Description
Qu’est-ce que la philosophie ? Une suite de réponses incompréhensibles à des questions insolubles, sourit l’humoriste anglais. Des siècles durant, les systèmes philosophiques se succèdent, se chevauchent, se détruisent. Chaque philosophe espère se substituer définitivement à tous ses prédécesseurs, tantôt en les contredisant, tantôt (comme un Dilthey) en les groupant de manière à les obliger de se contempler l’un par l’autre. Mais la vérité finale continue à se dérober, quelque manière qu’on emploie pour la circonscrire. C’est alors que, contrastant avec l’essor victorieux des sciences physiques, cet opiniâtre échec provoque, le XIXe siècle finissant, un scepticisme croissant à l’égard de la philosophie. Celle-ci se rétrécit, peu à peu, dans un cercle de disciplines mineures. Le philosophe ne se fera plus que l’historien ou le commentateur de ses devanciers. Ou bien il s’abritera sous les sciences, en s’appliquant à découvrir, tantôt ce qui commande leur développement général, tantôt même (ainsi un Bachelard, avec ses « rationalismes régionaux ») ce qui caractérise chacune dans son secteur particulier.
Cependant !… Cesserons-nous jamais de nous interroger sur ce que nous sommes, sur le sens de notre destinée, sur la réalité du monde qui nous entoure ?… Le plus fort soupçon que ces problèmes resteront sans réponse claire et définitive, nous empêchera-t-il jamais de les poser ?
Qu’il y ait ainsi des préoccupations trop essentielles pour que, malgré leur caractère élusif, elles souffrent longtemps d’être éludées, la vogue récente d’un mouvement comme l’existentialisme en fournit, s’il est besoin, une preuve nouvelle.
L’existentialisme sert de pavillon à des marchandises diverses. C’est, tout d’abord, une école plus ou moins littéraire, qui a plus ou moins conduit à ce qui s’appelle aujourd’hui le nouveau roman, qui s’est plus ou moins illustré, hier, avec un Sartre, – celui de La Nausée et de Huis-Clos, plutôt que de ces Chemins de la Liberté ne débouchant que sur l’ennui ; ou de cette P… respectueuse, seulement habile à tenir ses promesses de grossière facilité.
Ce fut encore une espèce de bohème tournant autour de Saint-Germain-des-Prés, et ne présentant guère d’autres singularités que celles de toutes les bohèmes, depuis la vague anarchie des mœurs, jusqu’à la nonchalance étudiée du vêtement.
Écartons ces deux derniers sens, pour ne retenir que celui qui intéresse la philosophie.
Là encore, la variété s’affiche. Nous ne trouverons nulle part une philosophie existentialiste unique ; mais des systèmes divers, et si différents que, malgré les liens qui les assemblent, nous les verrons, par exemple, opposer un Gabriel Marcel, catholique militant, à un Jean-Paul Sartre, seul athée d’aujourd’hui à « grand rayon d’action », comme le qualifie M. Ewbank.
Ces systèmes, nous ne chercherons pas à les pénétrer dans leur détail – tâche qui passe pour rebuter même les professionnels les plus avertis. Nous nous bornerons à en dévoiler les traits les plus généraux. Et nous nous limiterons aux deux philosophes existentialistes qui ont exercé le plus d’influence : Edmond Husserl et Martin Heidegger.
Husserl et la phénoménologie
D’une manière assez paradoxale, la philosophie existentialisme débute par un philosophe qui ne l’est pas à proprement parler : Edmond Husserl, mort en 1938.
C’est que, sans donner aux philosophes existentialistes des éléments de fond de leurs doctrines, Husserl leur fournira cependant une méthode d’investigation qui leur est commune, à tous : la « phénoménologie ».
À une extrémité du tableau, nous verrons Sartre intituler son ouvrage, L’Être et le Néant – essai d’ontologie phénoménologique – tandis qu’à l’autre bout, Gabriel Marcel esquissera une « phénoménologie de l’Avoir » ou une « phénoménologie de l’Espérance ».
La « phénoménologie » ne doit pas faire songer au sens usuel du mot « phénomène », car elle s’appuie plutôt sur son renversement. Au sens courant, le phénomène est un fragment infime détaché de la masse perpétuellement fluente et scintillante du réel. C’est un simple événement vu sous l’angle de la plus extrême fragilité temporelle ; qui, à peine né, retombe aussitôt à l’inexistence, se trouvant frappé par là d’une espèce d’irréalité. Pour atteindre la plénitude réelle, il devra s’insérer dans le cadre d’une loi scientifique quelconque.
Dans la phénoménologie, au contraire, c’est la chose telle qu’elle apparaît immédiatement qui est seule réelle. Le phénomène épuise la réalité. Il n’y a rien à rechercher, derrière lui, qui soit plus réel que lui.
Prise en un sens absolu, cette position existentialiste de la phénoménologie serait évidemment absurde, car elle conduirait à proclamer l’infinie diversité des choses qu’on se refuserait à classer encore dans n’importe quelle catégorie générale.
Il faut donc lui chercher une autre signification. Et l’on pourra alors déceler, dans la phénoménologie, une double opposition : un, au rationalisme matérialiste ; et deux, au rationalisme déductiviste.
Le matérialisme est tantôt doctrinaire – et il est alors très rare –, tantôt simplement implicite ou sous-entendu – et il est alors très fréquent.
Dans sa constance, il tend à réduire la réalité à un type uniforme : celui d’une matière résumant en elle tout ce qui existe, d’une façon plus ou moins astreignante ou immédiate. Cette matière, cependant, se dérobe à celui qui veut la caractériser, la qualifier, la définir. Avec leurs outils les plus perfectionnés, les physiciens modernes ne l’atteignent pas. Au contraire, ils aboutissent à des chevauchements, entre l’onde et le corpuscule, de même qu’entre l’objet instrumentant et l’objet instrumenté. Ainsi, loin de confirmer une unité matérielle idéale, la réalité extérieure présente une double division radicale : par rapport à l’espace et au temps et par rapport à une réalité autre que la sienne.
Husserl, quant à lui, s’élève contre l’idée que la réalité puisse s’abriter dans une structure unique. Le spatio-temporel équivaudra à un type de réalité. Et, à côté de ce type, il y en aura d’autres, tels que les choses nous les dévoilent spontanément. Husserl reconnaîtra ainsi l’être particulier qu’il appelle « significatif » (et qui correspond, par exemple, à la suite des pensées couchées dans le présent écrit). Il reconnaîtra encore, bien qu’il ait hésité sur ce point, des réalités spécifiques en liaison avec l’expression de nos sentiments et de notre volonté.
La phénoménologie husserlienne présente ainsi un premier aspect, sous lequel, opposée au matérialisme, elle développe ce qui s’appelle un « régionalisme ontologique », ou autrement dit, une classification des êtres en région différente. À côté de cet aspect, elle offre un second, opposé au rationalisme déductiviste, qui pourrait se définir comme « le primat de l’intuition dans la connaissance ».
Rappelons le fameux passage du Discours de la Méthode où Descartes affirme la fertilité du procédé déductif :
« Ces longues chaînes de raisons, toutes simples et faciles, dont les géomètres ont coutume de se servir pour parvenir à leurs plus difficiles démonstrations, m’avaient donné occasion de m’imaginer que toutes les choses qui peuvent tomber sous la connaissance des hommes s’entre suivent en même façon, et que, pourvu seulement qu’on s’abstienne de n’en recevoir aucune pour vraie qui ne le soit, et qu’on garde toujours l’ordre qu’il faut pour les déduire les unes des autres, il n’y en peut avoir de si éloignées auxquelles enfin on ne parvienne, ni de si cachées qu’on ne découvre. »
Sur ce point, Husserl, qui présente sa philosophie comme un retour à Descartes, est anti cartésien. Il distingue dans la pensée – nous l’avons vu – une réalité purement significative, celle qui vise l’objet ; qui, au sens étymologique du mot, lui « fait signe ». Pour cette pure pensée, le problème du vrai ou du faux ne se pose pas. Il apparaît que dès l’instant où l’objet visé se présente « en chair et en os », comme dit Husserl : ou encore, en « personne ». Cette manière qu’a l’objet de se donner à nous comme présent en personne, correspond à l’intuition. Dès lors, Husserl dira :
« La connaissance consiste dans une confirmation, par l’acte intuitif, de ce que visait l’intention insatisfaite de la simple signification »
(Logische Untersuchungen, III, 34).
Et Levinas, le commentant s’exprime comme suit :
« C’est dans cette présence de la conscience devant les objets que consiste le problème premier de la vérité ».
(La Théologie de l’Intuition dans la phénoménologie d’Husserl, p. 133).
D’autre part, pour Husserl, les abstractions correspondent à de véritables objets idéaux. Et là encore, la pensée abstraite sera vraie dans la mesure où elle se trouvera en présence de ces objets, où elle en aura directement l’intuition. De là, la célèbre théorie de la « Wesenschau », ou de l’intuition des essences.
C’est principalement sous ce second aspect intuitionniste que la phénoménologie s’est popularisée chez de nombreux penseurs contemporains. Lorsque ceux-ci nous offrent une étude ou un ouvrage qu’ils qualifient de « phénoménologique », ils veulent dire par là qu’ils n’y chercheront pas à démontrer, prouver, déduire ; mais simplement décrire et montrer ce qu’ils voient – ou ont cru voir. Bref, la phénoménologie a fini par coïncider, pratiquement, avec l’idée d’une « discipline descriptive », celle-ci, d’autre part, s’étendant aux domaines les plus divers, bien au-delà du pur champ philosophique.
Husserl aurait-il réalisé son dessein qui était de « montrer la possibilité… d’une science universelle à partir d’un fondement absolu » ?… Peu le soutiennent. Et finalement, son œuvre appellera le même jugement que les autres œuvres ou systèmes philosophiques dont il faut distinguer parties vivantes et parties mortes.
Un – Ici, le plus fragile, c’est sans doute la théorie de la connaissance. Elle ne fait que reprendre la vieille formule de l’adaequatio rei et intellectus (adéquation de la chose et de la pensée). Certes, si j’annonce que telle maison possède un toit de tuiles rouges, et qu’ensuite cette maison apparaisse telle au détour du chemin, pareille coïncidence de la pensée de l’objet avec l’objet pensé prouvera, aux yeux de tous, que j’avais dit vrai. Mais n’est-il pas évident que ce critère de vérité ne dépasse pas les limites étroites d’une pensée épisodique et fragmentaire ?… qu’il ne peut s’appliquer à la pensée organisée, c’est-à-dire, précisément, où il est le plus difficile et où il importerait le plus de savoir séparer le vrai du faux ?… Dans la pensée scientifique, par exemple, il est clair que la coïncidence objet-pensée n’intéresse que des procédés accessoires de vérification ou d’expérimentation. Le critère essentiel de la vérité d’un corps de science tiendra plutôt dans sa cohérence structurelle, dans l’étendue ou dans l’économie de son pouvoir explicatif. Et c’est avec beaucoup plus de vraisemblance que, par exemple, un Bachelard soutiendra que « les concepts scientifiques reçoivent leur véritable définition uniquement par leurs corrélations algébriques ».
Comme on l’a vu, Husserl va jusqu’à prétendre que les abstractions constituent de véritables objets, susceptibles, eux aussi, de se présenter « en personne » à la pensée qui les recherche, la vérité ne jaillissant pas moins de pareille rencontre. Cette théorie n’a pas manqué de provoquer, chez ses prétendus disciples ou ses imitateurs, les abus les plus singuliers et les paresses les plus audacieuses. Il suffira désormais, croira-t-on, de décrire pour révéler le vrai. Ainsi toute une école d’apologétique chrétienne (renouvelant la théologie naturelle des XVIIe-XVIIIe siècles) imagine aujourd’hui aboutir au fondement dernier de la religion, en se contentant d’exposer le corps des croyances religieuses.
Deux – Husserl se présente comme un continuateur de Descartes. Sa philosophie, « on pourrait presque l’appeler un néo cartésianisme », écrit-il. Plus précisément, la phénoménologie se greffe sur la célèbre déduction : « Je pense, donc je suis ». Rappelons tout d’abord comment Descartes y procède.
On suit dans les mœurs, déclare-t-il, des opinions qu’on sait être fort incertaines. Nos sens nous trompent quelquefois. Il y a des hommes qui se méprennent en raisonnant, même touchant les plus simples matières de géométrie. Les mêmes pensées que nous avons, éveillées, nous viennent aussi en dormant ; et alors sont fausses.
« Je me résolus », poursuit Descartes, « de feindre que toutes les choses qui m’étaient jamais entrées à l’esprit, n’étaient non plus vraies que les illusions de mes songes. Mais, aussitôt après, je pris garde que, pendant que je voulais ainsi penser que tout était faux, il fallait nécessairement que moi, qui le pensais, fusse quelque chose. Et remarquant que cette vérité : ‘Je pense donc je suis’, était si ferme et si assurée… je jugeai que je pouvais la recevoir, sans scrupule, pour le premier principe de la philosophie, que je cherchais. Puis, examinant avec attention ce que j’étais, et voyant que je pouvais feindre que je n’avais aucun corps, et qu’il n’y avait aucun monde, ni aucun lieu où je fusse ; mais que je ne pouvais pas feindre, pour cela que je n’étais point… : je connus de là que j’étais une substance dont toute l’essence ou la nature n’est que de penser… ».
En fait, Descartes aurait aussi bien pu développer sa logique, en sens inverse. Il aurait pu dire : quelquefois, mes pensées sont fausses. Je vais supposer qu’elles le sont toujours. En revanche, j’ai un furoncle à la fesse. Et il faut nécessairement que moi, qui en souffre, sois quelque chose. J’ai un corps ; donc je suis.
Descartes tombe (magistralement !) dans le travers de l’idéalisme qui consiste à valoriser arbitrairement la pensée, à lui accorder une prééminence sans la justifier. Husserl le suit, en raffinant. Il repousse l’idée de la « substance pensante ». Il conçoit comme « être absolu indubitable », une conscience qui se subordonne aussi bien que le moi pensant ou psychique, que le monde naturel. Cette conscience husserlienne, nous dit M. Gurvitch, « est comparable à la lumière qui se répand à l’infini et éclaire tout ce qu’elle rencontre. C’est un faisceau de rayons lumineux qui se projettent en s’élargissant à l’infini sur le monde… » Imaginons, tout aussi bien, un ravier de hors-d’œuvre avec ses compartiments, l’un pour les sardines, l’autre pour les olives ou pour les radis. Pour Husserl, la conscience contiendra, elle aussi, divers compartiments, correspondant tantôt au monde naturel, tantôt au monde psychique ; et eux-mêmes subdivisés. À quel monde appartiendrait alors cette conscience ? À aucun !… L’on voit alors le vice de cette conception qui fait de la conscience un absolu, par voie d’élection arbitraire ; et qui justifie la critique de M. Gurvitch : « l’absolutisation d’un relatif est toujours un dogmatisme, et c’est par une tendance au dogmatisme qu’est caractérisée la dernière phase de la pensée husserlienne… »
Réunissant prétendument en elle les diverses régions ou catégories de l’existant, la conscience husserlienne ne correspond, en fait, qu’au postulat de leur unité, posé au-dessus d’elles de manière brutale, sans le moindre développement structurel. Pareil postulat se réduit à un simple substitut de Dieu (un Dieu que Descartes préservait et qui l’empêchait, lui, de rendre absolue sa « substance pensante »). Il n’offre que le vide pour asseoir la positivité qu’il réclame. C’est alors dans ce vide qu’un Sartre s’introduira pour y insérer sa thématique masochiste (« l’homme est une passion inutile… le ver dans le fruit… la réalité humaine… est par nature conscience malheureuse, sans dépassement possible de l’état de malheur… ; comme étant en tant qu’elle n’est pas, ou comme n’étant pas en tant qu’est est… »). C’est le même vide qui favorisera encore la pensée d’un Heidegger pour qui l’authenticité de l’homme gît dans son « être-pour-la-mort » ; et plus largement, qui explique toute l’ironie d’une philosophie, appelée existentialisme, mais s’appliquant le plus souvent à ruiner la réalité et les ressorts de la vie.
Voilà pour le côté faible de la phénoménologie. Examinons l’autre.
Un – Chacun est philosophe, comme M. Jourdain, prosateur, – sans le savoir. Toujours nous adhérons, implicitement au moins, à une certaine conception ou à une certaine image de la totalité du réel. Dans la religion, cette totalité est Dieu. Il est omniprésent, omnipotent. Il a engendré le monde physique. C’est composé sous sa dictée, que le Livre sacré révèle le savoir essentiel. Cette image mythologique nourrit longtemps l’Occident. Puis, elle se dissipe, partiellement au moins. Une conception inverse lui succède. Alors que Dieu présentait la figure de l’homme (d’une sorte de Grand Ancêtre du Temps Originel) dominant le monde naturel et le contenant en son sein, c’est maintenant ce monde qui va dominer l’homme et l’absorber en lui. L’homme ne sera plus qu’un fragment de la Nature ; un être physique parmi les autres et sous un statut identique. Certes, il jouit des particularités propres : ainsi, son psychisme. Mais ce psychisme se trouve contenu dans un réceptacle charnel, lui-même contenu dans le vaste réceptacle de la Nature. C’est le monde physique qui, cette fois, reçoit les privilèges de la totalité, et forme le tissu universel d’où sont tissées toutes choses.
