Obsolescence programmée : Acteurs ou complices ?

Libres propos de Geoffroy BLONDIAUX

 

UGS : 2019004 Catégorie : Étiquette :

Description

Quand on parle d’obsolescence programmée, on parle de quelque chose qui nous touche tous, parce que ça nous touche dans notre consommation, parce qu’on le voit régulièrement dans les médias, parce que c’est dans l’air du temps. On a tous un exemple d’un téléviseur, d’un lave-linge qui est tombé en panne trop vite. À côté de ça, il faut peut-être prendre de la hauteur, avoir une certaine rationalité et voir comment on peut répondre politiquement à la question.

Pour prendre de la hauteur, il faut revoir le comportement des consommateurs et se dire que l’on s’inscrit dans une économie circulaire, dans un nouveau développement économique. Actuellement, on est dans une économie qui est linéaire : on va extraire des ressources, on les utilise et puis on les jette et on oublie complètement d’où elles viennent et où elles vont aller. L’obsolescence programmée a pour but de répondre à ce problème et à cet enjeu de raréfaction des ressources. Il y a beaucoup d’enjeux autour de nous, pour le moment, qui doivent être pris ensemble de manière transversale et de manière collective.

Prendre un enjeu séparément serait problématique pour les autres enjeux : les enjeux démographiques, les enjeux des inégalités, les enjeux du réchauffement climatique… Tous ces enjeux doivent être pris ensemble dans une perspective de développement durable. Avoir une réponse uniquement sur un problème qu’on entend dans les médias, sur l’obsolescence programmée, risque d’être problématique pour le long terme. Politiquement, il est vraiment important d’avoir une perspective assez large.

Par exemple, les énergies renouvelables demandent maintenant beaucoup plus de minerais qui sont très rares. Le numérique, qui nous domine, demande aussi ces minerais rares et il y a évidemment une raréfaction des ressources pour l’approvisionnement de ces minerais. De nombreux chercheurs ont montré que l’on n’arriverait pas à ce développement durable si nous n’avons pas une vraie logique économique pour capter ces ressources, maintenant qu’elles ont été extraites du sol et utilisées, afin qu’on puisse les réutiliser une seconde fois. Cette logique doit être prise rapidement en Belgique, parce que nous n’avons pas de minerais et que nous ne pouvons pas toujours vivre en dépendance par rapport aux autres pays.

Cette constatation amène deux points de vue : un point de vue sur la consommation durable et un point de vue sur la production.

Sur la production, il faut se demander ce que l’on produit encore chez nous et quelles sont les activités économiques que l’on fait encore chez nous. On ne va pas aller extraire des minerais, mais on peut peut-être réparer les produits que l’on a chez nous.

En termes de consommation, on est tous d’accord pour dire que notre consommation a extrêmement changé depuis cinquante ans, en bien ou en mal. Parce qu’il y a des éléments qui sont vraiment positifs et il y a des éléments pour lesquels on est tous conscient que des produits à usage unique, qui ne servent à rien, sont inutiles. Quand on parle d’obsolescence programmée, on en parle moins sur les produits électroniques, mais on parle de l’alimentaire, on parle des emballages et c’est aussi une certaine obsolescence programmée. Il y a des emballages de cure-dent qui ne servent à rien, tout comme les emballages sur une paille. C’est une vraie question de se dire politiquement : « Que fait-on avec ce genre de produits ? ». On doit également se poser la question de la longévité et de la durabilité de nos produits. Politiquement, il faut dépasser le débat de comptoir et dépasser les discussions que l’on peut avoir dans les médias et qui vont très vite pour dire que : « Oui, c’est un fait, Apple a créé une obsolescence programmée ». Apple a changé son logiciel pour que les anciens modèles soient moins performants que les nouveaux modèles. Tim Cook l’a reconnu. Juridiquement – et il faut rester rationnel –, il est très compliqué, maintenant, de pouvoir attaquer Apple sur ce genre de considérations, même si l’on sait qu’il y a un problème et qu’il s’agit d’une politique commerciale déloyale. Quand on achète un produit, on pense qu’il a certaines capacités qui seront constantes tout au long de la durée de vie de ce produit. Si les capacités de ce produit changent, il y a, si on va en justice, un comportement déloyal. Et ça, c’est un fait !

Cela n’empêche que, du point de vue politique, il y a peut-être une réponse à apporter, parce que pour le consommateur et pour la protection du consommateur, il est vraiment important de se dire que l’on se sent vraiment lésé. Que ce soit parce que des ampoules ou des bas nylon durent moins longtemps, parce que certains lave-linge ne tiennent pas aussi longtemps que celui dont on se souvenait, celui de sa grand-mère qui, quelquefois, ne tenait pas aussi longtemps qu’on se l’imagine. Il faut encadrer ce genre de comportement. Il faut vraiment que l’État protège le consommateur quand il a fait un achat réellement abusif et où il y a eu une volonté manifeste de tromperie sur le consommateur. Mais cela amène des stratégies multiples. C’est pourquoi il est très compliqué d’apporter des réponses spécifiques et politiques de grand public. Il y a deux principes dont la réparabilité, parce que c’est une question qui intéresse particulièrement la ministre Marie-Christine Marghem. Pourquoi la réparabilité ? Parce que la réparabilité relie le consommateur et le producteur et parce qu’elle amène à plus d’emplois chez nous. On ne produit plus de machine à laver, de Gsm, mais on les utilise chez nous et on les répare chez nous.

La Belgique est une plateforme logistique où tous les produits arrivent de Chine ou des pays producteurs. Les produits sont ensuite disséminés partout en Europe et ne sont pas toujours utilisés chez nous, mais ils pourraient très bien être réparés chez nous. C’est de l’emploi qui peut être peu qualifié, mais pas uniquement. De plus en plus d’entreprises développent chez nous des centres de recherche, des centres d’écoconception de leurs produits.

Par exemple, Toyota qui n’a pas de site de production en Belgique, y a un site de recherche et de développement, – pas seulement en Belgique, mais au Japon également –, pour faire évoluer ses produits. Être proche de l’endroit où l’on récupère les produits est très intéressant, parce que l’on connaît les failles du produit et que l’on peut améliorer le produit à sa base.

Dans ce sens, on revient aux compétences de la ministre Marghem qui sont des compétences fédérales et des compétences de normes de produits.

Les normes de produits sont liées à la prévention. On souhaite avoir un produit qui soit le plus facilement utilisable sur le long terme, qui ait le moins d’impact environnemental et qui soit évidemment réparable. C’est dans ce cadre qu’une étude a été menée avec quatre partenaires du Benelux (la Belgique, les Pays-Bas, le Luxembourg et le secrétariat du Benelux) pour définir les critères assez concrets sur la réparabilité des produits. On en parle beaucoup, mais il n’existe pas vraiment de critères uniformisés des produits, sur des lave-linge et des aspirateurs. Des constructeurs (Bosch et Siemens) ont soumis leurs produits et les ont donnés aux soumissionnaires qui les ont démontés et qui ont aussi essayé d’aller voir sur le site Internet des différents producteurs afin de voir si on savait acheter des pièces détachées. Ils ont également créé un logiciel qui permet d’évaluer le degré de réparabilité des produits. Ça a l’air simple si l’on ne l’applique qu’en interne, lorsqu’on regarde ce que fait Moulinex, par exemple. Mais c’est beaucoup plus complexe lorsque l’on tente de l’appliquer à tous les produits, toutes marques confondues. L’intérêt, ici, est d’avoir un critère uniformisé par catégorie de produits qui pourrait être utilisé soit pour l’affichage, ce qui a un impact direct sur le consommateur, sur sa volonté d’acheter un produit réparable ou pas, soit directement sur le producteur. En effet, – on a déjà eu des retours – certains producteurs ont décidé de changer leurs produits en améliorant certains critères de leurs produits pour être plus réparables. Par exemple, ils ont enlevé un type de colles et l’ont remplacé soit par des colles qui s’enlèvent, soit par des vis, afin de réparer plus facilement et d’avoir un accès plus direct aux pièces détachées, ce qui est tout aussi important. Cette étude a eu un impact sur les producteurs, mais elle a aussi eu un impact sur la Commission européenne.

Pour le moment, au niveau européen, il y a des législations qui encadrent la description des produits, c’est la « directive ecodesign ». Cette législation évolue de plus en plus vers une directive qui va prendre en compte l’économie circulaire et l’utilisation des ressources, où ces critères de réparabilité, issus du Benelux, seront pris en compte par l’Union européenne. Cette importante question de réparation amène à d’autres conclusions pour les fournisseurs et on en revient à un exposé assez long sur l’économie de la fonctionnalité. Il est primordial que le producteur se rende compte du rôle qu’il a à jouer dans la fourniture d’un service. Dans une économie linéaire, il est certain que la vente est la fin de vie d’un produit. Dans une économie plus circulaire, dans une économie de fonctionnalité, l’utilisation ou le service rendu aux consommateurs est très important. Ces critères de réparabilité sont indispensables pour que l’entreprise offre le meilleur produit à son consommateur avec des indicateurs et des senseurs. Ceux-ci peuvent être numériques pour savoir exactement quand le produit est en pleine capacité : quelle est la quantité de poudre à lessiver qu’on doit mettre dans une machine ou combien de temps pourra durer un cycle ? On arrive dans un encadrement politique assez complexe, parce que toutes les solutions sont différentes et que cela montre que le débat est ouvert.

Les enjeux sont nombreux, mais il faut les envisager de manière optimiste. Les solutions qui nous sont proposées pour le moment sont des solutions qui apportent une plus-value aussi bien sociale, qu’environnementale, qu’économique.

Juste avant de recevoir son Prix Nobel, le docteur Denis Mukwege a rappelé que lorsqu’il répare toutes ces femmes, c’est parce que ces femmes sont des victimes de guerre. Et elles sont victimes de guerre, précisément, pour que nous ayons tous ces métaux rares qui nous permettent de changer de téléphone tous les six mois.

Avant tout autre chose, nous sommes des acteurs et nous pouvons aussi décider de ne pas être complices de tout cela. Le critère de l’obsolescence psychologique ne devrait pas peser lourd face à ce genre de catastrophe.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Libre propos de Geoffroy Blondiaux

Thématiques

Consommation / Consumérisme, Obsolescence programmée, Protection du consommateur, Questions européennes

Année

2019

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