Quelques réflexions sur les origines de l’homme

Victor DAUMER

 

UGS : 2009023 Catégorie : Étiquette :

Description

Qu’est-ce que l’homme ?
Une bête ?… Un esprit ?…

Les catéchismes, après Platon et d’autres, répondent : « Un être composé d’un corps et d’une âme ; un composé de matière et d’esprit ».

La matière, corrompue par le péché, est un élément de mort ; l’âme, spirituelle, est un élément de vie. On doit donc négliger le corps pour se consacrer à l’âme. Ainsi, de par sa définition même, l’homme serait un être voué à un déséquilibre essentiel à sa nature.

C’est bien ce que disent les religions. Dans la Bible hébraïque, par exemple, on lit ceci au 8e Psaume de David : « O Iahveh ! Tu as fait de l’homme de peu inférieur à Dieu, tu l’as couronné de gloire et d’honneur… » Voilà pour l’âme.

Mais dans la même Bible, on lit au 22e Psaume : « Je suis un ver et non un homme… », comparaison reprise par le malheureux Job : « l’homme, ce vermisseau ! le fils de l’homme, ce vil insect !… »

Nous serions donc, à la fois, presque semblables à Dieu, et presque semblables au ver… L’homme, certes, n’a mérité « ni cet excès d’honneur ni cette indignité ».

Ce manque de mesure nous conduit à nous demander ce que vaut cette définition qu’un atavisme millénaire nous a rendue si familière : l’homme est un être composé d’un corps et d’une âme.

Le corps, nous le voyons bien… Mais l’âme ?… Quelle est-elle ? D’où viendrait-elle ?

Ici, l’on fait intervenir l’idée d’un dieu qui aurait créé l’âme pour « animer » le corps. Ce n’est pas le lieu de souligner le côté puéril d’un raisonnement qui consiste à supposer un créateur pour expliquer le monde, puis à prouver ce créateur par l’existence de ce même monde. Constatons simplement l’étrangeté d’une définition qui prétend que l’homme est constitué de matière et d’esprit, de périssable et d’immortel, d’humain et de divin, et nous voici contraints de rechercher un moyen terme : entre l’excès d’honneur qui nous hausse jusqu’à Dieu et l’indignité qui nous rabaisse jusqu’au vermisseau, il y a… la Nature.

Une autre définition s’offre alors à notre esprit : l’homme est un être naturel, lentement évolué.

« Alors, vous descendez du singe ?… » me dira-t-on.

Ce ne serait pas si mal, après tout : le singe est plus représentatif que le vermisseau ; et j’ai gardé le souvenir d’une causerie de Michel Simon nous parlant avec émotion de Zaza, sa guenon intelligente et affectueuse. J’en suis sûr, aussi, que le doux François d’Assise eût mis sur le même rang ses frères les oiseaux et ses frères les singes, s’il avait eu quelque motif de s’intéresser à ces sympathiques animaux…

Mais non, l’homme ne descend pas du singe. Nombre de savants sont d’accord pour estimer que le singe est le témoin d’une certaine époque de l’évolution animale, l’homme le témoin d’une époque plus récente de la même évolution. Reconnaissons donc que l’homme est un être naturel, un produit de la nature.

Ce « produit de la nature », cet homme naturel est autrement intéressant que l’homme créature, sorti des mains de Dieu avec l’usage de la parole, apte, déjà, au travail de la terre…

Au regard de cet homme, tel que les religions nous le montrent, ouvrage parfait de Dieu, considérons l’homme tel que la science nous le dépeint, se dégageant progressivement de l’état bestial ; mesurons – et il semble difficile d’y parvenir tant elle est énorme – la somme des efforts de tous genres qu’il a fallu à ce pauvre être pour arriver seulement au stade des époques connues ; continuons à le suivre dans sa marche vers l’utile, puis vers le meilleur ; et n’oublions pas d’observer son besoin du beau tel que nous l’offrent les dessins, rudimentaires souvent, parfois très curieux qu’il a tenu à laisser à ceux qui viendraient après lui ; et, franchement, convenons que c’est, précisément cette condition inférieure qui a fait sa grandeur.

Voici maintenant l’homme évolué. Là encore, quand on sait la nature et le nombre des obstacles qui peuvent surgir et qu’on voit le peu de moyens dont on dispose, il y a infiniment plus de mérite à marcher seul, sans arrière-pensée, vers l’idéal, qu’à se laisser entraîner par d’autres vers une récompense problématique.

Sentir la possibilité, la probabilité d’une chute morale ou physique, et vouloir marcher quand même parce qu’il faut reprendre le flambeau passé par les aînés et continuer leur tâche ; sentir sa misère et la dominer, c’est bien là la grandeur de l’homme.

J’entends qu’on va rétorquer : mais vous arrivez à la même conclusion que Pascal : « C’est de sa misère même que l’homme tire sa grandeur ».

Expliquons-nous : la misère humaine, telle que la conçoit Pascal, est une misère imaginaire, due à une lointaine cause imaginaire, le péché originel. Malgré l’effacement de la souillure par le baptême, l’homme est attiré vers la faute, vers la corruption, vers la fameuse concupiscence, vers tout l’ensemble du mal. Ce n’est pas en tant qu’homme qu’il est misérable, c’est en tant que descendant du premier couple de pêcheurs : Adam et Ève. Ce qui fait sa grandeur – toujours d’après Pascal – c’est l’ensemble de ses efforts pour s’arracher à toutes les tentations pour vaincre la nature, pour rejeter même les liens d’affection familiale afin de ne songer qu’à se rapprocher de l’État qui lui paraît le plus agréable à Dieu, gagner sa bienveillance et conquérir ainsi ce qu’il espère : le bonheur éternel.

Cause imaginaire, effet imaginaire, espoir imaginaire.

La misère humaine, telle que nous la concevons, nous, n’a rien que de réel ; elle est due à la condition humaine tout simplement.

Elle est ressentie par tous les hommes, à quelque milieu qu’ils appartiennent, quels que soient leur degré d’instruction et la profession qui leur permet de vivre. Très nombreux sont les hommes qui sont pris de découragement lorsqu’ils comptent les longues années pendant lesquelles la nécessité leur imposera un travail parfois très pénible, parfois peu fatiguant, mais dépourvu de tout attrait, et qui ne les laissera vivre vraiment qu’au seuil de la vieillesse. Tous nous sommes exposés à la maladie. Tous nous sommes accablés par les deuils. La mort de l’un des nôtres, survenue après une maladie, nous laisse la déception d’une lutte inutile. La mort imprévue, accidentelle ou subite, nous déconcerte et nous met en face de notre néant.

Que d’exemples nous pourrions citer qui font ressentir à l’homme sa misère !

Il est inexcusable s’il s’y abandonne, et s’il accepte la consolation d’espoirs aussi vagues qu’illusoires, c’est qu’il n’était pas suffisamment armé pour affronter seul la vie et que l’éducation n’avait pas accoutumé sa raison à peser, à analyser les obstacles, lui indiquant ainsi le moyen de les surmonter.

Pourtant, l’homme ne vous semble-t-il pas plus grand si, rejetant la perspective des récompenses ou des châtiments chimériques, il puise dans son intelligence, dans sa raison, dans fierté – je n’ai pas dit son orgueil – le courage de vivre tout simplement en juste, selon les lois de la nature ?

Si l’homme est créature, il reçoit sa loi de son créateur. Mais qui ne voit que cela est au moins inutile ! « Tu ne mentiras pas. Tu ne voleras pas. Tu ne tueras pas. » Faut-il un Décalogue pour ne pas mentir, pour ne pas voler, pour ne pas tuer ?

Vous avez répondu…

L’homme, tout seul, s’est trouvé sa loi, qui résume tous les décalogues ; la voici : « Ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’on te fasse à toi-même. » Cette loi a paru si claire à l’humanité qu’on la trouve même dans les Évangiles, et il n’est pas besoin que ceux-ci l’aient empruntée à Confucius ou à quelque autre penseur : cette règle va de soi, parce qu’elle est humaine. Elle est née d’un impératif logique humain – et non divin – ; elle est née du simple bon sens ; elle est la raison sociale de tous les peuples.

Là, et seulement là est la loi de l’homme.

Mais l’application de cette règle ne va pas sans lutte : le désir de du bien d’autrui, l’appât des richesses, le goût des plaisirs, la soif des honneurs, l’ambition… ont besoin d’être réfrénés par une force qui peut aller jusqu’à l’héroïsme.

D’où vient cette force ?

L’homme créature est prévenu : « Vous ne pouvez rien sans moi », lui fait-on dire par le fils de son créateur : les religions inventent la grâce, le « secours d’en haut » sans lequel toute action est vaine ; l’apôtre Paul écrit aux Romains (IX, 18) : « Dieu fait miséricorde à qui il veut, il endurcit qui il veut », c’est-à-dire qu’il donne sa grâce, son secours à qui il veut.

On affirme que l’Écriture sainte est inspirée de Dieu, qu’elle est la « Parole de Dieu » qui ne peut ni se tromper ni tromper ses créatures. Donc, de deux choses l’une : ou ces paroles sont divines et vraies, ou elles ne le sont pas. Si elles ne le sont pas, toute la « révélation » s’écroule avec elles. Si elles le sont, il est exact, il est certain que l’homme créature ne peut rien sans son créateur.

Qu’est-ce, alors, qu’une vertu qu’on ne saurait exercer sans le secours d’un autre ?

L’homme, né de la nature, peut au contraire s’élever à la vertu par une lutte personnelle qui le fait humain par ses propres forces.

Là, et là seulement, est la vertu de l’homme.

Lutte personnelle ; lutte méritoire aussi… L’homme créature n’existerait que par et pour son créateur qui lui promet une destinée surhumaine.

Quel mérite y a-t-il à lutter pour une récompense, ou dans la crainte d’un châtiment ? D’ailleurs, puisque les jeux sont faits d’avance, puisque Dieu « endurcit qui il veut », qui prouve que telle créature n’est pas destinée à l’enfer, telle autre à l’éternel bonheur ?

Les vains essais de conciliation de ce problème de la prédestination et de la liberté ne servent qu’à compliquer les choses, à obscurcir les questions, et l’on glisse vers cette conclusion facile : il n’y a qu’à s’en remettre à la « Providence ».

Soit ! Mais alors toute religion devient inutile ; et l’homme né de la nature, peut aussi bien, dans la noblesse d’un effort désintéressé, vivre en homme juste parce que cela est digne de sa nature d’homme. Cet effort, il le fait seul, pour lui seul, en vue de son perfectionnement humain : afin d’acquérir au plus haut degré le titre d’humain pour lui-même, pour l’ennoblissement de sa race, pour le seul destin de l’humanité.

Là, et là seulement, est la dignité humaine.

Nous sommes donc en présence de ce dilemme : ou l’homme est une créature ou il ne l’est pas.

S’il est une créature, il vient du créateur et il retourne à lui comme sa fin dernière : il lui fallait cette promesse de béatitude infinie, car c’eût été bien méchant de le lancer dans cette « vallée de larmes » sans l’espoir, au moins, d’une cité céleste, d’un bonheur éternel.

Mais un tel espoir n’est fondé que sur des affirmations contradictoires que l’on ne cesse de discuter parce qu’elles sont sans preuve.

Partant du mot « devas » de la langue sanscrite, l’homme – il y a plusieurs millénaires – fit, de cet adjectif qui signifie « brillant », le nom : « le brillant ». Ce nom est passé en grec : dios et zeus; en latin : dies, « le jour », et deus, « le dieu » ; en français : dieu ; en anglais : tues; en allemand : diens; en lituanien : devas; en irlandais : dia

En faisant ainsi de cet attribut du soleil, astre visible, le nom d’un être suprême, invisible, abstrait, l’homme a créé la divinité. Le même mécanisme a joué pour la plupart des qualificatifs du soleil, par exemple : « très haut » devenu « le Très-Haut », c’est-à-dire Dieu.

Nier est inutile : la persistance de l’erreur n’est due qu’au refus de l’évidence.

C’est que les langues sont les témoins irrécusables de l’évolution des esprits, ce que nous venons d’indiquer brièvement suffit à montrer que l’homme est l’inventeur inconscient d’un dieu dont il a fait son maître.

Jusqu’à preuve évidente du contraire, preuve certaine, preuve indiscutée parce qu’indiscutable, tenons-nous en donc au simple bon sens : l’homme est apparu sur terre, et il est devenu ce que nous sommes au cours d’une lente, longue et pénible évolution.

Pour conclure, nous nous trouvons devant deux conceptions différentes de la nature humaine : l’homme et le fidèle d’une religion.

Il n’y a qu’une humanité. Il y a tant de religions ! Qu’ils soient bouddhistes, ou chrétiens, ou musulmans, ou ce que les ont faits les circonstances, les fidèles d’une croyance se dressent en face de ceux des croyances adverses, chacun étant persuadé que sa religion est la seule vraie ; d’où l’intolérance, les haines dites sacrées, les guerres saintes…

Au contraire, les hommes dégagés des dogmes, libres de leur pensée, peuvent trouver dans leur humble et terrestre origine le plus sûr, le plus vrai, le plus noble fondement de l’universelle fraternité humaine.

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Informations complémentaires

Année

2009

Auteurs / Invités

Victor Daumer

Thématiques

Condition humaine, Évolutionnisme, Humanisme, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions