Saül de Tarse

Willy De Winne

 

UGS : 2015014 Catégorie : Étiquette :

Description

La mise à mort de Jésus de Nazareth, la persécution de ses disciples par le Sanhedrin, la prise de Jérusalem et la destruction du temple par Titus en l’an 70 ont bien failli faire passer la mort de Jésus et son message et comme un non-événement. Mais c’était sans compter sur l’entrée en scène de :

Saül de Tarse

Saül de Tarse est un Juif pharisien cultivé et un orateur de grand talent. Il a été l’élève du sage et renommé docteur de la loi, Gamaliel, membre du Sanhédrin. Il a suivi avec grande attention la renommée grandissante d’un certain prédicateur appelé Jésus de Nazareth, qui venait de faire son entrée triomphale à Jérusalem conformément à l’annonce faite par le prophète Zacharie :

« Sois transportée d’allégresse, fille de Sion ! Pousse des cris de joie, fille de Jérusalem ! Voici, ton roi vient à toi ; Il est juste et victorieux, Il est humble et monté sur un âne, le petit d’une ânesse. » (Za 9/9)

Le peuple acclame Jésus comme le nouveau roi messie des Juifs : venu délivrer son peuple du joug romain. Mais sa popularité connaîtra un retournement spectaculaire à la suite du scandale qu’il est allé provoquer au temple où il s’est attaqué avec véhémence aux échangeurs de monnaies étrangères et impures qu’il convenait d’échanger contre des shekels, la seule monnaie kasher, admise pour l’achat d’animaux de sacrifice. Ce scandale retourne non seulement l’opinion publique contre lui, mais aussi un de ses disciples, qui va le dénoncer à l’autorité. À la demande du haut clergé du temple, qu’il haïssait en toute réciprocité, il est arrêté, jugé et condamné à être crucifié. Sa mort est plébiscitée par le clergé et par le peuple qui, placés devant le choix, préfèrent accorder l’amnistie pascale à Barrabas plutôt qu’à lui. Il est crucifié au Golgotha entre deux criminels et ressuscite le troisième jour en toute discrétion, selon ses disciples. Tout aussi discrète sera ensuite son « ascension céleste », qu’aucun chroniqueur public ne rapporte.

Saül, outré et dénonçant le blasphémateur, se présente au Sanhédrin – la cour suprême de justice de Jérusalem – qui aussitôt l’engage pour rechercher et persécuter les quelques membres de cette nouvelle mouvance hérétique, qui se réclame du crucifié qui se prétendait fils de Dieu. Saül est un Juif érudit de grand talent, très au fait des évènements géopolitiques qui agitent cette partie du monde et l’empire romain à cette époque. De par son père, il a acquis la citoyenneté romaine, c’est-à-dire qu’il s’est rangé du côté du pouvoir impérial romain et de la collaboration. Sa mission de persécution et d’éradication de la nouvelle secte l’a déjà amené à assister à la mise à mort par lapidation d’un homme, qui deviendra plus tard pour la nouvelle secte, saint Étienne, le premier martyr chrétien. Par sa formation universaliste, il a acquis la certitude que la religion des dieux de l’Olympe a perdu toute crédibilité et que le moment est venu pour son remplacement progressif par la croyance en un Dieu unique et universel. En même temps, il se rend bien compte que le judaïsme, sujet à de nombreuses dissensions internes et à des mouvements de rébellion, ne résistera plus très longtemps face à la colossale puissance militaire de l’empire romain. Son analyse de la situation lui fait comprendre que la persécution des blasphémateurs, exigée par le Sanhedrin, va le conduire droit dans le mur et qu’il est temps de changer de camp et de rejoindre les rangs de l’empire romain. Il y voit une occasion à ne pas laisser passer, par laquelle il pourra avantageusement proposer aux maîtres du monde le monothéisme d’origine hébraïque, mais réformé par ses soins, c’est à dire débarrassé de son orthopraxie désagréable et compliquée. Il suffira de l’alléger et de l’adapter au goût des polythéistes gréco-romains.

Pour que son revirement complet et incompréhensible ne lui fasse pas perdre honteusement la face ni devant les Juifs, ni devant les Romains, il décide d’avoir recours à une mise en scène appropriée. Il réalise son dessein, lorsqu’à sa demande il est mandaté par le Sanhedrin pour se rendre à Damas afin d’y poursuivre la persécution des disciples de Jésus. Et c’est en plein désert, sur le chemin de Damas, que le prétendu « miracle » de sa conversion se serait opportunément réalisé par l’apparition dans le ciel de Jésus de Nazareth, qui lui aurait demandé : « Saül, Saül, pourquoi me persécutes-tu ?  Rendu prétendument aveugle et comme assommé, il est secouru par un chrétien qui l’aurait aussitôt baptisé. Le voilà désormais bien placé pour apporter au monde gréco-romain son monothéisme paulinien, tout en se réclamant de l’évangile de Jésus de Nazareth, mais dûment revu et corrigé selon ses vues.

Cette prétendue conversion miraculeuse, en plein désert sur la route de Damas a, pour le moins, suscité de sérieux doutes et même de l’indignation chez les apôtres restés à Jérusalem, car eux-mêmes vivaient sous la menace de mort de la part de ce persécuteur fanatique et impitoyable. Seul Luc finira par la suite à rejoindre Saül, devenu Paul après sa conversion, et il deviendra son fidèle compagnon et scribe pendant les nombreux voyages où il sera son secrétaire pour la rédaction des fameuses épîtres. C’est également Luc qui sera à l’origine du livre des Actes des Apôtres où il racontera, en se basant sur les dires de Paul, la prétendue conversion miraculeuse de celui-ci et sa prétendue élévation par Jésus au rang d’apôtre en remplacement de Judas Iscariote. (Actes chap. 9). On peut se douter de l’émoi suscité chez les onze apôtres de cette prétendue et incompréhensible élévation de Paul en tant que nouveau collègue-apôtre, et d’autant plus que celui-ci venait d’entreprendre l’évangélisation des païens malgré la formelle interdiction formulée par Jésus, comme nous la rapporte Matthieu :

« Tels sont les douze que Jésus envoya, après leur avoir donné les instructions suivantes : ‘N’allez pas vers les païens, et n’entrez pas dans les villes des Samaritains. Allez plutôt vers les brebis perdues de la maison d’Israël. Allez, prêchez, et dites : Le royaume des cieux est proche’. » (Mt 10/5 à 7)

Et à plus forte raison, il leur était encore plus difficile d’admettre que Jésus, après sa mort sur la croix, fût apparu à Saül, non seulement pour le faire changer radicalement d’avis, mais en plus pour en faire son principal apôtre auprès des païens. Jésus lui-même avait annoncé qu’était venu seulement « pour les brebis perdues de la maison d’Israël » (Mt 15/24). Il avait mis près de trois ans à instruire ses disciples, tous Juifs de Judée. Or, dans ses épîtres, Paul se montre en opposition avec eux ; il les traite de « faux-frères » (II Cor. XI 27). Il se déclare leur adversaire en écrivant : « Gare à ces chiens, à ces mutilés (= ces circoncis)», ou encore : « Les Juifs sont les ennemis de tous les hommes » Selon Paul, les premiers et vrais apôtres ne figurent même pas parmi « les seuls Juifs qui travaillent avec lui pour le royaume de Dieu » (Colossiens IV/10-11). Paul ne mentionne même pas Pierre ou Jean. Il se nomme lui-même le ministre de l’Église et en fait même le « mystère chrétien », se prétendant élu par Dieu pour cette mission « avant le commencement du monde » (Éphésiens I/1 à 4).

La petite communauté des judéo-chrétiens de Jérusalem, chapeautée par les apôtres réguliers de Jésus, ne manque évidemment pas de se méfier de ce dangereux tourne-casaque en se remémorant l’avertissement donné par Jésus à ses disciples au sujet des faux-prophètes ou des antéchrists : « Prenez garde de vous laisser abuser : plusieurs viendront en mon nom et ils diront : « C’est moi, le temps est proche ». Ne les suivez pas » (Luc 21/8). « Ils en séduiront beaucoup » (Mt 24/5). Jean parle d’un « faux prophète » dans son Apocalypse et dans ses épîtres, il le désigne comme « l’Antéchrist » ; et il dit également : « Les antéchrist sont dès à présent dans le monde. Ils sont sortis de chez nous, mais ils n’étaient pas des nôtres », (Premier épître de Jean 2/19). Dans la seconde épître de Pierre, de même : « Ils sont là, égarant les disciples, créant leur secte pernicieuse.(…) Par cupidité, ils vous exploitent avec des paroles pleines de ruse. Plusieurs les suivront et seront cause que la voie de la vérité soit calomniée » (Chap. 2/1-4).

Pendant que les deux camps s’accusent mutuellement d’être de faux prophètes, Jésus s’est érigé en juge de la performance a posteriori. Il nous invite à reconnaître les prophètes à la qualité de leurs fruits. Et si l’on constate que leurs promesses n’ont pas été tenues et n’ont produit aucun fruit, on les reconnaîtra comme étant de faux prophètes. Matthieu nous rapporte cette parole de Jésus en Mt 7/15 à 20 :

« Gardez-vous des faux prophètes. Ils viennent à vous en vêtements de brebis, mais au dedans ce sont des loups ravisseurs. Vous les reconnaîtrez à leurs fruits. Cueille-t-on des raisins sur des épines, ou des figues sur des chardons ? Tout bon arbre porte de bons fruits, mais le mauvais arbre porte de mauvais fruits Un bon arbre ne peut porter de mauvais fruits, ni un mauvais arbre porter de bons fruits. Tout arbre qui ne porte pas de bons fruits est coupé et jeté au feu. C’est donc à leurs fruits que vous les reconnaîtrez. »

Ces paroles bien imprudentes se retourneront contre Jésus qui, deux millénaires après sa promesse de parousie imminente, n’a toujours pas tenu parole de cette annonce « d’un imminent retour en gloire et en royauté » comme il l’avait pourtant expressément prophétisé selon Matthieu :

« Car le Fils de l’homme doit venir dans la gloire de son Père, avec ses anges ; et alors il rendra à chacun selon ses œuvres. Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le Fils de l’homme venir dans son règne » (Mt 16/27-28)

Cette promesse d’une imminente parousie est également rapportée par l’évangile selon Marc :

« Mais dans ces jours, après cette détresse, le soleil s’obscurcira, la lune ne donnera plus sa lumière, les étoiles tomberont du ciel et les puissances qui sont dans les cieux seront ébranlées. Alors on verra le Fils de l’homme venant sur les nuées avec une grande puissance et avec gloire. Alors il enverra les anges, et il rassemblera les élus des quatre vents, de l’extrémité de la terre jusqu’à l’extrémité du ciel. Instruisez-vous par une comparaison tirée du figuier. Dès que ses branches deviennent tendres, et que les feuilles poussent, vous connaissez que l’été est proche. De même, quand vous verrez ces choses arriver, sachez que le Fils de l’homme est proche, à la porte. Je vous le dis en vérité, cette génération ne passera point, que tout cela n’arrive. » (Marc 13/23 à 30 )

Mais tout compte fait, il est sans doute encore heureux pour l’humanité tout entière que cette promesse de parousie imminente ne se fût pas réalisée car sinon, selon le crédo chrétien, notre monde des hommes aurait déjà cessé d’exister depuis deux millénaires, au moment de la prétendue « parousie à la fin des temps et la résurrection de la chair au jugement dernier ». Jésus a donc bien fait de se tromper et/ou de nous tromper sur la date de son retour imminent sur terre qui, selon le magistère romain, se trouve par conséquent retardée sine die ! Ouff ! Tout le monde peut se tromper ! Errare humanum sed perseverare diabolicum !

Deux siècles plus tard, au concile de Nicée en 325, Arius défendra la thèse qu’un prophète qui en plus de ne pas être éternel, car engendré, et qui n’a pas pu honorer sa promesse de parousie imminente ne peut en aucun cas être déclaré d’essence divine. Mais on ne l’écoutera pas et il sera excommunié. Il faudra ensuite attendre encore plusieurs siècles pour que tel un phénix, Arius ressuscite de ses cendres en la personne de Mahomet qui proclamera la même vision du Dieu unique et un, reléguant Jésus à son statut de grand prophète de l’islam. Dès cet instant, le monde devra compter avec deux monothéismes purs et durs opposés au christianisme avec ses relents très mystérieux de polythéisme à trois ? Fermons la parenthèse pour revenir à Saül-Paul !

À l’époque où les onze « vrais » apôtres avaient déjà évangélisé la Judée et la Galilée avec un certain succès, Saül de Tarse, secondé par Barnabé, se mit également à prêcher « son » évangile de Jésus-Christ aux Juifs. Mais là où ils allèrent, ils furent chassés avec fracas et violence à plusieurs reprises. Finalement, ils décidèrent de se consacrer aux païens et allèrent en particulier chapeauter la petite communauté naissante à Antioche pour fonder l’église d’Antioche, capitale païenne voisine de Jérusalem. La nouvelle secte paulinienne est donc par essence plus en harmonie avec l’empire qu’avec la Jérusalem nationaliste et son avenir impérial et planétaire s’annonce prometteur !

Par ses nombreux voyages, Paul se met en œuvre en créant des communautés ou des églises un peu partout dans l’immense empire d’Orient, en adressant ses célèbres sermons à la foule, qu’il pérennise ensuite par des épîtres tout aussi fameuses. Il n’a jamais rencontré Jésus, mais il connaît sa renommée de faiseur de miracles. Il sait bien que Jésus a été la victime du haut clergé juif de son temps, et il évitera donc le plus possible de se rendre à Jérusalem où sa trahison pourrait lui coûter cher. Il lui faudra gagner du temps et faire porter son action missionnaire en priorité loin de Jérusalem, vers les centres culturels de l’empire : Athènes, Rome, Damas, Antioche, Césarée, Thessalonique, Patmos, Éphèse, etc. Ce grand visionnaire et opportuniste comprend que ce sont avant tout les païens gréco-romains qu’il convient de convertir à sa vision personnelle du monothéisme de plus en plus éloigné de l’orthopraxie juive. Sa fortune personnelle et surtout la solidarité sollicitée des judéo-chrétiens et des païens versant leur obole à chaque réunion, lui permettront de financer ses nombreux voyages au sein de l’empire romain d’Orient.

Pendant ce temps, à Jérusalem, les difficultés et la détresse prédites par Jésus et rapportées dans le livre de l’apocalypse sont vécues par ses disciples. L’Église de Judée, rassemblée à Jérusalem autour de Jacques, le frère de Jésus, subit des persécutions et disparaît complètement lors du soulèvement des Juifs contre les Romains. Cette rébellion se solde par un terrible massacre, la destruction de Jérusalem et de son temple, considéré comme une des merveilles du monde. Le peuple juif est chassé et réduit en esclavage. Il sera obligé de se disperser en diaspora mondiale et son clergé se voit obligé de mettre fin définitivement aux sacrifices sanglants prévus dans le livre du Lévitique. La famille et les disciples de Jésus échappent à l’apocalypse en allant se réfugier alentour. Après la prise de Jérusalem par Titus en l’an 70, et le suicide collectif des Juifs retranchés à Massada, le pays entier est soumis à l’empire de Rome. Sur l’emplacement de la cité sainte de Jérusalem, les Romains construisent une nouvelle ville nommée Aelia, et, dès sa fondation, c’est l’Église de Saül-Paul qui remplace et absorbe la première Église de Judée, celle de Pierre et de Jacques, qui aura bientôt entièrement disparu. On peut en conclure que sans l’action de Saül-Paul, le message et le sacrifice de Jésus risquaient fort de n’être qu’un non-événement.

En prêchant la soumission aux autorités, Paul obtient que son Église « chrétienne » ne soit pas persécutée. À la place de l’orthopraxie tatillonne juive, Paul prêche l’orthodoxie, c’est-à-dire la doctrine du salut par la foi seule, abandonnant une grande partie des 613 commandements ou mitzvot. L’ambigüité, sinon la duplicité de cet homme de grand talent, tantôt persécuteur, tantôt promoteur de la nouvelle croyance, transparaît dans ses sermons où il n’hésite pas à créer des contre-climax retentissants. Il n’hésite pas à se présenter comme le douzième apôtre de Jésus-Christ en remplacement de Judas Iscariote, et en même temps comme « un avorton » (1 Co 15/8). Son extrémisme oratoire le conduira même en prison, d’où il s’échappera !

Il disait aussi « nos mérites n’y sont pour rien et la loi est disqualifiée », ce qui devait plaire aux païens en ne leur demandant pas trop d’efforts de conversion et qui leur donnait satisfaction par la promesse du paradis en versant seulement une obole à la collecte organisée à chaque assemblée. En se réclamant comme l’apôtre de Jésus, ce charismatique orateur et talentueux recruteur n’hésite cependant pas de trahir la parole de son messie en déclarant que la sacrosainte circoncision n’était pas indispensable à la conversion des païens. Pour Jésus et tous les Juifs, au contraire, il n’était pas possible de considérer la circoncision comme « un petit commandement » à ignorer, car à la différence par exemple des interdits alimentaires, cette obligation de la circoncision n’est pas d’origine humaine ou cléricale, mais divine, car imposée par Dieu lui-même à Abraham et à toute sa descendance !

Alors que Jésus ne voulait absolument pas d’une nouvelle foi, ni d’une nouvelle religion, l’action de Saül-Paul a conduit à la création d’une nouvelle Église incompatible avec la foi en un Dieu Unique et Un. Jésus avait pourtant résolument rejeté toute nouvelle religion en disant :

« Plusieurs me diront en ce jour-là : Seigneur, Seigneur, n’avons-nous pas prophétisé par ton nom ? N’avons-nous pas chassé des démons par ton nom ? Et n’avons-nous pas fait beaucoup de miracles par ton nom ? Alors je leur dirai ouvertement : je ne vous ai jamais connus, retirez-vous de moi, vous qui commettez l’iniquité. » (Mt 7/22, 23)

Mais en plus, sa parousie imminente et l’avènement glorieux de son règne sur terre à la fin des temps n’allaient pas laisser l’opportunité à quiconque de construire une nouvelle Église, justement par manque de temps.

Marc en 9/1 nous rapporte ses paroles :

« Il leur dit encore : Je vous le dis en vérité, quelques-uns de ceux qui sont ici ne mourront point, qu’ils n’aient vu le royaume de Dieu venir avec puissance. »

Cette prophétie ne s’est pas réalisée, ce qui a classé Jésus dans la catégorie des faux prophètes comme tous ceux qui, deux millénaires plus tard, ont annoncé le fameux « bug de l’an 2000 » qui ne s’est pas réalisé non plus. Et si, par hypothèse, sa prophétie s’était quand même réalisée, il ne pouvait en aucun cas être question de la création d’une nouvelle Église après la « fin des temps » ! Et dés lors, les versets suivants constituent d’évidence une ajoute frauduleuse à l’évangile selon Matthieu :

« Eh bien, moi je te dis : ‘tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église, et les Portes de l’Hadès ne tiendront pas contre elle. Je te donnerai les clefs du Royaume des Cieux : quoi que tu lies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour lié, et quoi que tu délies sur la terre, ce sera tenu dans les cieux pour délié’. »

Par ailleurs, ce véritable scoop où – par hypothèse – Jésus aurait prétendument délégué des pouvoirs quasi divins à Pierre dans une nouvelle Église, ne serait certainement pas passée inaperçue chez les autres disciples, présents à Césarée. Mais ni Jean, ni Luc, ni Marc, ni dans aucun autre évangile apocryphe cette élévation de Pierre n’est confirmée. Il s’agit donc d’évidence d’une falsification de l’évangile de Matthieu. Incohérences et contradictions s’accumulent. Voici les textes évangéliques à comparer au sujet de cette prétendue promotion quasi divine de Simon-Pierre, : Matthieu 16/13 – 20 // Marc 8/27 à 30 // Luc 9/18 à 21 // Jean 1/42.

Vous aurez remarqué que, chez Marc, il n’est pas question d’une quelconque élévation de Simon-Pierre. Bien au contraire, puisque Marc nous rapporte la sérieuse réprimande que Jésus lui inflige en le  traitant de « Satan », lors de cette même conversation à Césarée :

« Alors il commença à leur apprendre qu’il fallait que le Fils de l’homme souffrît beaucoup, qu’il fût rejeté par les anciens, par les principaux sacrificateurs et par les scribes, qu’il fût mis à mort, et qu’il ressuscitât trois jours après. Il leur disait ces choses ouvertement. Et Pierre, l’ayant pris à part, se mit à le reprendre. Mais Jésus, se retournant et regardant ses disciples, réprimanda Pierre, et dit : ‘Arrière de moi, Satan ! car tu ne conçois pas les choses de Dieu, tu n’as que des pensées humaines’. » (Mc 8/31 à 33)

Cette falsification, aux multiples fantasmes sans suite, n’empêche cependant pas les papes de faire figurer avec une parfaite outrecuidance les clés du paradis dans leur blason en faisant croire aux fidèles que ce sont eux qui – par succession et à tour de rôle – décident d’accorder ou non l’accès du paradis aux âmes des défunts. Eu égard à l’autorité dogmatique autoproclamée des papes, on peut se demander comment il faut ensuite comprendre l’avatar du défunt pape Formose dont le cadavre fut déterré et excommunié par son successeur à l’occasion du fameux « concile cadavérique » en l’an de grâce 897.

La falsification du texte de Matthieu a également permis la création d’une nouvelle religion solidement constituée et organisée avec un clergé pléthorique, qui finira par dominer une grande partie de notre planète jusqu’à nos jours. C’est surtout grâce à Paul que l’Église de Rome a pu être constituée et qu’elle a pu devenir au cours des âges une puissance considérable et immensément riche.

Au sein de l’empire romain, les mouvements de flux et de reflux entre le polythéisme et le monothéisme expliquent le succès de Paul, mais aussi sa fin tragique semblable à celle des premiers martyrs chrétiens.

Depuis la nuit des temps, les métamorphoses de la divinité n’ont pas cessé et le monothéisme hébraïque transformé par saint Paul en christianisme paulinien triomphant, a dû, lui-même, traverser la période des Lumières et de la Révolution française, apportant la démocratie et la Déclaration des droits de l’homme. Actuellement, nous semblons bien assister à la mort de ce dieu personnel, qui n’a pas tenu sa promesse de parousie imminente et qui a été incapable de vaincre sa haine de la concurrence, à savoir, « les faux prophètes » et « les scribes et les pharisiens hypocrites ». La multitude d’Églises qui se disputent sa représentation sur terre et la suprématie canonique à coups de dogmes et d’excommunications, ont provoqué la perte de toute crédibilité, sans même parler des multiples scandales historiques et moraux.

Aujourd’hui, la nouvelle divinité qui se pointe à l’horizon, en achevant petit à petit sa métamorphose, se présente comme une abstraction divine inaccessible, inconnaissable, et impersonnelle. Même le dieu des francs-maçons, le Grand Architecte de l’Univers, trop anthropomorphe, a également perdu de ses plumes pour se réduire à un concept abstrait de la divinité, une force supérieure, appelée « Dieu-Nature » par Spinoza et par le Mouvement panthéiste mondial. Ce même dieu abstrait s’appelle actuellement « l’Intelligent Design » dans le monde anglo-saxon, que d’autres encore – comme moi – appellent simplement « le déterminisme naturel ».

Mais que de chemin déjà parcouru par la théologie à travers les âges et les incessantes métamorphoses de la divinité depuis ses lointaines origines, à savoir depuis l’adorable « Déesse-Terre », représentée dans toutes ses rondeurs !

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Informations complémentaires

Année

2015

Auteurs / Invités

Willy De Winne

Thématiques

Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions