Mohamed Iqbal

Libres propos d’Abdennour BIDAR

 

UGS : 2020019 Catégorie : Étiquette :

Description

Mohamed Iqbal est un philosophe musulman majeur du XXe siècle qui a développé une pensée musulmane novatrice. Il a beaucoup lu Nietzsche et il est intéressant de voir comment Mohamed Iqbal discute avec lui.

Qu’est-ce que l’islam spirituel ?

On pourrait commencer par se dire que l’islam spirituel est un pléonasme, mais il s’agissait simplement de signaler que l’islam peut être autre chose que du « religieux » dans le sens le plus basique ou le plus commun du terme ; c’est-à-dire le respect par le croyant, le respect par le fidèle de tout un ensemble de préceptes, d’une loi religieuse, d’une morale religieuse. Mais que l’islam, comme toute autre grande tradition spirituelle du monde, peut aussi être matière à questionnement et pas seulement à obéissance.

L’islam peut également être utilisé par l’individu comme un support de prise de conscience, comme un support de méditation de la condition humaine, de ce dont elle est capable et de « ce qui, comme le dirait Blaise Pascal, en l’homme passe infiniment l’homme ». C’est-à-dire de la part de transcendance qu’il y a dans tout cœur humain en réalité.

Il s’agit simplement avec cette expression « l’islam spirituel de Mohamed Iqbal » de faire comprendre qu’il ne va pas simplement être question de répéter des dogmes religieux ou de répéter une orthodoxie religieuse sur le mode « fait pas ci, fait pas ça » ou « ça, c’est bien ; ça, c’est mal », mais que l’islam, à travers par exemple la richesse du Coran, peut être un support de méditation sur ce que l’on pourrait appeler le « mystère de l’existence » ou le « mystère de l’univers » qui, à la fois nous dépasse infiniment et nous appelle, nous parle.

Mohamed Iqbal était un grand contemplatif et il nous rappelle que le Coran invite sans cesse à regarder la nature. On le sait peu, mais, en effet, le Coran est un texte dans lequel il y a des exhortations récurrentes, continuelles, à observer les étoiles, à observer la succession du jour et de la nuit, à observer les petites et les grandes merveilles de la nature pour y trouver, peut-être, l’inspiration d’une grande puissance créatrice.

Le Luther de l’islam

Ici, on fait référence à la figure fondatrice du protestantisme, dans la civilisation occidentale au début du XVIe siècle, mais, comme toute analogie, c’est à consommer avec modération. C’est-à-dire que l’on ne trouvera pas, chez Mohamed Iqbal, un protestantisme musulman. Mais on se souvient que du côté de Luther et du côté du protestantisme, il y avait cette volonté, cette ambition, de retrouver un christianisme plus originel, un christianisme plus évangélique par delà ce que l’Église catholique en a fait du point de vue de Luther. Luther pensait qu’il fallait retrouver le contact presque direct avec l’origine, le contact direct avec le Jésus que l’on voit vivre et parler dans les Évangiles. C’est un peu ce que l’on retrouve chez Mohamed Iqbal. Il disait d’ailleurs que la tradition de l’islam a un peu oublié son esprit d’origine et qu’il s’agit de retrouver un élan et une inspiration par delà tout ce que la tradition, pendant des siècles, a fossilisé, a sédimenté et qui s’est figé.

En fait, pour Mohamed Iqbal, il s’agit, à la fois, de retrouver l’origine et le mouvement. Autrement dit, la possibilité de comprendre et de vivre l’islam d’une manière plus « vivante » que, justement, une religion qui est une religion « fixe », qui, d’une manière fixe, détermine une morale, détermine une pratique, détermine des rituels… Avec Mohamed Iqbal, c’est un vent de liberté qui souffle.

La laïcité, compatible ou pas ?

Mohamed Iqbal ne considère pas que la religion puisse faire la loi et c’est très important. Pour lui, la loi spirituelle, s’il y a une loi spirituelle, c’est à chacun de se la donner de manière autonome. Il écrit d’ailleurs à la fin de son livre Reconstruire la pensée religieuse en islam : « Si nous, les humains, voulons progresser spirituellement, nous devons passer d’un âge à un autre de la vie spirituelle. Dans le premier âge, qui était un âge religieux, l’homme trouvait en dehors de lui une loi religieuse fixée de la même manière pour tous et nous devons entrer dans l’âge de l’autonomie ». En ce sens, on pourrait dire que Mohamed Iqbal est un penseur des Lumières de l’islam.

Il ne supprime pas l’idée de lois, il l’intériorise au sens où, selon lui, sur le plan spirituel, c’est à chacun de se donner des règles de vie, des principes de vie et à chacun de méditer profondément, à la fois au quotidien et au long court, sur ce qui lui paraît juste.

L’islam, pour Mohamed Iqbal, est un support de méditation sur ce qui est vrai, sur ce qui est juste, ou comme le dirait Platon « sur ce qui est bien, sur ce qui est beau ». En aucun cas, pour Mohamed Iqbal, la religion n’a le droit de devenir un pouvoir qui s’impose d’en haut aux individus.

Le déclin de l’islam

Pour Mohamed Iqbal, l’islam est en déclin depuis très longtemps. Il fait débuter le déclin de l’islam à la moitié du XIIIe siècle et à un événement en particulier qui est la destruction de Bagdad en 1258. Sa thèse est que, depuis cette période, l’islam s’est figé et notamment la pensée dans le domaine spirituel : les musulmans se sont mis à répéter beaucoup ce que disaient déjà les anciens ; ils se sont mis à cultiver une vénération excessive du passé. En conséquence de quoi, les musulmans ont oublié de rêver, ont oublié d’inventer, ils ont oublié cet esprit, à la fois, de liberté et de créativité.

C’est pourquoi toute l’œuvre de Mohamed Iqbal est un véritable appel. C’est un appel qui enjoint les musulmans à se réveiller. Il leur dit qu’ils entrent dans un monde mondialisé où tout le monde les regarde, où tout le monde regarde tout le monde, plus exactement. Et s’ils veulent gagner le respect des autres civilisations de la planète, il faut que l’islam redevienne une grande culture, et d’abord une grande culture spirituelle, c’est-à-dire qui a quelque chose à dire aux êtres humains, qu’ils soient musulmans ou non musulmans, sur le sens de la vie.

La notion d’étranger

« Lorsque je quitterai ce monde,
Chacun dira : ‘Je l’ai connu.’
Mais la vérité est, hélas !
Que personne ne savait
qui était cet étranger
ni d’où il venait. »

Mohamed Iqbal cultivait cette image de lui-même comme celle d’un étranger à cette terre, d’un étranger à ce monde, comme s’il était en exil ici-bas – sur un mode un peu religieux – parce qu’il avait, sans doute, conscience d’avoir en lui des intuitions, une conscience très difficile à partager. Il avait conscience d’abriter en lui un secret d’une certaine façon. Il a essayé de le dire dans toute son œuvre, il a essayé de dire par la philosophie, il a essayé de le dire par la poésie, puisqu’il était un très grand poète, vénéré au Pakistan, l’équivalent même de Victor Hugo par exemple. Malgré tous ses efforts de poète et de philosophe, il a sans doute eu l’impression de ne pas parvenir à transmettre son secret, parce que ce secret relève tout simplement du mystère, de l’ineffable, de l’indicible.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Libres propos d'Abdennour Bidar

Thématiques

Islam, Laïcité, Penseurs et société, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions

Année

2020

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