L’immersion linguistique

Robert BRIQUET

 

UGS : 2006030 Catégorie : Étiquette :

Description

La connaissance des langues est une exigence fondamentale de la société d’aujourd’hui.
Pour pouvoir la réaliser, des procédures diverses sont mises en place, parmi lesquelles les méthodes pédagogiques d’immersion linguistique.
Cette manière originale et très efficace d’enseigner les langues vivantes nous est présentée par l’un de ses principaux initiateurs en Belgique.

La nécessité d’apprendre d’autres langues en plus de la langue maternelle n’est plus à démontrer : que ce soit pour les enfants jeunes, les étudiants, les travailleurs, les demandeurs d’emploi !

L’ensemble de la société est concerné.

Un large consensus s’est opéré là-dessus depuis quelques années : l’apprentissage de langues étrangères est un impératif économique, social, culturel, politique.

L’apparition, il y a dix-huit ans, d’un programme d’immersion linguistique à l’école fondamentale Lycée Léonie de Waha Liège, puis plus récemment, dans toute la Communauté française, a sans doute accéléré cette prise de conscience.

Les débats suscités autour de l’immersion par ses détracteurs et ses partisans, qui sont de plus en plus nombreux, ont amené chacun à s’interroger sur la question.

Si cet impératif est largement reconnu, les moyens à mettre en œuvre pour y parvenir sont loin de faire l’unanimité.

En effet, de multiples méthodes d’apprentissages des langues existent, donnant souvent des résultats mitigés.

Parmi les réponses, l’immersion linguistique !

Celle-ci permet d’apprendre efficacement une langue seconde : cela est incontestable et incontesté. Mais, plus qu’une méthode, l’immersion s’érige en un véritable système éducatif.

Qu’est-ce que l’immersion linguistique ?

L’immersion, nous dit le dictionnaire, est l’action de plonger, d’immerger un corps dans un liquide. Au figuré et en matière d’apprentissage des langues, il s’agit de placer un individu dans un contexte linguistique (celui de la langue à apprendre ou langue cible) qui puisse être comparé à un bain tant il immerge et imprègne l’individu.

L’hypothèse qui sous-tend la démarche immersive est que l’apprentissage d’une seconde langue peut s’appuyer sur des processus semblables à ceux qui ont permis l’acquisition de la langue maternelle par un enfant. Le bébé a appris sa langue maternelle dans les premiers mois de sa vie, et même in utero dans les dernières semaines précédant sa naissance, parce qu’il a entendu ses parents lui parler et se parler.

Cet input est absolument essentiel pour que l’enfant puisse émettre des sons, puis des mots auxquels il accorde un sens précis, en suivant la progression que tous les parents connaissent.

Le « bain de langue » auquel le bébé est confronté lui permettra de parler la langue de la personne qui s’occupe de lui.

Il s’agit donc pour l’enseignant immersif non pas de donner des cours de langue, mais de donner la plupart des matières du programme en langue cible. C’est là une différence fondamentale par rapport à l’apprentissage traditionnel des langues.

La langue seconde (L2) sert de moyen de communication entre enseignant et apprenants et aussi, dès que possible, entre apprenants entre eux.

Conditions de réussite

Un programme d’immersion linguistique doit se penser et se préparer longtemps à l’avance. L’improvisation et la précipitation ne pourront que conduire au désastre.

Au contraire, une préparation sérieuse (s’informer, lire les ouvrages sur le sujet, visiter des écoles immersives en fonctionnement) et le respect de quelques règles simples, mais essentielles garantiront un bon départ.

Les conditions de réussite principales peuvent se résumer comme ceci :

Précocité

Idéalement, le programme débutera à cinq ans (3e maternelle).

C’est la période la plus propice pour les apprentissages langagiers : ils sont rapides, fiables et durables.

La précocité est vraiment un élément essentiel d’un programme d’immersion.

Comme pour beaucoup d’autres apprentissages, il y a des périodes sensibles. La disponibilité intellectuelle d’une part et, d’autre part, la plasticité des organes phonateurs et auditifs d’un enfant de 5 ans lui assurent à cet âge des possibilités immenses dans le domaine qui nous occupe.

Ces possibilités décroissent à partir de sept-huit ans, si elles ne sont pas utilisées.

Les neurobiologistes attribuent cette déperdition à une sclérose des synapses en l’absence de stimuli précis correspondant aux sons spécifiques des langues non utilisées.

Ce seuil critique concerne surtout la phonétique.

La grammaire et le vocabulaire pourront bien entendu faire l’objet d’études couronnées de succès, même si l’apprenant est adolescent ou adulte.

Par ailleurs, plus on commence tard, plus on réduira la durée de l’exposition de l’enfant à la langue cible. Et par la même occasion, les résultats à en attendre.

Intensité

En milieu scolaire, pour être véritablement efficace, l’immersion doit être massive : septante-cinq pour cent du temps scolaire en langue cible en début de programme (3e maternelle, 1re et 2e primaire).

L’apprentissage de la lecture peut alors avoir lieu en langue cible.

En deçà, une immersion partielle (cinquante pour cent en langue cible) donnera des résultats moindres, mais permettra des progrès intéressants en L2 de la part des apprenants.

En revanche, dans l’hypothèse d’une immersion partielle, l’apprentissage de la lecture se fera en français dans les cinquante pour cent du temps qui lui seront dévolus. En perdant les bénéfices de la volonté et de l’intérêt de l’enfant d’apprendre à lire aussi dans sa langue maternelle après avoir appris en langue seconde.

Un dispositif qui ne permettrait pas une exposition importante à la langue cible ne donnerait pas les résultats escomptés. L’intensité, c’est le fondement même de l’immersion. L’apprenant est plongé dans le bain de langue, même s’il est surtout concentré sur la matière du cours (mathématique, lecture, musique, histoire…) bien plus que sur la façon de parler de l’enseignant.

C’est le grand nombre d’heures pendant lequel l’enfant est baigné en langue cible (L2) qui lui permet de s’approprier la langue. Cela se déroule de façon non consciente, comme il a acquis sa propre langue avec ses parents. Les processus d’acquisition de la langue maternelle et de la langue seconde sont remarquablement semblables. Plus les parents ont parlé avec leur enfant surtout dans les premières années de sa vie, même in utero, plus l’enfant a de chances d’acquérir ultérieurement un niveau de langage tout à fait satisfaisant.

Jamais de traduction

L’enseignante immersive va parler beaucoup, mais exclusivement en langue seconde. Il lui est formellement interdit de parler en français, même sur la cour de récréation.

L’enfant doit admettre, parce qu’il le vit, qu’il doit fournir l’effort nécessaire pour comprendre ce que dit l’institutrice et faire ce qu’on attend de lui. L’institutrice ne lui traduira pas. Elle répétera, dira autrement, fera des gestes, des mimiques, montrera, fera imiter, aidera, emploiera des périphrases. Au besoin, elle dédoublera ses messages, fera intervenir des bruits ou d’autres sens : toucher, goût… L’enfant est en situation d’obligation de faire attention, de comprendre.

En classe immersive, pas de listes de mots, de vocabulaire traduit. L’enfant comprend, enregistre les mots, les expressions, les phrases parce qu’ils ont du sens pour lui.

Professeurs natifs de la langue cible

Idéalement, les enseignants immersifs sont des natifs de la langue cible (native speakers). Ils doivent parler beaucoup, de façon fluide, en employant les tournures de phrases, idiomes et expressions de la langue cible.

La qualité de la langue employée par l’enseignant immersif est un point crucial des programmes d’immersion. L’enfant absorbera et restituera la langue (accent, intonation, vocabulaire…) que lui donne son enseignant. Autant que ce soit correct !

Bien entendu, certains enseignants belges (ou d’autres nationalités) ont ces capacités-là pour des raisons personnelles (séjours à l’étranger par exemple). Sans être majoritaires, ils ont bien entendu aussi leur place dans les programmes immersifs. D’autant que leur culture francophone aide à conserver un ancrage local au programme, tout comme les professeurs de français de l’école.

Objectifs

Quels objectifs un programme d’immersion peut-il s’assigner dans l’enseignement fondamental ?

Les objectifs pédagogiques peuvent se résumer comme suit : amener les élèves, à la fin de la sixième primaire, en français, en mathématique et dans les autres matières, à des compétences au moins égales à celles d’enfants non immergés et, en langue cible, à des compétences les plus proches possibles d’enfants natifs du même âge.

Les objectifs pédagogiques se doublent d’un objectif démocratique.

En effet, l’immersion convient à nonante à nonante-cinq pour cent de la population scolaire. Seuls, les enfants porteurs d’un handicap lourd doivent être écartés de ces programmes et recevoir un enseignement adapté.

L’immersion met donc gratuitement à la disposition d’enfants de toutes les couches sociales un dispositif qui leur permet d’apprendre efficacement une langue.

Résultats

Peut-on déjà tirer des enseignements des premiers programmes d’immersion ?

Les élèves de la première classe immersive de 3e maternelle (ouverte en 1989) ont obtenu leur certificat d’études de base (CEB) en juin 1996 dans les mêmes conditions que les autres élèves non immergés. Leurs résultats étaient au moins égaux à ceux des autres élèves. Année après année, on a pu faire les mêmes constatations. L’immersion ne nuit en rien aux autres apprentissages, y compris le français. En effet, l’habitude d’utiliser deux codes linguistiques et de passer constamment d’une langue à l’autre rendent les élèves immergés beaucoup plus sensibles aux phénomènes linguistiques. Le français bénéficie donc d’apport en langue cible. Les deux langues s’additionnent, se renforcent.

Ces observations de la situation immersive en Communauté françaises sont totalement corroborées par toutes les études menées à l’étranger (Canada, États-Unis…). Les élèves acquièrent les mêmes compétences que les autres élèves dans toutes les matières du programme plus une langue seconde.

Le dispositif immersif exhibe donc toutes les qualités d’un système éducatif à part entière.

D’autant que d’autres avantages non négligeables sont venus s’ajouter à ceux-là.

Les élèves immergés, par l’accès à une autre culture, font preuve de plus de tolérance que les enfants non immergés. Ils montrent aussi davantage d’organisation dans le travail (nécessité de s’organiser pour faire les devoirs et travaux dans les deux langues), de motivation (ils sont très fiers de ce qu’ils accomplissent), de possibilités pour apprendre ultérieurement une troisième, voire une quatrième langue.

Conclusions

L’immersion est le dispositif le plus efficace pour apprendre une langue seconde dans le cadre scolaire plus toutes les matières du programme. L’idéal est qu’elle soit mise en œuvre dès la troisième maternelle.

Elle s’appuie sur des bases scientifiques et ne nuit en rien aux autres apprentissages, et en particulier au français.

L’immersion, loin d’être une mode, est un système éducatif.

La plupart des pays européens mettent en œuvre des programmes immersifs.

Les programmes d’immersion sont transposables, à d’autres langues, à d’autres écoles. Les succès engrangés par les programmes qui fonctionnent déjà doivent permettre de susciter une certaine généralisation.

L’installation de programmes immersifs nécessite une préparation minutieuse et de grandes précautions.

La demande émanant des parents pour installer des dispositifs efficaces d’apprentissage des langues est énorme : c’est d’une actualité brûlante.

Le marché de l’emploi et l’édification de l’Union européenne rendent impératif l’apprentissage d’autres langues. Il y va de l’intérêt général.

Les pouvoirs publics doivent se préoccuper sérieusement et d’urgence de l’apprentissage des langues et enfin prendre des mesures concrètes destinées à faciliter la création et le fonctionnement des programmes immersifs.

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Informations complémentaires

Année

2006

Auteurs / Invités

Robert Briquet

Thématiques

École / Enseignement, Enfance, Langues, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses

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