Description
L’idée étant que la construction de l’Europe de la défense, bottom up, en nouant des petites coopérations entre les Belges et les Hollandais, entre les Belges et les Français, etc., en réalité, cela ne fonctionne pas. Cela ne fonctionne pas pour des raisons historiquement très claires.
Il y a, depuis 1989 jusqu’à tout récemment, eu illusion, en Europe, que les menaces avaient disparu avec l’implosion de l’empire communiste. Nous savons, notamment à Bruxelles avec les attentats, que c’était une illusion. À la suite de ces nouvelles menaces, parmi lesquelles figure non pas une menace, mais une inquiétude que j’appellerai le Brexit, un certain nombre de conséquences à tirer.
Le Brexit
La teneur de l’article 50 du Traité sur l’Union européenne décrit comment un État qui veut quitter le « club » peut s’en aller. Les règles sont strictes. La Grande-Bretagne a notifié le 29 mars 2017 son désir de quitter l’Europe ; donc, le 29 mars 2019, elle sera dehors. Un délai de deux ans pour négocier un accord de séparation est beaucoup trop court. Il faut quatre ans pour négocier la moindre directive européenne, même très simple. Ils n’y arriveront pas. Donc le 29 mars 2019, la Grande-Bretagne sera simplement un État tiers. Ce sera dramatique, un peu pour nous, beaucoup plus pour eux. À mon avis, même si cela ne changera rien à nos relations dans le cadre de l’OTAN, ce sera tellement dramatique sur le plan économique que les Britanniques seront obligés d’appliquer le dernier alinéa de l’article 50 qui prévoit qu’un État qui est sorti l’Union européenne peut demander à y rentrer. Et on applique alors les procédures classiques prévues à l’article 49. On fait beaucoup de bruit autour du Brexit, mais finalement c’est relativement simple.
1949 – Traité de Washington – Création de l’Alliance Atlantique – Prémices de l’OTAN
Depuis 1949, les Américains reprochent aux Européens de ne pas en faire assez pour leur défense. Et depuis 1949, les Européens se sont arrangés pour qu’un effort absolument minimal, un peu plus élevé à l’époque de la guerre de Corée, et puis, graduellement, on a diminué jusqu’en 1989. Et à partir de 1989, on a diminué de deux tiers, c’est dire qu’aujourd’hui, on n’est vraiment pas loin du tout.
Dans le Frankfurter Allgemeine Zeitung, on peut lire que le Sénat américain a voté une augmentation du budget de la défense au-delà de l’augmentation proposée par Donald Trump. Donald Trump souhaitait faire passer le budget de six cents milliards – équivalent en euros – à six cent soixante milliards. En Europe, on dépense environ deux cents milliards, alors que nous sommes cinq cents millions ; les Américains, quant à eux, sont trois cent cinquante millions. Le Burden and Risk sharing – la charge et le partage des risques – n’est pas près de se rétrécir, mais est plutôt en train de s’élargir. La conclusion que l’on peut en tirer, c’est que l’Union européenne est incapable de répondre à la requête de ses alliés. Cette requête est relativement justifiée, puisque nous avons à faire à des menaces et il ne faut pas s’étendre très longtemps sur la caractéristique des attaques dont nous avons été victimes.
La carte ci-dessus est très interpellante, puisqu’elle dévoile l’ensemble des territoires qui ont été touchés par les attentats islamistes. On constate que plus de quatre-vingts pour cent de la superficie ne concernent pas l’Europe, d’autres statistiques nous indiquent nonante pour cent des victimes sont extra-européennes.
L’essentiel du problème, c’est une guerre civile entre chiites et sunnites, ou entre clans chiites et clans sunnites, etc. C’est extrêmement compliqué, presque aussi compliqué qu’une guerre civile au Liban, par exemple. Nous ne sommes que les victimes d’une sorte d’épiphénomène : il s’agit d’un problème qui, finalement, ne nous concernent pas beaucoup.
Dans Le Monde, Emmanuel Macron déclarait vouloir assigner, à l’Europe, la mission de mettre fin à la guerre entre les chiites et les sunnites. Il me semble que ce garçon, qui était prometteur durant sa campagne, est atteint d’une maladie bien connue des Grecs anciens qui s’appelaient l’hubris, c’est-à-dire la démesure.
Premier sujet d’inquiétude après la menace terroriste, parce qu’il n’a pas encore fait de morts en Europe, ou très peu, mais bien dans la périphérie : il s’agit de l’évolution de la Russie sous la direction de Vladimir Poutine.
Lorsque Vladimir Poutine a remplacé Boris Eltsine, c’était pour mettre fin au chaos et rendre la Russie une stature un peu moins dramatique. À cette époque, son idée était de faire – c’était également l’idée de François Mitterrand, d’ailleurs – l’Europe de Lisbonne à Vladivostok, de faire une grande alliance des Occidentaux pour se prémunir notamment de menaces terroristes islamistes qui ont frappé aussi bien en Russie, qu’en Tchétchénie, et jusqu’à Moscou. Cette ambition a été contrée par un certain nombre d’Américains, qui ont de la Russie une idée extrêmement négative, qui veulent absolument abaisser la Russie, comme si la guerre froide, à l’époque, n’avait pas été arrêtée.
Vladimir Poutine a constaté que son rêve d’entrer dans l’OTAN, ou en tout cas en partenariat étroit avec l’Union européenne n’avait aucune chance d’advenir.
À l’automne 2007, Vladimir Poutine est venu, en Europe, à la Sicherheitskonferenz – Conférence sur la sécurité – qui se tient annuellement à Munich, grand rendez-vous de tous les spécialistes géopolitiques occidentaux. Qu’est-il venu dire à Munich ? Il a dit que l’Europe avait une politique systématique d’abaissement de la Russie et un système politique, démocratique, médiatique qui ne correspond absolument pas à ce que la Russie veut créer comme modèle d’État, qui ne correspond pas à nos traditions autocratiques. Il a également déclaré vouloir faire la guerre à l’Europe. Très peu de gens ont fait écho à cette annonce. Pratiquement aucun politique, aucun académique, aucun Think Tank n’a intégré ses propos.
Ce qui est interpellant, c’est que, depuis, il fait ce qu’il a dit : il a commencé avec la Géorgie, parce que Mikheil Saakachvili, poussé par des Américains un peu fous, a cru qu’il allait pouvoir attaquer la Russie avec une défaite sanglante pour les Occidentaux et avec la prise de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud. L’Union européenne et l’OTAN ont tout juste pu arriver à un cessez-le-feu, et par conséquent, à un conflit gelé de plus par rapport à tous ceux qui existaient déjà. Dès cette époque, un certain nombre de spécialistes en géopolitique, en relations Est-Ouest, ont prévenu, notamment un professeur de l’Université de Strasbourg, que la prochaine étape serait la Crimée, dans un article de 2009. Et les événements en Crimée ont, effectivement, eu lieu. À la suite de cela, d’autres articles sont parus, ils prévenaient que Vladimir Poutine ne s’arrêterait pas à cela, qu’il voudrait récupérer toute la partie russophone de l’Ukraine en commençant par le Donbass, et puis Marioupol, et puis Odessa. L’Ukraine se retrouverait avec l’ancien territoire de ce qui était la Pologne, Lviv ou Lvov, selon que l’on parle le russe ou l’ukrainien et qui a été fondée sous le nom de Léopoldstadt par Marie-Thérèse d’Autriche. Cela démontre que les frontières européennes sont parfois mouvantes. Les ambitions de Vladimir Poutine ont été bloquées par les sanctions économiques.
Depuis Vladimir Poutine a une attitude relativement menaçante, et grâce à cette attitude menaçante, il gagne des points sur le plan politique. Encore maintenant, sont en cours, à la frontière entre l’Union européenne, la Russie et la Biélorussie, les manœuvres zapad qui reproduisent les manœuvres de l’époque soviétique où, tous les quatre ans, l’armée rouge montrait ses muscles face à l’OTAN pour essayer de faire pression sur ses voisins immédiats. Cela effraie beaucoup les Polonais, les Baltes, les Roumains, les Bulgares qui ont créé, parce qu’il constate que l’Union européenne est incapable de les aider. L’initiative des trois mers, où douze États de l’Est européen se sont réunis, à la fin de l’été 2017, sous la présidence de Donald Trump à Varsovie, pour essayer de voir comment se prémunir contre les menaces qu’ils perçoivent du côté russe. La Russie n’est pas prête à envahir tout, ou partie, de l’OTAN.
Le problème dans ce genre d’affaires, c’est que ce n’est pas la menace réelle qui compte : c’est la perception de la menace. C’est exactement comme la question de savoir si une jeune femme peut se promener à une heure avancée de la soirée tranquillement entre la place Anneessens et la place de Broeckère. Au regard des statistiques criminelles, cette jeune femme court moins de risques en faisant le trajet à pied, qu’en se rendant en voiture, à la Côte d’Azur, en plein été, nettement moins de risques. Mais la perception de la menace est extrêmement différente. La perception de la menace fait que l’Europe devrait réagir pour rassurer ses États membres de l’Est.
L’habileté extrême de Vladimir Poutine qui a tenté de non seulement améliorer considérablement les capacités de l’armée rouge, fait qu’il se révèle également être un maître diplomate. Entre la Turquie et la Russie, il y a cinq cents ans d’histoire militaire commune et ce sont cinq cents ans de guerre. Et voilà qu’après s’être battu en Syrie ou à la frontière entre la Syrie et la Turquie –, pour rappel Erdogan a quand même osé faire abattre deux avions russes entraînant la mort d’un pilote, ce qui est quand même une atteinte fondamentale à l’image de la Russie –, Vladimir Poutine retourne Erdogan comme une crêpe et s’en fait un ami. Car, après le coup d’État plus ou moins réel des gulénistes, il a pris fait et cause pour Erdogan. Il a détaché Erdogan de l’alliance occidentale, de l’alliance des Américains. Pour le moment, Erdogan est plutôt dans la lignée russe, à tel point qu’il vient de signer un important contrat d’armement, où il achète son nouveau système de missiles antiaériens chez les Russes.
Certains analystes partagent l’hypothèse que l’on est entrain d’assister à la naissance d’un nouveau pacte von Ribbentrop-Molotov qui était également un pacte complètement contre nature, mais qui a favorisé le démarrage de la Deuxième guerre mondiale. On ne dira pas que c’est le début de la troisième guerre mondiale, mais c’est un élément perturbant et extrêmement inquiétant pour l’avenir des relations internationales.
Parmi les innovations de Vladimir Poutine, il a redressé une industrie de défense qui était fort mal en point à l’époque de Boris Eltsine, faute de moyens. Il a beaucoup investi dans ce qu’on appelle, dans le jargon de l’OTAN, Anti-Access and Area Denial. C’est-à-dire qu’il a la capacité d’interdire aux matériels terrestres, aux avions, aux bateaux de l’OTAN d’accéder à certaines portions de territoire terrestre ou maritime. Ce sont, par exemple, tout un tas de systèmes de missiles anti-aériens dont le SA-
21, le S-300, le S-400 que la Turquie vient d’acheter, mais aussi l’Iran. Cela veut dire raid israélien pour détruire les installations nucléaires iraniennes, aujourd’hui, devenues beaucoup plus compliqué. Il y a également des systèmes antinavires qui interdisent complètement les approches de l’Atlantique, par exemple le long des côtes de Norvège et certainement à la totalité de la mer Noire. Ces systèmes sont déployés en Crimée et ils sont déployés le long de la frontière, entre l’Union européenne et la Russie. Tant les systèmes anti-aériens, que les systèmes antinaval ont une portée de quatre cent cinquante à six cents kilomètres et interdisent à des navires occidentaux de montrer le bout de leur nez. Ces missiles peuvent être tirés depuis des avions, depuis des sous-marins, depuis des navires ou depuis des véhicules terrestres.
Il y a aussi des armes beaucoup plus offensives. À l’époque de Mikhaïl Gorbatchev, de Ronald Reagan, etc., on avait obtenu des accords qui ont fait que les missiles, en Allemagne, ont été démantelés. Mais les Russes sont en train de créer des systèmes de missiles qui sont tout juste en-dessous des limites imposées par les traités de désarmement, mais qui n’ont pas leur équivalent du côté occidental. Ce sont des missiles qui sont, par exemple, stationnés à Kaliningrad –, ancienne Königsberg, patrie de Kant –. De là, ils menacent Berlin et Varsovie. Berlin et Varsovie sont aujourd’hui sous la portée de ces nouveaux missiles russes qui ont aussi des capacités de destruction suffisante que pour empêcher, par exemple, une attaque blindée massive occidentale pour récupérer, par hypothèse, des États baltes qui auraient été occupés. Ils ne vont sans doute pas envahir les États baltes, et il ne faudra sans doute pas faire une contre-offensive. Mais il faut savoir que ces systèmes ont une telle capacité qu’ils influent sur les rapports de force politique.
Exemple supplémentaire, la Russie a commandé deux mille trois cents exemplaires de ce nouveau char T14 Armata, arme offensive par excellence. Il existe des vidéos qui montrent comment Poutine se sert de l’arrivée de nouveaux systèmes d’armes pour construire une offensive de propagande absolument inconnue depuis l’époque d’Adolf Hitler. Il passe à la télévision plus de films qui montrent comment ils se servent de ses chars pour glorifier l’esprit nationaliste russe et pour attirer la sympathie des électeurs russes.
Deux mille trois cents chars, c’est quatre fois plus que ce qu’il ne reste de chars opérationnels en Europe occidentale, parce que l’on a considérablement diminué le nombre de chars dans nos armées, considérant que ce n’était plus actuel. Pierre Vimont, lors d’une conférence, il y a trois ans, expliquait que le char était un outil obsolète.
Lorsque vous regardez la télévision, on peut y voir des images de Syrie, d’Afghanistan, du Yémen et, partout, les forces armées opèrent avec des chars et de l’infanterie, parce qu’on n’a pas encore trouvé mieux. Alors, qu’un très haut responsable dans le domaine politico-militaire, vienne dire que le char est obsolète, cela démontre qu’un certain nombre d’élites occidentales sont complètement déconnectés de la réalité.
Et en plus de la commande ces nouveaux chars qui sont hyper modernes et qui surclassent tous les chars occidentaux, Vladimir Poutine fait rénover toute la série de chars précédente. Cela veut dire qu’il a un arsenal de plusieurs milliers de chars, là où nous pouvons en aligner quelques centaines.
La Turquie
On ne sait pas trop comment Erdogan évolue, s’il veut faire l’union des sunnites ou l’union des turcophones, ce n’est pas très clair. Mais il s’occupe des Ouïgours en Chine, des Rohingyas, des Frères musulmans en Égypte, etc., et même des élections en Allemagne. Apparemment, Erdogan est également atteint d’une forme d’hubris, encore plus grave que celle d’Emmanuel Macron.
Toujours est-il qu’il pose un sérieux problème, parce qu’au sein de l’OTAN, nous avons soi-disant un allié qui est peut-être un cheval de Troie. Même si pour un Turc, être Troyen, c’est être Grec ; c’est bizarre, mais la ville de Troie est située sur le territoire actuel de la Turquie.
« Ceci n’est pas une menace », comme le dirait Magritte, néanmoins l’arrivée au pouvoir de Donald –, qui n’est pas inventé par Disney, et qui est beaucoup plus méchant que le Donald de Disney, en tout cas beaucoup plus imprévisible –, introduit, dans notre approche d’analyse géopolitique un facteur d’inquiétude supplémentaire, un facteur d’imprévisibilité non négligeable. Ceci dit, Donald Trump a, autour de lui, un certain nombre de personnages de qualité. On a pu observer depuis quelques mois, à certains moments, qu’ils ont la capacité de le ramener sur les rails et d’éviter que ça ne « déconne » vraiment trop.
Les généraux Mattis, en particulier, et McMaster sont des valeurs sûres de l’establishment militaire américain. Ce sont des personnalités suffisamment modérées pour contredire le président et lui dire, par exemple, publiquement, que l’idée d’intervenir militairement en Corée n’a aucun sens. Il est rassurant de savoir que ces personnes l’entourent.
Informations complémentaires
Année | 2017 |
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Auteurs / Invités | Jean Marsia |
Thématiques | Géopolitique, Questions européennes, Union européenne |