Description
Les termes phallocrate et macho sont généralement compris comme de parfait synonymes. À la réflexion, ils renvoient à des attitudes masculines radicalement différentes, l’une fondée sur la domination de la femme, l’autre sur l’acceptation de différences multiples entre des personnes définies par des originalités sexuelles.
Le « phallocrate » : que voilà bien un qualificatif vilipendé, considéré comme fondamentalement péjoratif aujourd’hui, sous la pression de mouvements féministes voués à la légitime dénonciation des abus du pouvoir masculin et patriarcal dans les sociétés en général, dans la nôtre en particulier. Ce vocable est couramment utilisé en tant que synonyme de la stigmatisante notion de « macho ».
En tant qu’homme féministe, engagé dans la lutte pour l’émancipation des femmes, de la promotion de la condition féminine, j’estime personnellement le moment venu de remettre en cause l’assimilation, quelque peu facile et paresseuse de ces deux termes, dont le sens profond mérite d’être clairement distingué, ce qui en réalité n’est malheureusement jamais fait.
En effet, ils correspondent, selon moi, à deux attitudes fondamentalement différentes des hommes à l’égard des femmes, à deux modèles typiques de relations, entre lesquels certes des nuances ou des interférences peuvent exister, mais qui ne sont pas assimilables l’un à l’autre… Ce que je vais tenter de montrer
Des définitions… confusion et amalgame
Pour en avoir le cœur net et l’esprit clair, quoi de plus naturel que de consulter les dictionnaires faisant autorité… du moins ceux se reposant dans ma bibliothèque ? Là, première surprise : que ce soit dans le Grand Larousse illustré de mes grands-parents ou dans mon Petit Robert de 1967 les deux termes sont superbement ignorés, n’ont aucune existence reconnue. Quid alors dans ce « vocabulaire de la psychosociologie » publié chez ERES en 2006 ? Même constat encore plus accablant : une absence tout aussi remarquable. Soyons donc « modernes » et allons voir du côté d’Internet, Google et Wikipédia. Là une seconde surprise (déception ?) m’attend : une définition strictement identique pour phallocrate et pour macho. Cette définition : « qui considère l’homme comme supérieur à la femme » ou, ce qui revient au même « qui se considère comme supérieur à la femme ». Wikipédia se réfère, entre autres, à une définition d’un Larousse plus récent que le mien, mais valable, elle aussi, pour les deux types d’individus : « partisan de la domination de l’homme par rapport à la femme ». Plus gênant encore pour la thèse que je souhaite défendre et pour ma propre perception (projection ?) de la différence essentielle entre les deux notions : ce « dictionnaire » électronique affirme sans nuances que les deux termes sont synonymes !
Comment lutter contre cette alliance impressionnante entre les usages courants et les définitions officielles de ces qualificatifs que, je le prétends, nous aurions grand intérêt à distinguer soigneusement ? Tâche ardue à laquelle je vais m’atteler, avec l’espoir de convaincre quelques-uns de mes lecteurs.
Une définition… clarification et distinction
Personnellement, je plaide donc pour que soit reconnue une différence que j’estime fondamentale entre les attitudes du macho et du phallocrate à l’égard des femmes :
– le macho est l’homme qui considère la femme comme un objet, un objet pour sa satisfaction personnelle (sexuelle notamment : le mythe du cosaque…), sa servante ménagère ; son esclave domestique économiquement et juridiquement dépendante de lui, bref comme sa propriété privée ;
– le phallocrate, lui, est l’homme qui idéalement s’efforce de considérer la femme comme un sujet, un être humain à part entière, une personne autonome avec laquelle nouer des rapports les plus égalitaires possibles, ou de domination réciproque, alternée, complémentaire ; dans un esprit de fécondation mutuelle… et éventuellement familiale.
Vous l’aurez deviné : je hais le macho, j’affirme ma réalité de phallocrate, ma volonté d’être accepté en cette qualité dont les dimensions positives méritent d’être soulignées.
Le phallocrate : éléments pour une conception idéale de l’homme
Le phallocrate, tel que je viens de le définir très brièvement, n’est pas un homme égoïste, dominateur, écrasant la femme, mais au contraire quelqu’un qui se veut sensible, ouvert, attentif aux besoins de la femme, des femmes en général, de sa femme en particulier.
L’étymologie de cette qualification que je lui attribue révèle le sens profond de sa réalité existentielle dans ses rapports avec le genre féminin : phallos (le pénis en érection) et kratos (la force, le pouvoir). En d’autres termes, le pouvoir du phallus, notion à prendre dans son sens symbolique, bien évidemment (en psychanalyse le phallus est, symboliquement, « le signifiant de l’organe fécondant, de la fécondité chez les Anciens ». C’est le christianisme qui, d’après certaines sources, aurait été enclin à le réduire à sa dimension sexuelle…). C’est par une dérive à visées politiques que la société a été de plus en plus dénoncée comme phallocratique (personnellement je dirais de façon plus précise « machiste »), comme un système économique et social fondé sur la domination masculine… sans prendre en compte le fait qu’à l’origine il a été institué sur la base d’un équilibre entre les pouvoirs féminin (à l’intérieur, au sein du foyer) et masculin (à l’extérieur, de la chasse à la politique). Dans le cadre de cet équilibre, la femme avait en face d’elle un homme rassuré sur sa virilité par son statut social, un phallus réel et symbolique, expression du désir vivant, pour elle mâle source d’éventuels plaisirs et de fécondation. Le pouvoir de ce phallus faisait écho à ce que ce que certains pourraient être tentés d’évoquer comme le pouvoir féminin des « utérocrates », le pouvoir, réservé aux femmes, de l’enfantement, de la grossesse, de la naissance, de l’allaitement, de l’éducation au cœur de la maisonnée. Dans cette approche, on pourrait opposer, sur le plan de la séduction, notamment sexuelle, la puissance symbolique du pénis à celle du clitoris plus ou moins camouflé, la conjonction du pouvoir des « pénicrates » à celui des « clitocrates », voire des « vagicrates » (avec, pour les hommes, s’il faut en croire les psychanalystes, le désir, la force – et la peur – de l’engloutissement, par delà l’extase)…
Malheureusement (pour d’aucuns), heureusement (selon moi) le féminisme post-soixante-huitard est arrivé. Tel Zorro, il a rétabli une justice inter-genres menacée par les abus du pouvoir masculin (d’orientation machiste) et ouvert la voie à de nouveaux équilibres entre les sexes. Aux femmes, il a permis d’acquérir certains droits politiques et sociaux, aux hommes il a offert la possibilité d’accepter la part refoulée de leur féminité (sensibilité, émotions, tendresse). Envers de la médaille : une triple crise identitaire. Crise de la femme (contradictions de la super-women, comment concilier vie professionnelle et vie familiale…), crise de l’homme (troubles d’une virilité contestée, civilisation de l’orgasme obligatoire, fragilité révélée du sexe masculin, le véritable sexe faible….), crise du couple (prolifération des séparations et des divorces…).
Dans le contexte ainsi émergent, une nouvelle conception de l’homme complet et moderne peut et doit se dégager. C’est là que le vrai phallocrate – selon ma définition – a une place à prendre, un rôle essentiel à jouer :
– assumer son « phallus », base de son identité virile, qualité attendue, espérée, désirée par la femme ; source rêvée de son plaisir à elle et donc de sa reconnaissance (d’être réellement désirée pour elle-même) ;
– ne pas abuser de ce phallus, éviter de le transformer en instrument de domination, mettre le pouvoir dont il est le symbole au service du partenaire féminin voire de la fécondation du couple ;
– ayant intégré sa dimension « féminine », construire avec sa partenaire une relation équilibrée d’échange de sentiments, d’idées et de pouvoirs (il n’y a pas de relation sociale sans rencontre sous-jacente de pouvoirs…) ;
– favoriser l’écoute de l’autre, de ses attentes, de ses désirs et de ses besoins, le partage des solitudes acceptées, la tolérance des différences acceptées, la rencontre des identités affirmées ;
– s’affirmer homme désirant (sur le plan sexuel, mais pas seulement), capable de répondre, dans toute sa complexité, au désir de sa partenaire.
Pour l’homme du temps présent, il s’agit là, de toute évidence, d’un idéal à poursuivre, d’une « œuvre » à réaliser, d’un travail sur soi à effectuer en vue d’échapper aux prescrits traditionnels de la virilité répandus dans la plupart des cultures et des religions. Tel est l’essentiel de mon idéal d’homme féministe.
En résumé, je clamerais volontiers, précisément en termes militants d’un homme féministe :
– honte et guerre aux machos, traditionnalistes dépassés, faux mâles tonitruants et paradants ;
– honneur et paix aux phallocrates non falots, compagnons de route des femmes émancipées ;
– gloire et prospérité aux heureux couples de phallocrates et utérocrates épanouis !
L’équilibre, l’harmonie entre des personnes qui présentes des différences sexuelles ne doivent-ils pas puiser leur source dans la reconnaissance de l’autre comme sujet, et non comme objet ?
Informations complémentaires
Année | 2014 |
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Auteurs / Invités | Marcel Bolle De Bal |
Thématiques | Droits des femmes, Égalite H-F, Féminisme, Machisme, Phallocratie, Questions de genre |