L’identité et l’écologie

Léo GOEYENS

 

UGS : 2023001 Catégorie : Étiquette :

Description

Commençons par les « concepts »

Je me réfère au sociologue et philosophe français Edgar Morin : pour lui, « l’écologie » est un englobement (oikos) et une organisation (logos). Autrement dit, l’écologie étudie les relations entre les organismes vivants et leurs milieux de vie. Cette science s’est surtout développée à partir de la notion d’écosystème, c’est-à-dire de l’ensemble constitué par le milieu géophysique et les espèces qui y vivent. Il existe un phénomène d’intégration naturelle entre végétaux et animaux, tant humains que non humains. La force de l’écosystème est son caractère autoréorganisateur spontané. Cependant, cela ne signifie en aucun cas que l’écosystème ne peut pas être tué. Il suffirait d’injecter un « poison chimique » à des doses qui provoquent la mort en chaîne d’espèces liées les unes aux autres.

L’Anthropocène

Dans sa publication de 2002, Paul Crutzen présume que, depuis la fin du XVIIIe siècle, la planète Terre a quitté sa période géologique appelée « Holocène » pour entrer dans une nouvelle période appelée « Anthropocène ». Ce terme indique que les humains ne sont pas seulement les témoins du changement, ils en sont surtout les acteurs. Et déjà en 2002, Crutzen constate la présence de nombreuses substances toxiques dans l’environnement.

En 2009, Johan Rockström et ses collègues nous proposent les neuf principaux paramètres du changement environnemental ainsi que leurs limites planétaires à ne pas franchir. La limite planétaire pour la pollution chimique n’a été définie que plus tard et il est immédiatement apparu qu’elle avait déjà été dépassée.

Troisième point de mire

Une nouvelle branche scientifique, appelée « Santé planétaire », se développe. Notre ère se caractérise par les impacts humains sur les systèmes naturels, qui sont à la base de la civilisation. Neutraliser ces impacts nécessite une vision holistique de la santé, capable de reconnecter la santé des écosystèmes, des végétaux et des animaux, tout en tenant compte des grands problèmes auxquels l’humanité est confrontée. Cette discipline repose sur les thèmes liés aux trois grandes failles à combler, identifiées par la Commission Rockefeller Foundation – Lancet : le défaut de conception, le défaut de connaissances (recherche et communication) ainsi que le défaut de mise en œuvre (gouvernance).

Parlons de pollutions chimiques

Elles se produisent surtout depuis la fin de la Deuxième guerre mondiale et ne cessent de s’aggraver. La pollution mondiale a déjà suscité d’inquiétantes prévisions : je cite les publications de Paul et Anne Ehrlich, mais plus particulièrement le rapport Meadows de 1972. Ce rapport considère l’ensemble et l’amplification des dégradations due au développement techno-économique et arrive à la conclusion, qui constitue son titre, Les Limites à la croissance.

Quelques exemples !

Saviez-vous que l’utilisation mondiale de pesticides est estimée à 3,5 millions de tonnes en 2020, en d’autres mots à plus de cent kilos par seconde.

Saviez-vous que les concentrations des substances fluorées (les fameux PFAS) dépassent fréquemment les normes existantes d’un facteur mille.

Saviez-vous que les micro- et nanoplastiques, appelés les petits chevaux de Troie, sont bourrés de toxines et traversent les barrières de l’organisme. Ils ont déjà été identifiés dans les poumons, le cerveau et même le fœtus.

Alors pourquoi plusieurs me disent que tout cela n’est pas si grave ? Pourquoi une indifférence et un déni ?

Il est affligeant de constater qu’une « science poubelle » existe à côté de la science solide.

L’historien des sciences Robert Proctor a écrit : « …à côté de la recherche qui accroît notre savoir, existe une autre recherche qui s’attelle à saper les savoirs existants et n’est menée que pour créer le doute, une science construite uniquement pour rassurer et pour retarder l’action des instances réglementaires ». Et le philosophe de l’ULB et de l’UMons Marcel Voisin : « … aujourd’hui, il y a deux sortes de scientifiques, les adeptes et complices de la religion du profit maximum immédiat qu’on écoute et promeut et les vrais chercheurs du progrès humain qu’on veut ignorer. La raison, le bon sens, la logique, mais aussi la simple humanité, la nécessaire fraternité, les proclamées « valeurs démocratiques », tout ce qui fait l’honneur de l’humanité est en fait évacué malgré l’hypocrisie lénifiante officielle… ».

Les adeptes de la science poubelle font du « doute destructif » une marchandise, parce qu’ils ont compris que ce doute rapporte. Il s’agit en grande partie d’une vision erronée de la science. Beaucoup pensent que la science produit des certitudes. Et si la certitude fait défaut, on pense que la science se trompe ou n’est pas achevée. Or, la science ne fournit pas de preuves absolues, elle ne fournit qu’un consensus d’experts, fondé sur l’examen minutieux des faits et de l’approche. Le scientifique sérieux recherche et continue à rechercher la vérité, que le biologiste et humaniste français Jean Rostand définit ainsi : « La vérité que je révère, c’est la modeste vérité de la science, la vérité relative, fragmentaire, provisoire, toujours sujette à retouche, à correction, à repentir… car, tout au contraire, je redoute la vérité totale et définitive, la vérité avec un grand V, qui est à la base de tous les sectarismes… ».

Aujourd’hui, le volume et la vitesse de la désinformation, tant involontaire qu’intentionnelle, rendus possibles par les technologies de l’information et de la communication, sapent la confiance dans la science et remettent en question le consensus scientifique sur la nature de la menace et sur les réponses à y apporter. Je suis très désagréablement surpris de voir la désinformation éroder la confiance du public dans la science et la démocratie et interférer avec notre capacité à construire un monde meilleur. Pourtant je suis fermement convaincu que la science solide, c’est-à-dire la science, qui recherche « la vérité » avec un petit v en utilisant une méthode qui inclut « le recours au libre examen » et qui s’oppose donc à la science poubelle, mérite la confiance de tous.

Par ailleurs, je présume que les scientifiques ‒ et même les dirigeants élus ‒ partagent le besoin de gagner la confiance des citoyens et de travailler dans leur intérêt. La contre-vérité affaiblit la confiance, inhibe les progrès de la science, et déstabilise la démocratie. La confiance déclinerait parce que nous devenons indifférents aux valeurs de la vérité et de la véracité dans un climat, qui favorise la prolifération des fake news, auxquelles il est (trop) facile de croire.

Revenons à la crise actuelle, à la crise de l’Anthropocène, au changement global auquel nous devons faire face. En « situation de crise », la confiance est absolument nécessaire pour garder l’espérance d’une résolution collective. Elle engage les acteurs à rechercher des compromis pour leurs objectifs souvent contradictoires et favorise la prise de décision. La confiance est essentielle pour une gestion de crise efficace ; autrement dit, une attention particulière doit être accordée aux conditions de l’émergence et du maintien de la confiance au cours de la gestion de la crise, tant écologique que sociale. J’ajouterais même que certaines décisions devraient déjà être prises avant la survenue de la crise. Nous avons déjà pris du retard.

De plus, faire confiance appelle à la conviction que la « coopération » avec l’autre amènera à un résultat supérieur à une action menée seul. La confiance est un facteur nécessaire à la construction de coopérations comme mis en évidence dans les modèles organisationnels.

Il est frappant de constater que les preuves proviennent de sources inattendues.

Le professeur de biologie mathématique à l’université de Harvard, Martin Nowak, souligne l’importance de la « coopération ». Charles Darwin a mis l’accent sur la lutte pour l’existence ; il a considéré la compétition comme l’essence même de l’évolution. Les organismes « forts » gagnent la lutte pour la vie et, tôt ou tard, tous les autres sont éradiqués. Or, Darwin se réalisait que la lutte pour l’existence ne pouvait pas se limiter à la chasse aux faibles ; il a écrit dans ses publications : « Les animaux sociaux sont encouragés à aider les membres de la même communauté d’une manière ou d’une autre… » Cette idée est reprise par Nowak. Il souligne que l’homme est stimulé par ce même désir de soutenir ses « camarades ». Il démontre par ses modèles que tous les organismes, aussi petits ou complexes soient-ils, coopèrent pour vivre.

Cette vision est confirmée par plusieurs textes, récents et anciens. Voici la conclusion d’un éditorial de cette année du journal Nature. Parmi les « polycrises » du monde, celle de l’eau est l’une des plus urgentes. Dans le monde entier, environ deux milliards de personnes n’avaient pas accès à l’eau potable en 2020 ; 1,7 milliard de personnes ne disposaient pas d’installations sanitaires de base. Chaque année, plus de huit cent mille personnes meurent de diarrhée, causée par l’eau insalubre et le manque d’hygiène. Cet éditorial conclut que : « Les délégués réunis doivent accepter que les visions de leurs pays ne se réaliseront pas tant que toutes les nations ne parviendront pas à trouver un moyen de coopérer même en période de tensions et de conflits ». La coopération, une solution à un problème planétaire !

Nous retrouvons le même message dans un recueil, intitulé One World or None ou Le monde sera un ou il ne sera pas, publié en 1946. Plusieurs physiciens faisant autorité, dont cinq prix Nobel, ont mis en garde contre les armes nucléaires. Ils ont souligné que la civilisation était confrontée à des défis plus sérieux que jamais ; ils ont exprimé leur vive préoccupation au sujet de l’ère nucléaire annoncée quelques mois à peine après les attaques sur Hiroshima et Nagasaki. Niels Bohr a écrit dans la préface : « Les scientifiques se considèrent depuis longtemps comme une fraternité, travaillant au service des idéaux humains communs… » Pour info, la « fraternité » est définie par le dictionnaire Larousse comme le lien de « solidarité » qui devrait unir tous les membres de la famille humaine ! Les auteurs ont décrit le danger comme un thème urgent, mais l’homme a eu la chance de garder le danger sous contrôle pendant au moins sept décennies. Aujourd’hui la question se pose de savoir si nous avons l’approche la plus appropriée dans ce domaine. Comment devons-nous organiser la société ? Pour la réponse à cette question, je copie à nouveau Niels Bohr : « …la civilisation est en effet confrontée à un défi plus sérieux que jamais, et le destin des gens dépendra de leur capacité à former un front uni contre les dangers communs et à utiliser ensemble les grandes opportunités offertes par le progrès de la science… ». Former un front uni ; tous ensemble donc pour l’amélioration et le progrès. Un conseil en or !

En conclusion

Cerner une identité en relation avec l’écologie s’avère être une entreprise difficile ; identifier, par contre, les problèmes écologiques s’avère facile. Il me semble aujourd’hui primordial de trouver et élaborer des solutions à ces problèmes et pour cela les concepts d’identité et d’engagement retiennent mon attention particulière. J’ai surtout voulu décrire les outils ou approches par lesquels chacun d’entre nous peut contribuer à la santé de la planète. J’ai voulu décrire la démarche de ceux qui espèrent encore pouvoir nettoyer le gâchis et préparer un avenir décent pour les plus jeunes et pour les nombreuses générations à venir.

Voilà ce qui devrait être la raison impérative de travailler à la concorde et de construire la confiance avec le ciment de la vérité et de l’honnêteté. Nous pouvons disposer du triptyque confiance – coopération solidarité, servons-nous en de la plus judicieuse des manières.

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Informations complémentaires

Année

2023

Auteurs / Invités

Léo Goeyens

Thématiques

Écologie, Éducation à la citoyenneté, Environnement, Sciences, Solidarité, Chimie, Coopération

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