Description
En 1992, au terme d’un long procès en révision, le Vatican réhabilitait Galileo Galilei. Il n’en a pas été ainsi pour Giordano Bruno. Tous deux se sont appuyés sur Nicolas Copernic, opposant l’héliocentrisme à la doctrine géocentrique de l’Église. Tous deux ont été accusés d’hérésie. Tous deux ont fait face à un jésuite : Robert Bellarmin.
Juge d’instruction au procès de Bruno, Bellarmin condamne le moine défroqué au bûcher. Mandaté par le pape, Bellarmin notifie à Galilée l’erreur de Copernic, en 1616, mais le munit dans la foulée d’un Certificat autographe le blanchissant de tout lien personnel avec cette théorie. Ce document sauvera la vie à Galilée lors du procès de 1633.
Qui donc est ce Cardinal Bellarmin et pourquoi deux attitudes en apparence si contradictoires à 16 ans d’intervalle ? Quelles sont les conditions, liées aux accusés et aux circonstances, qui président à des verdicts aussi distincts ? Nous trouverons une partie des réponses dans les conférences prononcées par Bellarmin à Louvain, entre 1570 et 1572, où le jésuite présente des thèses étonnamment en contradiction avec le dogme.
L’affaire Galilée relève d’une question philosophico-théologique et non d’un débat scientifique.
Le contexte philosophico-théologique
Pour mieux lutter contre la Réforme, le Concile de Trente (1563) interdit la libre interprétation de la Bible : l’Écriture présente une vérité littérale, irréfutable. Bellarmin en rédigera le Canon définitif et définira officiellement les différents sens de lecture des Saintes Écritures, basés sur l’autorité des seuls pères de l’Église.
Le Concile de Trente consacre en particulier la figure de Saint Thomas d’Aquin (1224-1274) qui relie dogme chrétien de la Création et philosophie d’Aristote : L’Univers a été créé par Dieu, en six jours, parfait et immuable à jamais. La Terre est au centre de l’Univers, les planètes, le Soleil et les étoiles tournent autour d’elle. Ces corps célestes sont fixés rigidement à des sphères parfaites, concentriques à la Terre.
Le contexte cosmologique
Jusqu’à la fin du Moyen Âge, la cosmologie officielle repose sur le géocentrisme d’Aristote (4e BC). Pour tenir compte des observations qui mettent en défaut le modèle, Ptolémée (2e BC) introduit des épicycles : l’astre est en rotation sur la circonférence d’un petit cercle dont le centre est fixé sur la circonférence d’un grand cercle en rotation autour de la Terre.
Rejetant le système géocentrique, Nicolas Copernic (1473-1543) met la terre en mouvement autour d’un soleil immobile, et en fait une planète comme les autres. Les mouvements apparents des planètes résultent naturellement de la combinaison des mouvements des planètes et de la terre.
Peu avant sa mort, en 1543, Copernic publie De Revolutionibus. De ce traité sont issues la pensée scientifique moderne et l’image de l’Univers modifiée seulement au début du XXe siècle. Par prudence théologique, la préface du livre précise qu’il décrit une hypothèse mathématique, non une réalité physique, donc sans impact théologique. Cette précaution permit à l’ouvrage d’échapper à la censure ecclésiastique pendant près de septante ans.
Giordano Bruno
Prêtre, Giordano Bruno (1548-1600) montre à l’égard des dogmes un détachement et un scepticisme intolérables. Il rompt avec le catholicisme et se convertit à la Réforme, puis en est excommunié. Sa vie est faite d’errances à travers l’Europe ; il est dénoncé à l’Inquisition en 1592.
Bruno développe sa pensée cosmologique dans L’Infini, l’Univers et les Mondes (1585) en affirmant la pluralité des mondes habités tournant autour d’innombrables soleils.
Ce faisant, il s’oppose à la conception traditionnelle de l’univers, qui sépare le monde sublunaire (celui des quatre éléments, du pesant, de la corruption, de l’homme) de l’autre monde (celui de la Quinte Essence, des astres ni lourds ni pesants, de la perfection, du divin). Or, c’est à la fois l’opposition et la cohérence de ces deux mondes qui donnent un sens aux activités humaines et religieuses : si la terre n’est plus au centre du monde, alors il n’y a plus ni haut ni bas absolus, et toutes les échelles de valeurs, tous les repères, toutes les hiérarchies perdent leur raison d’être.
Non seulement Bruno s’arroge le droit d’exégèse (explicitement interdit par le Concile de Trente), mais – surtout – sa cosmologie conduit à la déchristianisation de l’Occident catholique.
Galileo Galilei
Galilée (1564-1642) est un scientifique au sens actuel : il développe le système de Copernic sur base d’observations méthodiques et de preuves mathématiques. Grâce à la lunette astronomique (application d’une découverte antérieure des Hollandais), il découvre durant l’hiver 1609-1610 plus de choses dans le ciel que ce qui y avait été observé durant plus de vingt siècles, entre autres : les quatre satellites de Jupiter démontrent que des corps célestes peuvent tourner autour d’un autre centre que la terre ; les montagnes de la lune détruisent l’idéal d’un corps lisse et parfaitement sphérique ; les taches solaires battent en brèche le principe aristotélicien d’un astre incorruptible.
Ces découvertes amènent Galilée à démontrer un Univers incompatible avec les Saintes Écritures : la théorie de Copernic décrit une réalité objective à laquelle l’Église doit se plier.
Galilée bénéficie de nombreux appuis dans la haute hiérarchie romaine et chez les Jésuites. Les choses se gâtent suite à la publication d’une « Lettre à la Grande-duchesse Christine » où il réagit à une réfutation des thèses de Copernic par l’Église basée sur le Livre de Josué. Galilée rétorque que « L’Écriture sainte, en plusieurs passages, mérite et exige des exposés qui se distinguent de la signification superficielle, et donc dans tout débat sur des questions naturelles, on ne devrait l’alléguer qu’en dernier recours. »
Le 26 février 1616, Galilée est mis en garde contre l’erreur de l’héliocentrisme. Les œuvres de Copernic sont mises à l’Index, moyennant corrections.
Après une période d’accalmie, Galilée publie Dialogue sur les deux grands Systèmes du Monde (1630), où il défend l’héliocentrisme à l’aide d’une brillante argumentation, et y ridiculise ses adversaires. Trois personnages s’affrontent : le conservateur (tenant d’Aristote), le savant chercheur (Galilée) et un « honnête homme » à l’esprit ouvert et indépendant qui essaye d’y voir clair. Au-delà de la reprise des thèses de Copernic, Galilée apprend à son lecteur à penser par lui-même en s’affranchissant des habitudes et de l’argument d’autorité. Ce texte déchaîne sur lui les foudres de l’Inquisition.
Le 22 juin 1633, au terme d’un procès, Galilée abjure publiquement ses idées en matière de cosmologie et de libre interprétation de l’Évangile. Face à un tel crime, Galilée aurait dû être condamné très sévèrement, mais il est sauvé par le certificat autographe du Cardinal Robert Bellarmin, le blanchissant de toute accusation d’apostasie.
Le cardinal Robert Bellarmin
Les études historiques concernant Bellarmin (1452-1621) et le rôle qu’il joua lors du procès Galilée de 1616 ignorent les positions philosophiques que le cardinal défendit dans sa jeunesse. Elles nous sont connues grâce aux conférences théologiques données à Louvain (1570-1572).
Bellarmin y commente saint Thomas d’Aquin et la création du monde selon la Genèse ; il y professe une nette distinction entre le fond et la forme des textes sacrés et n’accorde pas la qualité de révélation biblique à tous les textes. Il cite Saint Basile : « En ce qui concerne les œuvres divines, nous ne devrions pas nous répandre en conjectures ; nous savons que le firmament existe ; ce qu’il est nous sera révélé le jour où nous y serons montés ».
Le profond scepticisme de Bellarmin face à tout système astronomique prétendant expliquer le ciel met en lumière pourquoi les conclusions de Bruno lui sont intolérables (déchristianisation de la société) alors que les découvertes de Galilée ne le gênent pas (croyant sincère, il ne lui est reproché que des positions que le cardinal partageait avec lui).
Bellarmin avait par contre anticipé les dérapages que le fougueux Galilée ne manquerait pas de commettre et les réactions de plus en plus violentes de l’Église face à l’indépendance de l’esprit scientifique. Il fallait sauver anticipativement Galilée.
C’est grâce à la conservation des deux versions successives du certificat autographe que Galilée obtient de Bellarmin le 26 mai 1616 que se dessine la démarche de Bellarmin.
« Nous, Robert Bellarmin, ayant entendu dire que le Sieur Galilei a été calomnié, comme ayant abjuré entre nos mains [la doctrine de Copernic concernant la mobilité de la terre face à l’immobilité du soleil – supprimé] et d’avoir à cet effet reçu des pénitences salutaires, prié de dire la vérité, nous affirmons que le susdit Galilée n’a abjuré entre nos mains, ni aux mains de personne [à notre connaissance la doctrine de Copernic – supprimé] [à Rome ni ailleurs à notre connaissance aucune opinion ni doctrine – ajouté], qu’il n’a pas en conséquence reçu de pénitences salutaires ni d’aucune sorte. Il lui a seulement été notifié la déclaration de S.S. le Pape, publiée par la Sacrée Congrégation de l’Index, à savoir que la doctrine de Copernic touchant le mouvement de la Terre autour du soleil au centre du monde, sans se déplacer d’orient en occident, est contraire à la Sainte Écriture, et par conséquent ne doit être ni défendue ni adoptée. En foi de quoi, nous avons écrit et signé le présent certificat de notre propre main, ce 22 mai 1616. »
En supprimant du « brouillon » tout lien explicite entre Galilée et Copernic, Bellarmin sauva la vie de Galilée lors du procès de 1633. Sans ce texte, Galilée eût été déclaré « hérétique et relapse », et nécessairement condamné à mort.
Conclusion
Au terme du procès de 1616, le seul perdant est Copernic dont les écrits furent interdits plus de septante ans après leur publication. Au terme du procès de 1633, l’Église catholique s’enferre dans son rejet virulent des sciences, rejet qui subsistera officiellement jusque loin dans le XXe siècle. Dans le même temps, les États réformés, et à leur tête l’Angleterre, feront profit de la révolution scientifique italienne des XVIe et XVIIe siècles.
Informations complémentaires
Année | 2006 |
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Auteurs / Invités | Jean-Jacques De Gheyndt |
Thématiques | Cardinal Bellarmin, Copernic, Église catholique, Galilée, Giordano Bruno, Histoire, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions |
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