Le Pacte pour un enseignement d’excellence, révolution ou illusion
Description
L’enseignement belge a une histoire agitée. Depuis 1830, la question scolaire a contribué à alimenter les tensions qui parcourent notre pays. Et beaucoup ont oublié que cette question a, pendant plus d’un siècle, opposé les Belges bien plus violemment que la question linguistique. Les rivalités entre partisans de l’enseignement catholique et défenseurs de l’enseignement public ont conduit à deux guerres scolaires et ne se sont apaisées – très partiellement – qu’en 1958 avec la signature du Pacte scolaire.
Dans l’inconscient du public, en matière d’enseignement, parler de Pacte renvoie à ce fameux Pacte scolaire dont la plupart des acteurs de l’enseignement d’aujourd’hui sont bien incapables de décrire les conditions de naissance ou le contenu. Parler de Pacte pour un enseignement d’excellence (PEE) produit donc une illusion en confondant deux démarches différentes. Cette illusion conduira à des déceptions parmi les acteurs de l’enseignement et plus largement parmi le public. Cette erreur de stratégie est une des raisons pour lesquelles il sera difficile d’obtenir l’ingrédient indispensable à toute réforme : l’adhésion des acteurs.
Le Pacte de 1958 – qui a mis fin à la deuxième guerre scolaire – était un document court (six pages A4) – traçant des pistes de réformes pour mettre fin à la guerre des réseaux et pour adapter l’enseignement aux exigences des évolutions de la société d’après-guerre. Le plus important cependant, c’est que ce texte engageait les trois partis politiques existant à l’époque et qu’il avait été élaboré par eux. Ceci constitue la différence essentielle avec la démarche d’aujourd’hui, dont on nous a beaucoup vanté le caractère participatif et consensuel. Passé le moment d’enthousiasme que déclenchent d’ordinaire ces concepts, le réalisme conduit à quelques constats plus sérieux. Le PEE, n’est pas un vrai pacte et le consensus supposé cache en fait de grosses divergences. En fait, les documents produits jusqu’ici constituent un vaste inventaire de réformes possibles, énumérées sans véritable vision ni cohérence et qui demanderont des arbitrages courageux.
Le pacte n’est pas un vrai pacte
Certes, la ministre actuelle s’est engagée à mettre en œuvre un certain nombre d’idées contenues dans les rapports des différentes commissions qui travaillent sur le PEE, mais – en l’absence d’engagement initial du politique – rien ne garantit que les prochaines majorités ne procéderont pas à des révisions importantes des suggestions de départ. Cette perspective est d’autant plus crédible que la mise en œuvre du PEE est fortement dépendante des moyens budgétaires de la CFWB dont l’impécuniosité est connue. Les incertitudes qui pèsent sur le financement de la CFWB ne sont pas de nature à inciter à l’optimisme.
Les recommandations du PEE n’engagent personne de manière impérative. Ce constat représente probablement le problème essentiel de la démarche. On essaye, depuis le début, de nous faire croire que le processus aboutirait à un consensus qu’il suffira de mettre en œuvre : rien n’est plus faux. La première synthèse, l’avis n° 3, déposé en décembre 2016, a fait l’objet d’une révision importante sous la pression syndicale en février 2017. La rédaction du document relatif au tronc commun montre, elle, les difficultés à établir un consensus qui puisse se traduire rapidement en décisions concrètes. Sur plusieurs sujets, le document se limite à évoquer des hypothèses de travail et des pistes de solution renvoyant à d’autres le soin de trancher. Enfin, les récentes mesures prises par la ministre et présentées comme les premières conséquences du PEE sont en fait l’aboutissement de réflexions antérieures. L’augmentation de l’aide administrative pour les directions du fondamental est la poursuite d’un processus entamé il y a près de dix ans ; l’amélioration de l’encadrement en maternelle figure dans les revendications syndicales depuis de nombreuses années.
Le PEE passe-t-il à côté de l’essentiel ?
L’avis n° 3 du groupe central, qui constitue la synthèse des opinions exprimées depuis le démarrage du PEE, est une brique de plus de trois cents pages d’une lecture très difficile. Quelqu’un disait ; un classique, c’est un livre que tout le monde voudrait avoir lu, mais que personne ne désire lire. Ce commentaire s’applique assez bien à l’avis n° 3 qui tombe assez vite des mains, même de celles de lecteurs du premier cercle qui sont censés contribuer à sa mise en œuvre. Son texte, souvent abscons et jargonnant, aura bien du mal à séduire les enseignants de base ou les parents motivés. Il s’articule autour de cinq axes.
– Enseigner savoirs et compétence, favoriser le plaisir d’apprendre.
– Mobiliser les acteurs, autonomie et responsabilisation accrue ; leadership des directions, valorisation du rôle des enseignants.
– Parcours qualifiant > filière d’excellence.
– Émancipation, excellence pour tous, mixité, inclusion, lutte contre l’échec.
– Rendre l’école plus accessible. Personne ne contestera que ces thématiques soient intéressantes, mais, comme souvent, un document mérite plus d’attention par les questions qu’il n’évoque pas que par celles dont il parle. Je me limiterai à quelques exemples de sujets à mes yeux essentiels et qui ne sont qu’effleurés. Le premier concerne la formation initiale des enseignants (FIE) et la qualité de ceux-ci. Cette question n’est pas centrale dans les documents
– parce qu’elle relève de la responsabilité d’un autre ministre. Ceci me semble constituer une erreur fondamentale dans le processus, un peu comme si on envisageait de mener une guerre sans se préoccuper ni de l’état physique des soldats ni de leur armement. Certes, le document fait allusion ici et là au niveau trop faible de nos instituteurs et de nos régents, mais ne propose aucune solution au problème. Or, on ne changera pas les choses si les responsables de l’enseignement obligatoire n’ont pas un dialogue franc et efficace avec ceux de la FIE.
Deuxième dossier traité superficiellement, le rôle des chefs d’établissement. L’axe deux qui évoque l’autonomie et la mobilisation des acteurs évoquait, assez logiquement, le rôle des directions. Peut-on imaginer de renforcer l’autonomie des établissements scolaires sans évoquer des questions comme celles du leadership des directions, mais aussi celle – plus polémique – de l’évaluation des enseignants ? Entre la première version de l’avis n° 3 (décembre 2016) et la version définitive de février, on a assisté à un recul sur ce sujet. Les organisations syndicales sont surtout préoccupées de limer les dents et de couper les griffes des méchants chefs dont, comme chacun sait, le sport préféré est la persécution des malheureux enseignants.
Un autre sujet traité, selon moi, de manière trop superficielle : l’enseignement de langues modernes. Le chapitre qui lui y est consacré dans le Rapport les éléments du Plan d’action relatifs au tronc commun (Prestation II) [sic] n’apporte pas de solution réelle au problème et se contente d’évoquer des options. Le rapport reconnaît le fait que l’enseignement des langues n’est pas organisé de manière uniforme en CFWB, puisque les règles qui régissent l’enseignement des langues modernes dans l’enseignement primaire sont effectivement différentes à Bruxelles et dans les communes à statut linguistique spécial, d’une part, dans le reste de la Wallonie d’autre part. Mais le rapport reste muet sur le fait qu’en région bruxelloise et dans ces communes cette obligation est sous-financée. Aucun signe encourageant non plus sur deux dossiers cruciaux si on veut progresser dans ce domaine que tous les responsables économiques considèrent pourtant comme déterminants pour le futur. Le rapport ne formule aucune proposition concrète en matière de pénurie des enseignants de langues modernes. Alors que cette pénurie est criante (particulièrement à Bruxelles), le rapport se retranche, lâchement, derrière l’incapacité de l’administration à fournir des chiffres précis sur le sujet. Cet aveu en dit long sur les priorités politiques de la CFWB depuis la fracassante déclaration de Mme Onkelinx ‘Tous bilingues en l’an 2000’ ; il éclaire aussi d’un jour assez sombre la capacité de l’administration de la CFWB (en dépit de sa tendance à vouloir tout régenter) à se doter d’outils de pilotage performants.
Dernier exemple, le discours sur l’autonomie. L’avis n° 3 consacre un important chapitre à ce sujet, sur lequel tout le monde a un avis, rarement éclairé d’ailleurs. Personne ne semble se souvenir que la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs (qui constitue le fondement de l’autonomie de l’enseignement) est garantie par l’article 6 de la loi du 29 mai 1959.
Bien évidemment, le rapport occulte totalement le fait que ces libertés sont progressivement réduites à néant par la volonté du législateur de gommer celles-ci à l’aide d’un outil redoutable, le pilotage pédagogique. Ce concept, qui est le masque d’une tentation technocratique et qui s’appuie sur la vérité révélée par les ‘sciences de l’éducation’, rogne les ailes à l’autonomie des pouvoirs organisateurs par toute une série de mesurettes d’autant plus efficaces qu’elles échappent, à cause de leur technicité, à tout contrôle démocratique. Ce système, qui a pris son essor complet avec le décret Missions de 1997 repose sur le principe que ‘celui qui paye le violoniste choisit la musique’7. Comme pouvoir subsidiant, la CFWB – qui a parfois des velléités centralisatrices très jacobines – considère qu’elle a le dernier mot et détient la vérité en matière d’organisation. Elle méprise en ce domaine une autre disposition de la loi du 29 mai 1959. L’article 25 met clairement en évidence le rôle central des pouvoirs organisateurs de l’enseignement subventionné en matière de financement. Ce rôle mériterait, à tout le moins une forme de respect, qui semble bien éloignée des préoccupations de la CFWB.
Le reste du discours contenu dans le document est un subtil mélange d’hypocrisie, de whishful thinking et de naïveté. L’hypocrisie se révèle très rapidement puisque l’avis n° 3 tombe rapidement le masque. On lira attentivement le texte suivant qui montre, sans ambiguïté, que la liberté pédagogique des pouvoirs organisateurs sera subordonnée à une évaluation réalisée par des technocrates qui s’arrogeront le droit de décider si de la compétence de ces pouvoirs organisateurs. « La mise en capacité des pouvoirs organisateurs à assumer le rôle qui est le leur dans le cadre défini ci-dessus doit retenir l’attention. Certains d’entre eux ne rencontreront pas toutes les conditions de compétence et de disponibilité qui sont indispensables à la gestion d’un établissement scolaire. Outre les nécessaires délégations à octroyer aux directions pour leur permettre d’assumer leurs responsabilités et la question des mutualisations de fonctions administratives et de gestion abordées infra, il est utile que le passage à la nouvelle gouvernance soit l’occasion, pour chacun des pouvoirs organisateurs, d’initier une réflexion sur leur fonctionnement et d’élaborer une stratégie explicite visant à assumer au mieux leurs missions propres. Il est sans doute temps de susciter certains remembrements de pouvoirs organisateurs par exemple au sein d’ASBL ou d’intercommunales. À cet effet, des incitants peuvent être envisagés dans le respect de l’autorité communale ou provinciale et de la liberté d’association. »
On ne peut que regretter que, pour ce qui concerne l’officiel subventionné, les municipalistes, par discipline de parti, se laissent museler et acceptent cette mise sous tutelle tout en demandant à leurs électeurs de financer un enseignement sur lequel ils ont de moins en moins de maîtrise.