L’heure vient où pareille croyance suscite à son tour le scepticisme. Le mérite primordial de Husserl est d’apparaître comme le Voltaire de cette crédulité. « L’existence d’un monde », écrit-il, « ne se donne-t-elle pas comme évidence ? L’existence du monde va de soi, elle est tellement naturelle que nul ne songera à l’énoncer dans une proposition… néanmoins, nous pouvons nous demander si, dans cette fonction d’antériorité qui est la sienne, elle peut prétendre à un caractère apodictique » (c’est-à-dire de certitude absolue). Husserl questionne alors l’évidence du monde. Il la dénonce comme une croyance naïve. Et il procède à ce qu’il appelle sa « mise entre parenthèses », c’est-à-dire qu’en fait, il se réserve d’examiner le mode d’existence du monde naturel, à titre de mode particulier, en refusant d’y apercevoir un mode universel. Il écrira donc : « Non seulement la nature corporelle, mais l’ensemble du monde qui m’environne n’est plus pour moi, désormais, un monde existant, mais seulement un phénomène d’existence ».
On ne saurait surestimer l’importance de ce point de départ, où l’existence du monde physique est posée, non plus sous un jour absolu, mais relatif ; et qui ouvre ainsi le chemin d’une philosophie nouvelle où la totalité serait examinée sous l’angle d’un relativisme généralisé, loin de pouvoir s’abriter encore dans une substance unitaire quelconque.
Deux – L’intuitionnisme husserlien a amené les critiques soulignées tantôt. Mais c’est le moment d’en dévoiler le caractère positif. L’intelligence procède, le plus visiblement, par une cascade de questions, dont les réponses provoquent des questions nouvelles. Qu’est-ce que ceci ?… C’est cela. Qu’est-ce que cela ? Encore autre chose, et qui exige à son tour de savoir ce qu’elle est. Ainsi de suite. La science, tout particulièrement, se représente comme un mouvement sans fin, aimant réserver la possibilité d’annuler, dans l’avenir, ce qu’elle adopte aujourd’hui comme certain, et le subordonnant en principe, selon l’expression consacrée, à « l’état actuel de nos connaissances ». Cependant, il ne s’agit là que d’une région de l’esprit, qui doit trouver équilibre dans une autre, soumise à une loi inverse, et où il devient illégitime, insensé de continuer à questionner indéfiniment. Cette autre région est celle de l’axiomatique où le problème consiste à élucider les notions premières (ou dernières), celles qui subsistent par elles-mêmes, sans pouvoir se faire analyser par d’autres. Ici, se décèle l’intérêt réel de la théorie husserlienne de la Wesenschau, selon laquelle certaines notions abstraites (les essences) peuvent se montrer, brutalement, telles qu’elles sont, et doivent être prises dans cette phénoménologie immédiate (exactement comme, en zoologie, la classe des vertébrés ne se déduit pas par une démonstration quelconque, mais par une simple « monstration » de vertèbres chez des animaux divers). Car à quoi correspond cette Wesenschau ? Mais, en fait, à circonscrire le domaine de l’axiomatique et à souligner l’importance primordiale. Puis, du même coup, à réorienter, une fois encore, la philosophie vers son domaine spécifique où sa tâche apparaît bien comme celle de l’élucidation, de la combinaison, de l’arrangement des éléments premiers fondamentaux. Là encore, Husserl justifie la manière dont il aimait se présenter, non pas à strictement parler, comme exposant une philosophie, mais comme proposant une méthode de philosopher. Terminons, en disant que, dans cette limite, ses leçons ne sont pas près d’être oubliées ; et qu’en elles, se devine la promesse de nombreux fruits.
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Informations complémentaires
Année | 2010 |
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Auteurs / Invités | Georges Aiseau |
Thématiques | Existentialisme, Phénoménologie, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses |