Les droits humains, ici et maintenant

Pierre GALAND
Benoît VAN DER MEERSCHEN

 

UGS : 2008031 Catégorie : Étiquette :

Description

Un anniversaire à fêter ?

Le 10 décembre dernier, jour anniversaire de l’adoption de la Déclaration universelle des droits de l’Homme par l’assemblée générale de l’Organisation des Nations unies (ONU), a été l’occasion de toutes les célébrations.

60 ans, cela se fête ! Petits fours au Sénat, discours politiques attendrissants, subite frénésie médiatique… Rien ne nous aura été épargné.

Bien sûr, ce texte, la Déclaration universelle des droits de l’Homme, est essentiel, car, en l’adoptant, les quelques États qui composaient la toute jeune ONU affirmaient que la liberté, l’intégrité physique et morale de la personne humaine doivent être défendus partout et en toutes circonstances, consacraient enfin les droits économiques, sociaux et culturels… Tous les humains y ont droit et rien ne peut justifier qu’on prive une catégorie de leur jouissance.

Mais cet anniversaire, bien plus que l’occasion de célébrer les progrès accomplis et les victoires obtenues, était aussi le moment de mesurer le chemin qui reste à accomplir pour que tous les êtres humains puissent pleinement bénéficier des droits contenus dans ce texte fondateur.

Or, si responsables politiques nationaux et internationaux invoquent fort souvent leur volonté de suivre les principes inscrits dans la Déclaration, bien peu la respectent dans les faits.

La Belgique, héraut des droits humains sur la scène internationale, myope chez elle

Et en Belgique aussi, bien du travail reste à faire …

Certes, en matière de respect des droits humains, la situation sous nos latitudes n’est en rien comparable à d’autres pays du monde, et heureusement.

Nous n’avons pas à subir les conséquences de massacres généralisés et d’une violence inimaginable comme à l’Est de la République dite démocratique du Congo ; nos prisons ne sont pas encore l’enfer sur terre comme celle de Lomé au Togo où les personnes incarcérées s’entassent réellement les unes sur les autres dans des conditions de promiscuité et d’hygiène apocalyptiques ; nous n’avons pas à subir au quotidien la faim et le désespoir comme dans les bidonvilles oubliés (excepté le temps d’un ouragan…) de Port-au-Prince…

Et pourtant, la suite de cette analyse illustre largement que notre pays, lui aussi, en matière de respect des droits humains, n’est pas à l’abri de reproches. Loin de là.

Les nombreuses critiques, inlassablement répétées par les Ligues des droits de l’Homme depuis des années sont malheureusement confirmées par bon nombre d’acteurs internationaux et indépendants.

À titre d’exemples, la liste n’étant pas exhaustive, on peut relever :

– concernant le recours systématique aux centres fermés pour les étrangers, le Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe, Thomas Hammarberg, déjà en septembre 2007, indiquait à propos de la détention des migrants, que cette dernière « apparaît comme de plus en plus systématique dans un certain nombre d’États européens » et rappelle à l’adresse de ces États que « les migrants irréguliers ne doivent pas être considérés comme des criminels et que la place d’un enfant, qu’il soit migrant ou non, n’est, par essence, pas en détention ».

– De même, le 4 janvier 2008, regrettant notre faible protection des droits collectifs, le Comité des Nations unies pour les droits économiques sociaux et culturels notait « avec préoccupation que la grande majorité des dispositions (…) qui consacre plusieurs droits économiques, sociaux et culturels (…) ne sont pas directement applicables en droit national » et s’inquiétait « des importantes entraves à l’exercice du droit de grève, qui découlent de la pratique des employeurs consistant à engager des poursuites juridiques pour obtenir l’interdiction de certaines activités liées à des grèves, ainsi que de la possibilité de licencier des travailleurs par suite de leur participation à une grève. »

– En matière de discrimination à l’égard des femmes, le 7 novembre 2008, le Comité des Nations unies pour l’élimination de la discrimination à l’égard des femmes a réitéré sa préoccupation vu « la persistance des écarts de salaire entre les femmes et les hommes dans les secteurs public et privé, par la poursuite de la ségrégation dans l’emploi fondée sur le sexe et par le grand nombre de femmes qui occupent, qu’elles le veuillent ou non, des postes temporaires et à temps partiel, ce qui traduit la conception stéréotypée de leur rôle. Le Comité s’inquiète par ailleurs de la discrimination que subissent les femmes au sujet de la sécurité sociale, en particulier sur le plan des allocations de chômage. »

– Enfin, le 21 novembre 2008, le Comité des Nations unies contre la torture a stigmatisé les mauvaises conditions de détention dans les établissements pénitentiaires belges, principalement dues à la persistance d’une surpopulation carcérale chronique. À cet égard, il est intéressant de noter que la solution préconisée par gouvernement belge pour lutter contre cette surpopulation ne semble pas convaincre les Nations unies, celles-ci recommandant à l’État belge d’envisager de mettre en place des mesures alternatives à l’augmentation de la capacité carcérale et de faire en sorte que l’octroi des libérations conditionnelles soit davantage accessible.

– …

Ainsi, en matière de prisons, de délinquance juvénile, de prise en charge psychiatrique, d’accès à la justice, de lutte contre le terrorisme, d’asile et d’immigration, de respect de notre vie privée, de droits économiques, sociaux et culturels, d’égalité des chances…, les lacunes de nos politiques publiques semblent malheureusement éternelles.

Et ce, en réalité, parce que la volonté politique fait clairement défaut. Malgré nos obligations internationales.

Cependant, aujourd’hui, d’autres évolutions sont également perceptibles, certains manquements de plus en plus criants.

Tout d’abord, dans le cadre de la lutte contre le terrorisme ou l’immigration illégale, on assiste comme à une espèce « d’estompement de la norme », la défense des droits humains cédant le pas face à ces deux « impératifs » proclamés et sans cesse martelés. Ce qui génère un insoutenable basculement des repères et d’inacceptables « droits humains à géométrie variable. » Mais le développement de la science, rapide, n’est pas non plus sans susciter diverses questions quant au respect de nos droits fondamentaux.

Notre vie privée en danger à notre insu ?

Notre vie privée est protégée par plusieurs conventions internationales et par la Constitution.

Tout l’enjeu de ce droit à la vie privée est de ne pas avoir à se justifier sur celle-ci. De pouvoir nous déplacer, rencontrer des gens, acheter, téléphoner ou envoyer un courriel sans que ces données ne soient analysées, recoupées et utilisées. En définitive, qu’est-ce que la vie privée si ce n’est le droit de mettre un obstacle au regard de l’État ?

Mais aujourd’hui, sans que nous ne en rendions compte, sans que ce soit palpable ou directement détectable, notre vie privée est petit à petit grignotée, l’accès à celle-ci devenant presque banale.

Aux dangereuses initiatives publiques s’ajoute, avec le développement des nouvelles technologies, un véritable fichage privé. Pour qui ? Pour faire quoi et avec quel contrôle ? De surcroît, l’inquiétude grandit quand plusieurs fichiers interagissent …

À titre d’exemple, l’actualité récente n’est pas venue nous démentir si l’on pense au dernier avatar des ministres de la Justice et de l’Intérieur sur le fichier « Edwige » à la belge.

L’existence de fichiers policiers n’est pas neuve. Il n’y a pas lieu de s’en étonner. Par contre l’ampleur du fichage, qu’on peut qualifier de quasi généralisé, sans infraction commise ou sur le point de l’être, laisse pantois. Le projet du gouvernement permettrait de compiler toutes les notes de renseignements telles que l’état civil, des données raciales ou ethniques, les opinions politiques, la santé physique ou psychique, les situations et comportements à risques, des données physiques (poids, taille…), les données relatives à la vie sexuelle, la composition de ménage… Voire même de « tracer » tout individu via ses données de localisation électroniques (GSM, GPS…), d’identification électroniques (IP, cookies…) et biométriques.

D’emblée, on peut en effet se demander en quoi les habitudes sexuelles d’un citoyen pourraient présenter un danger potentiel pour la nation. De même les habitudes de consommation des citoyens sont considérées comme dignes de figurer dans ces bases de données, ce qui est pour le moins troublant. Sans parler des données psychiques (??)…

Ce projet est intolérable. Il fait des amalgames entre citoyenneté et délinquance, entre militance et délinquance, entre orientation sexuelle et délinquance, entre état de santé et délinquance… Il part du principe que tout le monde est un délinquant potentiel et que tous les prétextes justifient de les repérer et de les surveiller.

En l’espèce, notre droit au respect de la vie privée méritait mieux qu’un arrêté royal préparé en catimini et adopté à la sauvette. Si prévoir un encadrement juridique des pratiques policières en la matière n’est pas nécessairement un mal, de manière à éviter les pratiques occultes et d’éviter la multiplication de fichiers disparates, n’encadrer ce type de fichiers que par un arrêté royal était proprement inacceptable lorsque cela touche à des libertés fondamentales des citoyens si essentielles dans un État démocratique.

En fin de compte, grâce à une intensive mobilisation citoyenne qui a abouti à la volte-face du gouvernement, nous nous réjouissons qu’un véritable débat parlementaire puisse se tenir prochainement sur ce fichier policier. Reste quand même (outre le fait que nous ignorons tout de l’issue dudit débat) le frisson rétrospectif que toutes les composantes de notre gouvernement étaient prêtes, dans un dossier aussi sensible, à snober notre représentation nationale…

L’effectivité des droits humains

Notre épanouissement ne passera ni par la répression ni par la stigmatisation.

Notre sécurité d’existence repose avant tout sur l’effectivité croissante de nos libertés individuelles et collectives. Et donc sur l’appropriation citoyenne des droits humains.

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Informations complémentaires

Année

2008

Auteurs / Invités

Benoît Van Der Meerschen, Pierre Galand

Thématiques

Déclaration universelle des droits de l'homme, Droits de l'homme, Vie privée