les secrets de leur formation, de leur fonctionnement les secrets de la vie et de la mort, et même de la nature ultime et de la finalité de tous les êtres. Il est le dépositaire de toute science, parce qu’il est le représentant de Dieu, l’incarnation du grand Être surnaturel. Qui, dans ces conditions, pourrait savoir mieux et plus que lui ? Et comment mettre en balance l’ignorance de la créature et l’omniscience divine ? Puisque Dieu parle par la bouche du prêtre, celui-ci dit nécessairement la vérité. Et possédant le savoir, il détient du même coup le « mode d’emploi de l’Univers », suivant l’heureuse formule de Sauneron.

La séparation, timidement d’abord, s’amorce pourtant : la science divine et la science profane s’écartent. En Assyrie déjà, la médecine profane n’est plus la médecine sacrée ; certes les remèdes naturels n’ont pas l’efficacité des remèdes sacrés ; mais qu’on leur reconnaisse du pouvoir montre que l’homme commence à chercher tout seul.

En tout état de cause, c’est ainsi que l’histoire de la science commence : par la rupture de l’harmonie initiale. Rupture à laquelle, encore de nos jours, d’invétérés rétrogrades répugnent à consentir. On sait que des notables du Tennessee et du Texas refusent qu’il soit parlé de transformisme dans leur État. On ne voit pas d’autre explication à leur obstination que celle impliquée dans ce qui précède ; pour les prêtres du moyen empire égyptien, le savoir gisait dans les papyrus déjà vieux à leur époque de plus de mille ans ; de la même façon, pour nos gens du Tennessee et du Texas, le savoir réside dans la Bible et la science sort de la bouche du prêtre ; et tout ce qui tend à rompre cet admirable coïncidence de la science et de la foi est sacrilège et maudit.

Qui ne voit comment, d’un tel présupposé de départ, il est aisé de conclure à la nature luciférienne de la science ?

Tant que la religion reste la maîtresse incontestée de toute la vie spirituelle, la science vivote à son ombre ; elle reste soumise à ses impératifs ; c’est dans la mesure même où elle tend à s’émanciper de cette paralysante tutelle, qu’elle devient aussitôt suspecte. Les secrets de la nature ne sont-ils pas ceux de Dieu ? Et Dieu n’a-t-il pas confié à ses prêtres la part des secrets dont il a jugé bon que l’« homme pût être informé ? Chercher au-delà, c’est contraindre Dieu, c’est ne pas respecter sa volonté. La créature, si ce n’est mue par un orgueil luciférien, ne saurait prétendre dévoiler ce que Dieu a voilé. Sans le contrôle de l’Église, la science débouche dans le mal ; l’homme, par elle, veut acquérir la puissance et le savoir de Dieu ; il renouvelle la tentative criminelle de l’ange déchu, révolté contre son créateur. D’une telle perspective, le chercheur, c’est le docteur Faust, l’homme qui a pactisé avec le Malin, et dont la curiosité est sacrilège…

C’est pour les préserver de cet affreux péril que Dominique, cher à Sœur Sourire, interdit à ses dominicains toute recherche par observation ou expérimentation : médecine et sciences de la nature ne sont que luxure de l’esprit ; les franciscains prennent les mêmes et sages précautions ; au XVIIIe siècle encore, les théologiens voient d’un fort mauvais œil les chimistes et la chimie : l’odeur du soufre reste, à la lettre, l’odeur du diable.

Des modernes n’ont pas cessé de tenir en suspicion, pour des raisons du même ordre, l’activité scientifique. L’opinion frénétique de Léon Bloy est des plus significatives : « Les médecins sont les prêtres du Démon ; les pharmacies ressemblent à des sacristies de l’Enfer ». Sans aller jusqu’à de pareilles extrémités, d’autres se lamentent sur la vanité des hommes et de leurs sciences : « Briser péniblement chaque pierre, compter les fibres de la plante », écrit un auteur catholique en 1844, « disséquer la vie, descendre jusqu’aux entrailles de la terre, sonder les gouffres de l’océan… ah ! je le dis avec l’Ecclésiaste : occupation détestable que Dieu a donnée aux enfants des hommes pour tourmenter leurs loisirs… ». Au XIXe siècle, le journal américain The Christian, lance un appel pour découvrir « ceux qui sont du côté du Seigneur et ceux qui sont du côté des singes et du Démon »., autrement dit de Darwin. Des prélats dénoncent L’Origine des Espèces comme livre venu tout droit de l’Enfer…

Il est cependant vrai, on s’en doute bien, que le catholicisme semble avoir abandonné cette conception archaïque de la science, émanation du diable… De même d’ailleurs que cette autre conception, de signe contraire, mais non moins extrémiste, qui veut trouver dans la science autant de confirmations qu’il en faudra des articles de la foi. En 1938, un obscur libelliste, nommé Joosens, qui dédie modestement son live à la Vierge, défend cette vue avec fanatisme : « les sciences naturelles », écrit-il, « proclament hautement l’existence de Dieu et de la divine providence… Les sciences historiques montrent avec une évidence invincible l’existence des miracles dans l’Église catholique… Les découvertes archéologiques confirment les récits de la Bible. » Et avec moins de hardiesse :

« l’Église a toujours favorisé la science… Ce sont des prêtres, des religieux, des savants chrétiens qui ont fait presque toutes les grandes et utiles découvertes ; les prétendus savants incrédules quant à eux, n’ont fait, pour ainsi dire, aucune découverte utile… ».

Science, complot du diable ou science, lumière de Dieu, on conviendra qu’il faut pour tenir l’un ou l’autre de ces paris une robuste armature de fanatisme et de sottise. Aussi les attitudes, communes du croyant seront-elles plus souples et donc moins dérisoires. La plus courante d’entre elles, et qui reste celle du magistère, accorde à la science sa liberté de mouvements, à la condition qu’« elle reste à sa place », c’est-à-dire qu’elle n’empiète pas sur les prérogatives religieuses, et qu’elle subordonne, quand il le faut, ses vérités nécessairement partielles et donc chétives à la vérité suprême et inaliénable qui est celle de la doctrine divine. Le savant poursuivra donc ses travaux, mais sans jamais perdre de vue leur caractère second, dans l’ordre même de la connaissance. On n’exige plus de lui qu’il chante la gloire de Dieu et la sagesse de Rome ; mais il lui est imposé, sur les points jugés essentiels par la hiérarchie, de ne jamais contredire la doctrine. Bossuet – qui disait du misérable petit savoir profane :

« tu changes, donc tu n’es pas la vérité » – a parfaitement défini cette discipline à laquelle le chercheur doit se soumettre : « Philosophes de nos jours, de quelque rang que vous soyez, ou observateurs des astres ou contemplateurs de la nature inférieure, et attachés à ce qu’on appelle physique, ou occupés des sciences abstraites qu’on nomme mathématiques, je ne veux pas dire que vous n’ayez de dignes objets de vos pensées ; car de vérité en vérité vous pouvez aller jusqu’à Dieu qui est la vérité des vérités… Cultivez donc les sciences ; mais ne vous y laissez point absorber. Ne présumez pas et ne croyez pas être quelque chose de plus que les autres, parce que vous avez des pro-piétés et les raisons des grandeurs et des petitesses : vaine pâture des esprits curieux et faibles, qui après tout ne mène à rien qui existe, et qui n’a rien de solide, qu’autant que par l’amour de la vérité et l’habitude de connaître dans des objets certains, elle fait chercher la véritable et utile certitude en Dieu seul ».

C’est une vue tout à fait analogue qui sera celle du concile de 1870 : « Elle (l’Église) n’ignore, ni ne méprise les avantages qui en (des techniques et des sciences) découlent pour la vie des hommes ; bien plus, elle professe que de même qu’elles viennent de Dieu, seigneur des Sciences, ces disciplines, avec l’appui de sa grâce, mènent à Dieu. L’Église n’interdit pas à ces sciences d’employer, chacune dans son domaine, ses propres principes et sa propre méthode ; mais en leur reconnaissant cette juste liberté, elle prend soigneusement garde que, par hostilité à la divine doctrine, ces sciences n’introduisent des erreurs dans leur domaine, elles n’envahissent et bouleversent celui de la foi ».

On voit bien quelle intention anime une telle doctrine : nulle autre que d’imposer des limites précises au champ de la science et de ne tolérer de recherche que préalablement dédouanée par le sacro-saint nihil obstat.

Pour ce faire, on dispose du côté chrétien du glaive spirituel de la discipline ; du côté du non-croyant, on utilise volontiers un argument dont il faut bien, au passage, dénoncer le caractère spécieux. Nul n’ignore que le scientisme d’un Haeckel ou d’un Berthelot est, de nos jours, aussi démodé que les crinolines de nos arrière-grand-mères ; tout intellectuel est tenu de se précautionner contre un travers aussi ridicule : car être taxé de scientisme, c’est être traité d’imbécile. Dès lors, il devient aussi commode qu’efficace de stigmatiser le scientisme de quiconque chercherait à appliquer les méthodes scientifiques en des domaines dont la religion entend conserver le monopole : la crainte du ridicule devient ainsi le commencement de la soumission… Pourtant l’accusation de scientisme portée de la sorte a d’autant moins de poids que son dessein est bien moins de préserver l’autonomie de la personne et la liberté de l’esprit que d’entretenir la primauté de la foi.

Certes, c’est par exemple, à bon droit que l’on repoussera la prétention de fonder une « morale scientifique » ; mais le croyant, souvent, ne refuse celle-ci que pour mieux défendre sa « morale théologique » ; ce qui revient à combattre un abus au nom d’un autre abus. Il est finalement un peu trop facile d’accuser de scientisme toute philosophie résolument dégagée de toute obédience religieuse !

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Informations complémentaires

Année

2009

Auteurs / Invités

Paul Robin

Thématiques

Foi, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions, Sciences