Le travail : notion, valeur, œuvres
Description
La revue Dionysos, émanation de la Fédération belge du Droit Humain, obédience maçonnique mixte, vient de publier un numéro spécial consacré à la notion de « travail ». En l’un de ses précédents numéros, elle avait annoncé le projet de ce numéro en signalant que les contributions éventuelles devaient être remises avant la fin du mois d’avril 2019. Répondant à ce que je considérais comme une invitation ouverte, j’ai adressé au comité de rédaction de cette revue un texte point trop long, dans les délais impartis. À mon grand regret cet article n’a pas été accepté, non pour sa qualité jugée insuffisante, mais, m’a-t-on dit, par manque de place vu les nombreuses contributions reçues d’auteurs directement et officiellement « sollicités ».
Or, le contenu de cet article m’est cher : je m’efforce d’y présenter en quelques pages une synthèse de ma double expérience existentielle : celle de sociologue du travail et celle de franc-maçon. Telle est la raison pour laquelle je me suis permis de proposer à La Pensée et les Hommes – que je remercie pour son soutien – le texte légèrement remanié et adapté de cet article exposant ma perception du travail d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Et ce en trois de ses dimensions essentielles :
– Notion : il est – ou peut être – à la fois activité, emploi et/ou œuvre ;
– Valeur : parfois contestée, à réhabiliter ou revaloriser aujourd’hui ?
– Réalité : sans cesse mouvante sous l’influence des nouvelles technologies et de l’entrée dans l’ère du numérique.
Le travail : du profane au maçonnique
« Le travail, c’est la santé … » nous chante-t-on… et donc une valeur humaine fondamentale. Valeur individuelle, valeur collective. Valeur contestée, valeur célébrée. Valeur profane, valeur maçonnique. Bref un enjeu existentiel… à méditer.
Le Travail, valeur profane
Dans le langage courant, le terme « travail » recouvre en fait au moins trois notions essentielles : activité, emploi, œuvre.
D’abord, le travail se conçoit comme activité : faire, fabriquer, agir, produire, créer. Il évoque intuitivement de l’ère préindustrielle, le travail de l’artisan.
Ensuite, le travail est souvent assimilé à l’emploi : avoir du travail, aux yeux de beaucoup, c’est avoir un emploi, si possible durable. Cette notion, hier et aujourd’hui, est née du développement de la société industrielle puis techno-bureaucratique et numérique. Elle est associée à son antithèse le chômage, la perte d’emploi et de travail.
Enfin, le travail s’enrichit, sur le plan humain, lorsqu’il s’exprime à travers la notion d’œuvre : s’y ajoute alors, en effet, la notion de sens du travail accompli ou en processus d’accomplissent. Accompli : quand il produit une œuvre, voire un « chef d’œuvre ». En processus d’accomplissement : ouvrier, ouvrage sont en la matière des cousins sémantiques des notions d’œuvre et de travail…
Élargissant un peu notre réflexion, que constatons-nous ? De divers côtés, certains chercheurs et acteurs sociaux sont tentés de remettre en question le principe même de la valeur travail, à contester celle-ci jusque là considérée comme incontestable. D’autres, en revanche persistent à la célébrer, à la promouvoir, à affirmer haut et fort son importance primordiale.
