Les États-Unis d’Europe

Midi de la Pensée libre

 

UGS : 2017022 Catégorie : Étiquette :

Description

À quoi servent les deux cents milliards d’euros alloués à la défense de l’Europe ? Essentiellement à payer un million et demi de militaires de carrière en Europe. Il faut y ajouter un million et demi de réservistes qui coûtent un peu moins cher. Combien, sur ce million et demi de militaires, sont opérationnels ? Si on interroge l’OTAN, il s’agit d’à peu près quatre-vingts mille hommes. Si on interroge l’Agence européenne de défense, il s’agit d’à peu près soixante mille hommes. Mais lorsque l’on demande le détail, on ne le reçoit pas. Récemment, l’ancien conseiller diplomatique de François Hollande s’est exprimé –, épanché –, dans la presse sur ces considérations politico-militaires. Il est bien au courant, parce que la France fait régulièrement des interventions en Afrique et, à chaque fois, elle essaye de demander à l’Europe de faire quelque chose. Alors on décide de créer une force européenne de quatre cent cinquante hommes, de sept cents hommes, de douze cents hommes. Il faut des mois pour rassembler le personnel voulu, pour trouver le matériel voulu, et éventuellement pour constater qu’il n’y en a pas, et alors on le loue aux Russes ou aux Ukrainiens ou à d’autres, voire à des firmes civiles. Cet ancien conseiller diplomatique dit qu’en Europe, il y a vingt mille militaires réellement opérationnels pour intervenir dans des opérations de haute intensité. Pas pour les montées de garde, au Mali, au camp de Koulikoro, c’est comme monter de garde, ici, devant les ambassades. Mais pour aller dans l’Adrar des Ifoghas, il faut des gens qui connaissent leur travail…

On a fait l’inventaire, en Europe, car on se demandait pourquoi il était si difficile de trouver quatre cent cinquante, sept cent ou mille deux cent hommes. Et c’est tout simplement, parce qu’il n’y en a pas.

Il y a vingt mille militaires européens réellement opérationnels, dont dix mille Français, en comptant parmi les Français les gens de la Légion étrangère, dont cinq mille Britanniques. Mais depuis la fin des aventures en Afghanistan et en Irak, on ne les voit plus nulle part et il y a, çà et là, quelques dizaines, quelques centaines de militaires qui peuvent éventuellement faire le boulot. Par exemple, aujourd’hui, en Irak, il y a quelques dizaines de militaires des forces spéciales belges qui ont participé à la reconquête de Mossoul, qui ont fait le coup de feu à Raqqa, etc. On n’en parle pas trop, car c’est une contribution limitée, mais réelle.

Il ne faut pas croire que la Belgique peut sortir plus de quelques dizaines de militaires opérationnels, alors que nous en avons trente mille. Nous payons trente mille militaires pour pouvoir en projeter quelques dizaines. Nous avons une très faible productivité de nos dépenses de défense en Europe. Si on compare avec les États-Unis qui, dans le passé, dépensaient six cents milliards et qui, à présent, disposent de sept cents milliards, ils ont un peu moins d’un million de militaires et prévoient d’augmenter seulement de sept mille le nombre de militaires. Ils vont surtout investir dans le matériel, les crédits de fonctionnement et d’opérations. Mais par contre les Américains ont deux cent mille militaires en opérations extérieures. On constate que sur base des moyens existants, les Américains arrivent à développer des capacités réelles militaires beaucoup plus importantes que les nôtres. Pourquoi est-ce ainsi ? C’est simple. Combien y a-t-il de Pentagone aux États-Unis ? Un ! Et combien y en a-t-il en Europe ? Vingt- huit, vingt-neuf, si on considère l’OTAN. À cela, on peut ajouter tous les services d’achat, de logistique, les écoles, etc.

En Europe, il y a cinquante-quatre écoles militaires de base pour vingt- huit États et vingt-neuf collèges militaires pour les formations continuées. Si on fait l’inventaire, aux États-Unis c’est plus rationnel. Il y a plus de deux cents écoles militaires aux États-Unis, West Point est l’académie de référence fédérale de l’armée de terre qui a été créée par Thomas Jefferson en 1802 sur le modèle de la Polytechnique française. Il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, il y a cinquante-deux National Guard qui ont aussi leurs écoles. Au point de vue fédéral, il y a West Point pour l’armée de terre, Annapolis pour la marine et les Marines, Colorado Springs pour l’Air Force. Ce sont ces écoles qui percolent vers les États qui ont leurs propres écoles locales, qui font en sorte que ces États suivent le modèle du grand frère et qu’il y ait une cohérence globale dans la formation de l’ensemble des officiers américains. On pourrait certainement arriver, en Europe, à une rationalisation importante.

Il ne faut pas oublier qu’aux États-Unis, pratiquement chaque université comporte sa division formation d’officier de réserve.

Qu’elle est la solution unique à ce problème du manque d’efficience de la défense européenne ? C’est d’arriver à une unité de décision. Tant qu’il y aura des États indépendants souverains qui vont chacun de leur côté décider du rééquipement, de la politique du personnel, de la politique de formation, etc. on arrivera à une gabegie invraisemblable. C’est comme si, dans une famille nombreuse, chaque membre de la famille décide l’acquisition du lave-vaisselle, du mobilier, de la literie, du départ en vacances : on imagine bien que ce serait du grand n’importe quoi. Pour faire une économie sur le trajet des vacances, il vaut mieux monter à six dans une voiture que partir avec six voitures différentes. Dans le domaine militaire, c’est la même chose.

Charles De Gaulle, mais d’autres aussi, avait déjà perçu ça il y a très longtemps. Le premier, en 1935, devant la montée des périls nazis, fascistes et communistes avait dit aux Européens qu’il devait absolument s’unir et créer les États-Unis d’Europe. Il s’appelait Winston Churchill, et il a écrit cela dans un journal américain. À ce moment, en Grande-Bretagne, il était un peu out en politique et c’est pourquoi il a fait un voyage aux États-Unis. Dans une interview, on lui demanda son avis sur la situation en Europe. Il répondit que si les Européens veulent éviter les problèmes avec Hitler, Mussolini et Staline, ils doivent absolument créer les États-Unis d’Europe. Il n’a pas été écouté.

En 1946, Winston Churchill est à nouveau dans l’opposition, et on l’invite à faire un discours à l’Université de Zurich. Il répète la même chose, mais ce discours est beaucoup plus connu : il figure d’ailleurs sur les sites européens. Le discours de 1935, c’est l’union européenne qui fait de la désinformation par moments, on n’en parle jamais. Et pourtant, il existe : on peut le retrouver dans le livre du comte Coudenhove-Kalergi. Les promoteurs de l’idée européenne dans les années 1920 et 1930 citent in extenso le discours de l’article de Winston Churchill. En 1949, Charles de Gaulle dit que si l’on veut réellement assurer la sécurité de l’Europe, il faut une Europe fédérale ; dans d’autres discours, il a dit confédérale. C’était un militaire saint-cyrien, il n’a pas fait de droit, et pour lui la différence entre « fédérale » et « confédérale » n’est pas très claire. Cela s’explique parce qu’il y a un État qui s’appelle la Confédération helvétique qui, en fait, est une fédération.

En 1951, une troisième personne a dit, en anglais, à Londres –, c’était un Américain –, que sans un État fédéral, il n’était pas possible de défendre l’Europe. Il s’appelait Dwight Eisenhower et, à l’époque, il était le commandant en chef des forces atlantiques en Europe. On n’a écouté aucune de ces trois personnes. Monnet, Shuman, Beyen et toute la bande qui avaient créé la CECA : ils avaient une vision étriquée de la politique et du gouvernement des États, c’est une vision essentiellement économique. C’est logique, car Monnet durant toute la Première et la Deuxième guerre mondiale avait été réformé pour raison de santé et s’était occupé essentiellement du ravitaillement des États et des forces armées. Il voyait la guerre sur le plan économique et il ne se préoccupait pas trop des opérations ni des relations politiques entre États. Il a conçu la CECA en pensant commencer par le charbon et l’acier. Il n’a pas du tout embrayé sur l’idée de Winston Churchill des États-Unis d’Europe ni sur l’idée de Charles de Gaulle, avec qui il ne s’entendait pas du tout depuis la Deuxième guerre mondiale. Mais de Gaulle avait raison de s’opposer à cette communauté européenne de défense qui, soi-disant, créait une armée européenne au départ sans union politique et d’emblée sous le commandement d’un général américain. Peut-on expliquer à l’opinion publique que l’on va créer une armée européenne commandée par un Américain ? Cela veut dire que les troupes européennes seront des supplétifs, comme à l’époque de Jules César : ce sont ceux qu’on envoie au casse-pipe, ceux auxquels on donne tout le mauvais boulot, et où il n’y a aucune responsabilité politique. Et c’est, évidemment, toujours Rome qui a tiré profit du sacrifice de supplétifs gaulois ou germains… De Gaulle ne voulait pas de ça et c’est pourquoi il a, avec l’appui des communistes, réussi à bloquer ce traité à l’Assemblée nationale française. Pourquoi ne voulait-il pas de cette communauté européenne de défense ? Parce qu’il voulait, d’abord, mettre en place une Europe politique, cette idée commune entre lui, Winston Churchill et Dwight Eisenhower. Car sans unité sur une décision politique, on ne peut pas aboutir à une politique européenne de sécurité de défense politique. Ce qui est un préalable absolu à la création d’une défense européenne.

Informations complémentaires

Année

2017

Auteurs / Invités

Jean Marsia

Thématiques

Géopolitique, Questions européennes, Union européenne