Les énergies fossiles, une fausse solution
Description
La fermeture des centrales nucléaires est planifiée pour 2025. Le but est d’examiner si la fin du nucléaire est possible à la lumière du parc énergétique belge actuel et de son évolution prévue d’ici 2025. D’autre part, il s’agit de déterminer si cette fin programmée est conciliable avec les engagements de réduction de gaz à effet de serre pris par la Belgique, notamment à la COP21. Ainsi les questions suivantes dirigeront la réflexion :
Faut-il arrêter le nucléaire ?
Est-ce possible à l’état actuel en Belgique ?
Est-ce conciliable avec les objectifs de réduction de gaz à effet de serre ?
Je suis titulaire de cours qui concernent l’énergie, en particulier, je m’intéresse à la durabilité de nos sociétés énergétiques.
Faut-il arrêter le nucléaire ?
Personnellement, je pense que oui, c’est ce qui a été prévu. En fait, on n’a pas prévu de l’arrêter, mais on a prévu de mettre des centrales nucléaires pendant quarante ans et on a dit que l’on verrait après, mais il n’était pas prévu de continuer.
Voici la durée de vie du parc nucléaire belge que l’on a commencé à mettre en œuvre dans les années 1970.
Puissance | Mise en | Fermeture légale | |
Doel 1 | 433 | 15 fév. 1975 | 15 fév. 2015 |
Doel 2 | 433 | 1er déc. 1975 | 1er déc. 2015 |
Doel 3 | 1006 | 1er oct. 1982 | 1er oct. 2022 |
Doel 4 | 1033 | 1er juil. 1985 | 1er juil. 2025 |
Tihange 1 | 962 | 1er oct. 1975 | 1er oct. 2015 |
Tihange 2 | 1008 | 1er juin 1983 | 1er fév. 2023 |
Tihange 3 | 1038 | 1er sept. 1985 | 1er sept. 2025 |
Quarante ans de fonctionnement sont déjà un enjeu considérable au niveau technologique par rapport à ce qui se met en œuvre en termes d’énergie et de puissance.
Il faut se rendre compte que la durée de vie d’une centrale nucléaire est de quarante ans, cinquante, peut-être soixante. Après, soit on l’arrête parce que ça devient trop dangereux d’avoir, dans un confinement, une radioactivité, des déchets qui doivent rester dans la boîte. Et pour que ces déchets restent dans la boîte et n’aillent pas dans l’environnement, il n’y a pas d’autre solution que d’arrêter les centrales nucléaires.
Aujourd’hui, le défi est de se priver en quelques années, quatre ans, de six gigawatts, ce qui représente la moitié de la production électrique.
Pourquoi cela nous fait-il peur ? C’est parce qu’on a peur de ne pas avoir cette électricité dont on a besoin qui fait partie de nos modes de vie, qui fait partie de nos pratiques. La crainte est donc de se demander comment on va faire si on se prive d’une telle quantité, d’une telle puissance électrique, alors que l’énergie est ce qui nous permet d’avoir des pratiques économiques, d’avoir une vie sociale, de vivre.
Au-delà de la Belgique, regardons ce qu’il se passe dans le monde.
Le World Nuclear Report dresse un bilan du parc nucléaire, le rapport est sorti récemment. On constate que le parc nucléaire s’est surtout installé entre les années 1970 et les années 1980, pour quarante ans. Ensuite, dans les années 1990, on a cessé de construire, en tout cas l’activité est beaucoup plus réduite. C’est surtout la Chine qui développe, aujourd’hui, une activité d’installation de centrale nucléaire, mais la Chine installe tout ce qui est possible : du nucléaire, du renouvelable, du charbon…
Quand on sait qu’il faut au moins dix, voire quarante ans avant de mettre en œuvre une installation nucléaire, on se rend compte que l’on va, dans la période 2020-2040, diminuer la production nucléaire.
Actuellement, l’âge moyen du parc nucléaire mondial est de trente ans.
Dans dix ans, on va se retrouver avec un parc nucléaire qui sera tellement vieux qu’on devra l’arrêter et qu’il ne va plus pouvoir produire de bénéfices par rapport à sa production d’électricité, mais qu’il ne produira que des coûts, des coûts de démantèlements, des coûts de gestion… Comment va- t-on gérer cette période ? Avec des sociétés, pour la plupart, privées où on n’aura plus les moyens de payer l’outil de production, qui deviendra bien un outil de coûts. C’est l’un des enjeux de demain par rapport au nucléaire.
Oui, arrêter le nucléaire était prévu et ça l’est toujours à mon sens parce que l’on n’a pas trouvé de solution pour le risque sanitaire. En cas d’accident, la seule chose que l’on peut faire, c’est évacuer le plus vite possible, mais, après, on sera parti pour une zone contaminée dans laquelle il n’y aura plus la possibilité de vivre en tant qu’être humain. L’être vivant n’est pas compatible avec une présence radioactive. On n’a pas trouvé de solution pour les déchets radioactifs. On n’a pas de solution sur la finitude des ressources, parce que le nucléaire fonctionne avec de l’uranium 235. On a besoin de ressources fissiles et, à terme, il n’y en aura plus. En plus, au niveau des coûts de revient, c’est un grand débat, mais je ne suis pas convaincu, par rapport aux rapports que je lis, que ce soit la solution la plus économique. En tout cas, le coût est difficile à estimer dans la durée de gestion et de démantèlements des centrales nucléaires.
Est-il possible, dans l’état actuel, de se passer de nucléaire ?
En me référant au travail d’Élia qui a proposé une solution rassurante : oui, c’est possible d’appliquer ce qui était prévu par la loi.
On va vers un système où les énergies renouvelables vont augmenter progressivement, on va combiner renouvelable et flexibilité. Et pour cette flexibilité, on va utiliser les ressources qui sont déjà utilisées à présent, à savoir le gaz naturel. Plus on installera de capacités renouvelables, plus nos centrales au gaz seront à l’arrêt ou devront moins fonctionner. Moins les centrales au gaz fonctionneront, moins il y aura de co², mais c’est aussi une mauvaise nouvelle parce que cela va coûter plus cher par rapport à l’outil qu’elles produisent. D’où les discussions sur les mécanismes d’accompagnement pour maintenir les centrales au gaz productives, à des coûts de reviens beaucoup plus élevés que le marché. Mais on en a besoin parce que l’on veut s’assurer de situations particulières.
Il faut rappeler que l’électricité est quelque chose de tout à fait particulier ; ce n’est pas un produit, c’est un service et c’est instantané. En permanence, si on veut consommer, il faut produire et s’il y a un déséquilibre dans la production, le réseau ne tient pas.
Gérer cet équilibre est relativement complexe, et c’est difficile à expliquer, mais le rapport d’Élia est assez intéressant à ce sujet.
Comment va-t-on faire ? Pour répondre à une demande, on peut agir sur la demande, on peut mettre du renouvelable, on peut mettre du stockage, on peut mettre des cogénérations et des unités thermiques qui utilisent les déchets, on est interconnecté avec l’ensemble des pays européens. Ensuite, il reste ce que l’on appelle le « besoin de capacités thermiques » pour assurer cet équilibre. Tout le débat est là, il faut savoir ce que l’on doit mettre en place pour que cet équilibre fonctionne, pour maintenir, en tout cas, le service que l’on souhaite avoir nous-ménages, nous-entreprises, nous qui voulons nous déplacer. On a une étude statistique, faite par Élia, qui estime qu’en fonction de scénarios de capacités renouvelables, de scénarios de demandes, de scénarios de développements de solutions de stockage, de voir quels sont les besoins de cette capacité de production et de quantité. Il faut savoir que l’on parle ici d’un ou deux gigawatts qui vont fonctionner très peu de temps, cent heures par an, ce qui coûtera très cher à l’unité, mais – bonne nouvelle – cela n’émettra pas de co². On est dans cette dualité d’un service que l’on doit pouvoir rémunérer par rapport à une production.
Le rapport d’Élia présente différentes solutions avec, notamment, le photovoltaïque. Certains experts estiment que les capacités du photovoltaïque pourraient être bien plus importantes que ce qu’on l’en connaît, tout comme l’éolien. Tout cela est une histoire de scénario, mais cela donne une idée de comment cet équilibre peut fonctionner, en sachant, qu’à certaine période de l’année, on aura besoin d’électricité provenant des systèmes classiques, les centrales à gaz.
Est-ce conciliable avec les objectifs de réduction des effets de serre ?
Ma réponse, par rapport à l’analyse que j’en ai, c’est que les enjeux climatiques sont déjà un sacré défi. Ne rajoutons pas un défi supplémentaire de devoir gérer des produits toxiques sur des centaines de milliers d’années. Il y a suffisamment de difficultés avec le défi climatique pour ne pas en ajouter davantage.
Imaginons avec le changement climatique, une hausse du niveau des mers. Il y a un parc nucléaire qui est à proximité de la mer qui sera, peut- être, inondé par cette montée des eaux. C’est pourquoi il est temps de le démanteler et de s’assurer qu’il n’y a pas de problèmes par rapport à la montée des eaux de la mer.
Un autre élément, c’est que la durabilité de l’impact environnementale n’est pas liée qu’au co², il y a aussi les pollutions liées aux cycles des systèmes énergétiques : la préparation du combustible, la transformation énergétique, la gestion des équipements et le démantèlement des équipements. Il est vrai que du point de vue des changements climatiques, le nucléaire et l’énergie renouvelable n’émettent pas de co² ou très peu. Ils émettent du co² dans les équipements qu’ils utilisent à partir du moment où l’énergie provient d’énergie fossile qui nécessite de l’énergie pour produire les combustibles ainsi que pour la biomasse, mais pour le vent ou pour l’hydraulicité, il n’y a pas d’énergie pour préparer le combustible.
La principale difficulté, la principale réalité du nucléaire, c’est le risque qui est engendré et, là, on parle de probabilités. Il y a eu Three Mile Island, ensuite Tchernobyl, et, il y a huit ans, l’accident de Fukushima. Donc sur un parc de quatre cent quarante réacteurs actuellement en fonctionnement, plus cent septante réacteurs à l’arrêt, le risque n’est pas nul. Ce qui est inquiétant, c’est qu’à partir du moment où on a des centrales nucléaires qui sont de plus en plus anciennes, le risque augmente par rapport à la défaillance technologique.
La Belgique dispose de deux sites nucléaires, Doel et Tihange, mais il y a aussi la France et les Pays-Bas qui nous entourent avec des centrales nucléaires, c’est dire si le risque d’un accident majeur est possible et on ne souhaite vraiment pas avoir un problème nucléaire sur le sol belge, ce serait la faillite de la Belgique. Il y a également le risque de création de plutonium. Que fait-on avec ce plutonium ? Il faut le confiner et il ne faut surtout pas qu’il tombe dans des mains malintentionnées.
La question de l’énergie est essentielle à nos sociétés.
Si on voit les choses d’un point de vue de l’ère géologique, on est dans l’ère fossile et c’est une époque formidable : on a plein d’énergie, on fait plein de choses différentes grâce à l’énergie que l’on a à disposition. Que ne peut-on pas faire aujourd’hui grâce à l’accès à l’énergie ? Mais à l’échelle géologique, ce n’est pas durable, en tout cas l’ère fossile.
Le nucléaire apportera-t-il la solution ? Ce n’est pas crédible par rapport à la ressource qu’il va apporter, il ne s’agit que de quelques éléments de l’ère fossile. La seule solution durable, c’est le fait d’augmenter les capacités renouvelables et ces capacités nous mettent la limite de l’accès à l’énergie de demain. En l’occurrence, c’est aussi la vision portée par le rapport d’Élia.
Que consomme-t-on comme énergie ? De l’électricité, des combustibles et des carburants, mais on va vers un système où la part électrique va augmenter, avec davantage de renouvelables. On maintiendra du conventionnel, mais au fur et à mesure on pourra avoir à disposition des énergies renouvelables qui vont occuper la part principale du mix énergétique. On va tendre vers cent pour cent d’énergie renouvelable qui sera un équilibre entre la consommation dans le bâtiment, dans le transport, dans l’industrie et des productions de flux qui sont le vent, le soleil, les cours d’eau, la biomasse et la géothermie. C’est un ensemble de technologies qui va permettre, dans une combinaison plus globale à l’échelle européenne, de pouvoir répondre aux besoins, mais cela ne se fera pas sans porter une attention particulière à la manière dont on consomme. On va devoir veiller à agir sur la demande énergétique en lien avec la disponibilité des ressources présentes. Il y a différents scénarios qui présentent la faisabilité et l’enjeu est, d’une part, l’efficacité énergétique, mais, d’autre part, il est surtout relié à la manière dont on va pouvoir s’organiser dans un cadre d’accès limité à l’énergie.
Quelle est cette limite ? C’est la disponibilité immédiate de l’énergie. On va passer d’un système où, aujourd’hui, avec les énergies fossiles, on a une puissance illimitée et une énergie limitée. Pour ceux qui se souviennent de leurs cours de physique : la puissance, c’est l’énergie par le temps ; plus on consomme d’énergie, plus on a de puissance. Comme l’énergie est présente et que l’on n’a qu’à ouvrir le robinet pour en profiter, on a beaucoup de puissance. Le problème, c’est qu’une fois le réservoir vide, on n’aura plus rien du tout.
Avec une solution de type énergie renouvelable, on est limité par la disponibilité de la ressource, tamponné par le système de stockage, mais on n’a pas de limite en termes d’énergie dans le temps. C’est-à-dire que tant qu’il y aura du soleil, qu’il y aura du vent, qu’il y aura des cours d’eau, qu’il y aura de la biomasse, on aura de l’énergie.
L’objectif plus global, est d’inscrire, le plus vite possible, nos sociétés dans cette vision et ne pas être distrait par des « fausses solutions », comme le nucléaire, qui ne font que postposer la difficulté de pouvoir aller vers ce genre d’équilibre énergétique.
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Libres propos de Michel Huart |
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Thématiques | Climat, Déchets, Développement durable, Électricité, Énergie, GES, Nucléaire, Sécurité |
Année | 2019 |