Une valeur contestée : je songe notamment ici aux thèses affirmant qui un soi-disant déclin de la valeur-travail (Dominique Meda), qui la croissante « allergie au travail » (J.L. Rousselet), et plus récemment quoique indirectement aux projets de « revenu universel garanti » dont Benoît Hamon s’est fait l’avocat durant la dernière élection présidentielle française. Diagnostics ne prenant apparemment en compte qu’une infime partie de la réalité vécue par les travailleurs. Constatations pessimistes (ou optimistes, cela dépend des points de vue…) constituant sans doute un lointain écho des nombreux écrits de Georges Friedmann dans les années 1950 sur les problèmes humains du machinisme industriel, le travail en miettes et la déshumanisation du travail… À ces anciens constats viennent se superposer aujourd’hui les inquiètes dénonciations d’une nouvelle maladie, le « burn-out, », l’épuisement au travail, les suicides pour raisons professionnelles
Une valeur célébrée, promue ou revendiquée : sans remonter au début du XXe siècle où fleurissaient deux messianismes, celui du marxisme (l’avènement de la société prolétarienne fondée sur la valeur travail) et celui du progrès scientifique capitaliste (supposé générateur de progrès économique et social), se profilent en notre XXIe siècle les politiques de Sarkosy (« travailler plus pour gagner plus ») et Macron (priorité aux actifs).
Face à ces discours contradictoires et à cette réalité ambivalente, quel avenir possible pour la valeur « travail » ? Selon moi, elle est et demeure plus que jamais essentielle. L’important ne serait-il pas de la reconsidérer (en tant que valeur humaine de base), de la réévaluer (apprécier sa juste valeur pour les personnes et les sociétés), de la revaloriser sur les plans à la fois quantitatif (le travail-emploi) et qualitatif (le travail-œuvre) ?
Le travail n’est-il pas la santé… en tant que valeur individuelle (source de revenus et de statut psychosocial pour les personnes) et valeur collective (source de productivité, compétitivité et de richesses pour les nations)… s’il se réalise dans des conditions humainement pensées, voulues autant que possible épanouissantes ?
Le Travail, valeur maçonnique
Si, maintenant, nous passons du profane au maçonnique – élément essentiel du travail initiatique – que constatons-nous ? Ne sommes-nous pas, en tant que francs-maçons, invités à sans cesse nous mettre ou nous remettre au travail, à nous investir avec force, vigueur et constance dans la transmission de nos savoirs, pratiques et traditions à nos enfants, parents et concitoyens ? Le travail est et demeure plus que jamais une valeur essentielle pour la franc-maçonnerie.
Une preuve, s’il en fallait, de son importance : lorsque les Loges se « mettent au travail », elles deviennent des « Ateliers », sont reconnues, qualifiées et célébrées ainsi.
Personnellement, je ressens cette valeur se manifester à travers trois de ses dimensions fondamentales : le travail de l’Apprenti, le travail du Compagnon, le travail du Maître.
Le travail de l’Apprenti : un travail de reliance à soi, un travail sur l’identité. Qui suis-je, que puis-je ou veux devenir ? Apprendre à mieux se connaître, voire à se découvrir, à prendre conscience de ses capacités. Travail individuel et psychologique, en présence et avec l’aide de ses Sœurs et Frères.
Le travail du Compagnon : un travail de reliance aux autres, un travail sur la fraternité. Par les voyages imposés, découverte de la relativité des pratiques, des valeurs et des cultures. Expérience des solidarités et acquisition des outils des maçons-bâtisseurs.
Le travail du Maître : un travail de reliance au monde, un travail sur la citoyenneté. Bien relié à soi et aux autres, le Maître est bien armé pour se consacrer à la formation, inspirée par les valeurs, de citoyens engagés dans la gestion de la cité, dans la perspective d’une contribution au Progrès de l’Humanité, à la construction du Temple de l’Humanité. Reliance au monde, mais aussi reliance à la Terre, à l’univers, au cosmos. Citoyenneté, humanité, spiritualité : telles sont les trois finalités majeures du travail du Maître, un travail toujours inachevé comme le Temple de la franc- maçonnerie, en ses trois dimensions principales : Temple Intérieur (la Personne), Temple Initiatique (intermédiaire, médian : la franc-maçonnerie en ses diverses structures), Temple Extérieur (la Société).
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Marcel Bolle De Bal |
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Thématiques | Fédération belge du Droit Humain, Franc-maçonnerie, Société contemporaine, Travail / Emploi / Chômage |
Année | 2019 |