Deux autres obstacles qu’il serait naïf d’ignorer jalonnent la route vers l’autonomie. Le discours sur l’autonomie fleure bon l’admiration pour l’efficacité des Pme. Le chef d’école se transformera donc en chef d’entreprise. Le modèle peut peut-être fonctionner, mais pas sans une mise à néant de quelques textes. Un patron de Pme, recrute, évalue et – si nécessaire – licencie son personnel. Adieu donc le statut et ses règles hyper contraignantes et ses protections. En bonne logique, adieu aussi à la nomination à titre définitif. Un patron de Pme est responsable financièrement de sa gestion : comment rendre cette hypothèse de travail compatible avec les règles qui président à la tenue de la comptabilité communale ? Je l’ignore.
En fait, le discours sur l’autonomie que l’on retrouve dans l’avis n° 3 est particulièrement nuisible parce qu’il flatte les enseignants et les directions en leur faisant miroiter un pouvoir qu’ils n’exerceront pas. Au mieux, pour l’enseignement subventionné, on leur donne l’illusion qu’ils pourront changer de maître et s’en trouver mieux.
Le discours du Groupe central est pour le moins paradoxal lorsqu’il met en garde contre le contrôle technocratique et la surcharge bureaucratique12, deux des caractéristiques les plus évidentes de notre système scolaire. Ces dernières années la CFWB n’a cessé de demander aux pouvoirs organisateurs et aux écoles de rendre des comptes, d’élaborer des projets, de faire des rapports dont la plupart ne paraissent pas d’une pertinence incontestable.
Conclusion
Le lancement du Pacte en 2015 était, avant tout, une opération de communication lancée par une ministre connue pour son tempérament remuant. Si la nécessité de réformer notre système éducatif est incontestable, la méthode choisie pour organiser le changement n’était sans doute pas la meilleure.
Dans une très intéressante analyse de juin 2015, Bernard Delvaux mettait déjà en garde sur les faiblesses du processus. Il y dénonçait la tentation d’éviter à tout prix les clivages idéologiques, le manque de clarté sur les objectifs éducatifs généraux et la tentation de se limiter, sur toute une série de sujets délicats, à un consensus mou qui évoque sans jamais prendre clairement parti.
Je souscris à la première recommandation qu’il se permettait de faire au gouvernement : « Ne plus parler de Pacte pour un enseignement d’excellence parce que le terme d’excellence ne dit rien des finalités du système éducatif, si ce n’est qu’il est tendu vers la compétition (entre individus et entre systèmes), et parce que le terme de pacte convient pour clore un conflit, mais pas pour mobiliser autour d’un objectif. À la place, parler par exemple de Feuille de route pour un système éducatif émancipateur, pour autant que ce dernier adjectif ne soit pas réduit à la signification pauvre d’ascension sociale, comme il l’est parfois dans les rapports ».
L’autre faiblesse du processus réside dans les documents produits eux- mêmes. Une réforme qui se veut aussi importante ne réussira que grâce à l’adhésion de tous les acteurs, à commencer par les enseignants. Les rédacteurs des rapports successifs auraient dû relire Boileau et se souvenir que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. On aurait ainsi évité de produire des textes d’une lisibilité toute relative et qui contiennent de vraies petites perles de jargon psychopédagogique. Pour être mobilisatrice, une réforme doit d’abord être comprise, en cette matière, on peut craindre que le PEE ne passe à côté de son objectif.
On l’a oublié, PEE a été précédé, il y a quelques années, par le Contrat pour l’école, initié par madame Arena et qui avait plus ou moins les mêmes objectifs. Ce document énonçait un nombre significatif de propositions qui se retrouvent dans les documents actuels. Ce constat en dit beaucoup sur notre mémoire et sur la rapidité avec lesquelles les réformes s’opèrent. Je crains que le PEE ne subisse le même sort, une réforme chassant l’autre au fil des changements de majorités. Si c’était le cas, le PEE, loin d’être la révolution annoncée, ne sera qu’une illusion de plus pour un système scolaire qui se dégrade d’année en année.
Informations complémentaires
Année | 2017 |
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Auteurs / Invités | Claude Wachtelaer |
Thématiques | École / Enseignement, Éducation, Pacte d'excellence, Politiques publiques, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses |