Description
Frédéric Lenoir termine son intéressant ouvrage, Dieu, par un épilogue dans lequel, quittant l’histoire, il se situe personnellement par rapport à la question de « Dieu ». Il y écrit notamment ceci : « Comme le rappelle mon ami André Comte-Sponville, il y a des athées dogmatiques, comme il existe des croyants dogmatiques », et plus loin : « Mais toute discussion est quasiment impossible avec un croyant ou un athée dogmatique, qui préfère le choc des certitudes à la recherche commune de la vérité ». La question est de savoir si vraiment on peut parler d’athéisme dogmatique et ce qu’il faut entendre par la recherche commune de la vérité et de quelle vérité. Cette double question a inspiré la triple réflexion suivante.
L’athéisme n’est pas une croyance ; il est une incroyance, une non-foi, une prise de position argumentée et justifiée, une attitude face au « religieux », à ses doctrines et à ses pratiques et donc à ses dieux qu’il dénonce comme n’étant qu’invention humaine, fantasme d’éternité, rêverie surnaturelle, féerie d’un au-delà mythique… L’athée se découvre tel dans une démarche éminemment personnelle. Cette prise de conscience ne va pas de soi étant donné l’imprégnation religieuse (traditions, coutumes, folklores, éthique, idées reçues…) de nos cultures, dont il aura fallu péniblement et patiemment se libérer. L’athéisme (ne devrait-on pas plutôt parler d’athéité ? !) ne trouve pas son origine dans une doctrine et il n’est pas en soi une doctrine et, sauf exception, il ne s’impose pas comme une « vérité » venant d’ailleurs, du dehors de soi, contrairement au « religieux » qui s’impose de par une naissance, une éducation familiale et scolaire au sein d’une société – fût-elle sécularisée – immanquablement pénétrée de tradition religieuse.
Un athée regarde notre monde (univers, nature, vie) dans sa seule dimension naturelle et humaine, ayant découvert qu’il n’y en a aucune autre, sachant que la connaissance du monde comme de soi-même ne sera jamais achevée, sachant qu’un esprit humain est incapable de saisir la réalité de ce monde dans son essence même et sa totalité. Il est cependant capable de prendre conscience de sa réelle et particulière reliance au monde et d’en éprouver le plaisir d’être, de vivre, de penser…, penser par soi, pour soi, contre soi… Il fait sienne cette parole de Jacques Monod : « L’Ancienne Alliance est rompue ; l’homme sait enfin qu’il est seul dans l’immensité indifférente de l’univers, d’où il a émergé par hasard » (Le Hasard et la nécessité).
Toute doctrine ou idéologie, même religieuse, n’est que le produit de cerveaux humains et ne prend un caractère dogmatique que par la volonté de ses auteurs et de ses adeptes. Ce caractère trouve son origine dans le mental, le psychisme de ces derniers qui le traduisent dans leur doctrine ou idéologie même. Le dogme est une spécificité des religions qui s’est cependant étendue à des doctrines ou idéologies politiques, économiques (la pensée unique, l’irrationalité des mouvements boursiers) et autres. Dogmatisme et totalitarisme sont liés. Un esprit totalitaire se croit détenteur de la vérité (politique, économique, sociale, religieuse…) et veut l’imposer. Le « religieux » se prête bien à cela, car il se présente comme le produit d’une révélation divine qui lui confère un caractère universel et absolu, devant laquelle tout être humain devrait s’incliner afin d’y rallier sa conscience.
Une certitude, telle celle que Dieu n’existe pas, même radicale, n’est pas pour autant dogmatique ; elle n’émane pas d’une doctrine ou idéologie objectivement détentrice d’une vérité indéniable, mais elle s’est forgée au sein de la conscience d’une personne qui la vit comme étant sienne, résultat de son propre cheminement, d’un travail de recherche et de réflexion et grâce au dialogue, à l’écoute, à l’observation… D’ailleurs cette certitude « n’a pas aujourd’hui les mêmes conséquences tragiques que celui des fanatiques religieux » ainsi que le reconnaît lui-même Fr. Lenoir, confondant cependant certitude et dogmatisme.
Il nous faut faire la part des choses entre ce qui n’est qu’hypothétique et imaginaire, c’est-à-dire objet de croyance, et ce qui est objet de savoir, constaté, expérimenté, vécu, prouvé…, habilité à être exposé rationnellement par un travail intellectuel personnel, faisant intervenir des faits, des événements, l’histoire, les sciences… Ce qui est objet de croyance est de l’ordre de l’émotion qui, d’ailleurs non contrôlée par la raison, a tendance à verser dans l’obscurantisme et le dogmatisme. De la phrase citée du philosophe Merleau-Ponty, « on ne peut pas discuter avec les catholiques, car ils savent », il faudrait plutôt comprendre : car ils croient savoir. Ils sont incapables de savoir, car depuis que la conscience humaine a émergé (et cela date !), le « surnaturel » n’a jamais pu être établi objectivement et ne pourra jamais l’être puisque, selon le théologien Adolphe Gesché, « Dieu meurt au contact de la preuve » ainsi que, selon le cardinal Danneels, « si on prouvait scientifiquement que Dieu existe, cela détruirait la foi ». Autrement dit « Dieu » n’est qu’objet de foi, le demeurera à tout jamais et ne fera jamais l’objet d’un savoir. Par contre, l’athéisme, négation de l’existence d’êtres divins ou surnaturels, est de l’ordre de la raison, sa référence majeure ; il s’exprime en termes de savoir et se caractérise par son relativisme au sens où cette certitude est toute relative aux expériences, recherches, observations, échanges, réflexions qui y ont conduit, et n’est en rien une adhésion à une idée ayant valeur absolue, allant de soi.
« Toute discussion est impossible, affirme Fr. Lenoir, avec un croyant ou un athée dogmatique » – ainsi qu’il les appelle –, c’est-à-dire avec un croyant ferme dans sa foi obéissante à des dogmes ou un athée ferme dans sa certitude forgée et acquise de par sa propre conscience. Bien au contraire, elle est nécessaire et serait même plus fructueuse qu’avec un croyant peu dogmatique ou un athée peu affirmé, voire un agnostique, avec lequel il serait sans doute plus facile de s’accorder sans aller au fond des choses. Que l’on soit poussé jusque dans ses derniers retranchements et que la position de chacun apparaisse très claire, un dialogue peut se réaliser dans un esprit d’ouverture et d’amitié. Car la question n’est pas que nous arrivions toutes et tous à une même pensée, une même croyance, une même « vérité », mais que chacune, chacun en arrive à construire la sienne propre.
Considérant l’inexistence de « Dieu(x) » comme un fait établi, un athée peut très bien concevoir que cette certitude ne soit pas partagée et soit contestée. Tant mieux si elle est partagée, tant mieux si elle est contestée ! Tel est l’état d’esprit d’un athée qui, malgré la radicalité de sa pensée, peut faire preuve de respect d’autrui parce qu’il ne se prétend pas détenteur de « la vérité ». Mais, qu’est-ce que la vérité ? Cette question qui a traversé tous les temps depuis que l’homme est homme en passant par la bouche d’un certain procurateur romain adressée à un certain révolutionnaire selon un certain écrit, ne cessera jamais d’être posée !… La vérité n’est pas une ; elle n’est pas une entité en soi ; elle est multiple : il n’existe que des êtres vrais, des gens vrais, des comportements vrais, des relations vraies, des idées vraies… Qu’est-ce qui en détermine le vrai ? À chacune, chacun de trouver sa réponse pour soi-même dans son vécu, dans sa reliance à un monde hypercomplexe ! À nous, les humains, de nous fixer nous-mêmes nos vérités, nos sens, nos valeurs et nous y accorder. N’est-ce pas ce qui se produit déjà trop lentement mais sûrement ? L’important n’est-il pas que nous arrivions à construire une humanité plus humaine, éliminant en nous-mêmes ce qui est susceptible d’entraver celle-ci, sachant que l’entrave la plus courante est le non-respect de la conscience d’autrui ?
Athéisme et dogmatisme sont antinomiques, car ils s’inscrivent dans des registres différents. L’un comme l’autre doit être replacé et compris dans le registre qui lui est spécifique : le premier, celui de la rationalité ; le second, celui de l’irrationalité. Ce n’est pas, à mon avis, sur le plan religieux ou à son propos (« entre les croyants et les non-croyants » ni même « entre les tolérants et les intolérants, entre les dogmatiques et les non-dogmatiques ») que se situe le « clivage le plus profond » entre les humains, mais à la place que nous donnons à l’humain (« la mesure de toute chose ») dans nos préoccupations et actions. Car le clivage entre les humains se creuse dans la réalité de leur existence concrète sur un autre plan : celui de l’éthique, entre celles et ceux qui ont le souci et la volonté d’appliquer les principes inscrits dans la Déclaration universelle des Droits de l’Homme (toujours à actualiser, clarifier, affiner), et celles et ceux qui les ignorent complètement, refusent même de les appliquer. Regardons les maux et malheurs engendrés lorsqu’ils sont bafoués, lorsqu’il est fait fi de l’humain : sur le plan mondial, le règne de l’Argent, de la Finance sur l’Économie et les conséquences désastreuses dans l’existence de millions de gens ; dans divers pays, les dégâts de l’islamisme dans les populations. Notons en France tout le foin autour de l’homosexualité, sa reconnaissance au même titre que l’hétérosexualité. Etc. Etc.
Informations complémentaires
Année | 2013 |
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Auteurs / Invités | Noël Rixhon |
Thématiques | Athéisme, Croyances, Dogmatismes, Idéologie, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions |