Le harcèlement à l’égard des femmes : Que dit la loi ?

Libres propos d’Abella MARTIN

 

UGS : 2017004 Catégorie : Étiquette :

Description

Portrait du cadre législatif belge au regard du harcèlement à l’égard des femmes et des comportements sexistes.

Pour aborder les comportements sexistes et le harcèlement l’égard des femmes nous avons en Belgique plusieurs possibilités.

Il y a la loi genre, c’est une loi spécifique qui est dédiée à la lutte contre la discrimination entre les femmes et les hommes. Elle envisage le harcèlement, le harcèlement moral fondé sur le sexe, le harcèlement sexuel. Et elle les envisage comme étant des discriminations. En tant que discrimination, ces phénomènes sont passibles de sanctions civiles et pénales. Cette loi a un champ d’applications, s’applique en matière de biens et services et également à l’emploi, pour résume fortement.

Cependant en matière de harcèlement dans l’emploi elle renvoie à la loi bien-être des travailleurs, loi de 1996. Pourquoi ? Parce que cette loi prévoit un mécanisme de prévention et de remédiation de la situation faisant intervenir d’autres acteurs. Dans les entreprises, il y a une personne de confiance qui, dans le cadre du travail, peut être contactée, qui va essayer de trouver une solution. Il y a également un conseiller en prévention. Cette loi bien-être des travailleurs met l’employeur au centre, au centre de la lutte contre le harcèlement. C’est donc l’employeur qui est responsable dans l’entreprise s’il y a des problèmes de harcèlement.

On a déjà les deux pendants, la loi genre d’un côté et la loi bien-être des travailleurs de l’autre.

Revenons à la loi genre, en donnant deux exemples.

Prenons le cas d’une femme, une travailleuse, qui reçoit une voiture de fonction plus petite (c’est un classique…, la petite voiture est plus facile à garer, c’est connu) que ses collègues qui font exactement le même travail, mais qui, eux, reçoivent une grosse voiture – le symbole phallique par excellence –. On se rend compte, que, instinctivement, il y a du sexisme derrière tout cela, mais en plus on va pouvoir cadrer cette situation dans la loi genre, parce que ce fait est bien défini comme étant une discrimination.

Prenons le cas d’une travailleuse donc, seule représentante de la gente féminine participante à un groupe de travail et que le président désigne systématiquement pour ramasser les tasses de café. « Julie vous reprendrez les tasses de café, n’est-ce pas ? » C’est un peu compliqué de se trouver dans cette situation, on se sent coincée. Alors là nous sommes en face d’un comportement offensant qui peut porter atteinte à la dignité. En fait, il s’agit d’un harcèlement moral fondé sur le sexe de la personne. C’est parce qu’elle est une femme qu’on lui demande de ramasser les tasses de café.

Et puis vous avez le harcèlement sexuel qui vient avec tout son lot de jurisprudences lié aux harcèlements abusifs des femmes qui ont refusé les avances de leurs supérieurs hiérarchiques.

Voici quelques cas, qui permettent de se rattacher aux termes juridiques. Là, vous disposez des deux pendants, la loi des genres d’un côté et de l’autre la loi pour les travailleurs.

L’objectif et les contenus de la loi

Le volet pénal

Les circonstances aggravantes s’appliquent à toute une série de préventions qui pourraient aussi cadrer avec l’idée d’un comportement sexiste.

Le harcèlement de droit commun

C’est lorsqu’une personne est harcelée parce qu’elle est une femme ; on pourra appliquer des circonstances aggravantes.

L’injure

C’est lorsqu’une femme est injuriée parce qu’elle est une femme ; on pourra appliquer des circonstances aggravantes.

Quand va-t-on appliquer ces circonstances aggravantes ?

Lorsque les mobiles du crime du délit sont la haine, le mépris ou l’hostilité à l’égard d’une personne en raison de son sexe. Le mobile est alors qualifié d’abject. À ce moment-là, le minimum des peines prévues peut être doublé.

Vous avez peut-être entendu parler de l’affaire Sadia. Les circonstances aggravantes sont assez jeunes et la raison n’avait pas encore été mobilisée.

L’affaire Sadia : Sadia est une jeune pakistanaise que la famille a voulu marier de force. Elle a refusé – sans entrer dans les détails –, et a été assassinée par son frère. Son petit ami, Jean Navarre, s’est présenté un jour à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et a demandé qui allait la défendre ? C’était un cas assez grave et l’Institut a soutenu l’affaire en justice et s’est porté partie civile pour faire reconnaître le crime d’honneur et faire activer les circonstances aggravantes. C’est la première fois que les circonstances aggravantes ont pu être activées en matière d’assassinat.

La loi sexisme

La loi tendant à lutter contre le sexisme. Depuis le 3 août 2014, date de son entrée en vigueur, une nouvelle loi vise le sexisme, mais prévoit aussi des sanctions pénales pour ce type de comportement. Cette loi importante –, il s’agit d’une première à l’échelle internationale –, reflète d’une position manifeste de rejet du sexisme. Le sexisme est pourtant loin d’être un phénomène nouveau… Depuis toujours les femmes, les associations de femmes revendiquent qu’une attention particulière soit accordée à ce type de comportement qui dénigre la femme et qui limite ses possibilités.

Quant à l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et à son rôle, il est né de l’obligation imposée aux états membres de l’Union européenne de transposer les directives. Vous ne le savez peut-être pas, mais en matière d’égalité rien ne se fait jamais spontanément, il n’est aucun réflexe égalitaire. Si on fait quelque chose, c’est parce qu’on y est contraint. Il y a donc des directives, au niveau européen, qui disent aux États membres ce qu’ils doivent mettre en place et les délais dans lesquels cela doit être fait, tel qu’avoir un equality body, un organe en charge de l’égalité. Et c’est comme ça que l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes a été créé.

L’Institut a plusieurs missions. La première, celle dont s’occupe plus particulièrement Abella Martin, c’est l’aide aux victimes qui peut parfois déboucher sur une action en justice. C’est là qu’ils ont constaté, au fil du traitement des dossiers, qu’il y avait toute une série de dossiers pour lesquels ils ne pouvaient rien faire. La loi genre n’aidait pas à résoudre certains dossiers. L’Institut était vraiment coincé, car la loi genre ne mentionne pas le sexisme. Rien ne mentionne le sexisme avant la loi sexisme, c’est ainsi que toute une série de comportements échappaient aux traitements juridiques des dossiers. Il s’agissait de publicités, de propos, d’images ou de messages sexistes qui choquaient, mais à l’égard desquels la fameuse culture de l’impunité était de rigueur. C’est la deuxième mission de l’Institut, Études et recherches. L’Institut a réalisé quelques recherches et il y en a une, particulièrement, une recherche en droit comparé sur les comportements sexistes qui a révélé qu’il n’y avait aucun pays européen, que ce soit la France, les Pays-Bas, le Royaume-Uni, l’Irlande, la Suisse, l’Espagne, …, qui connaissait ce terme de sexisme.

N’y avait-t-il aucune réaction légale qui était prévue ? Non, il y avait quelque chose, mais on préférait parler de harcèlements, de violences conjugales, tout au plus d’injures sexistes ou de circonstances aggravantes liées au sexe, mais surtout ne jamais prononcer le terme « sexisme ».

Il y a une théorie en psychologie qui dit que les choses n’accèdent à une existence que si on leur donne un nom.

L’Institut était confronté à ce qu’on appelle un déni : on ne voulait pas voir que ces comportements existaient. Il y avait une trop grande « permissivité » et l’impunité n’a aucun effet dissuasif, on est tous d’accord là-dessus.

La troisième mission de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes sont les recommandations. Il fallait renfoncer l’arsenal législatif, car il y avait une série de dossiers qui ne pouvaient pas être traités.

Et comme souvent, il a fallu attendre un déclencheur, un événement qui choque. Cet événement, c’est le reportage de Sophie Peeters. Une étudiante qui arrive à Bruxelles et qui, tous les jours, cinq à dix fois par jour, se fait insulter, se fait harceler verbalement par des hommes dans la rue, en passant par le « Je peux avoir votre numéro de téléphone ? », à « Vous venez boire un verre chez moi ? ». Et lorsqu’elle répond –, c’est très clair, on le voit dans son reportage –, « Non merci », on lui dit « Si tu donnes envie, c’est normal non ? ».

Lorsqu’elle est sur le point de terminer ses études, elle s’équipe d’une caméra et filme tout cela, et le 26 juillet 2012, ce reportage est diffusé à la télévision et projeté au Cinéma Galerie à Bruxelles. Malgré le fait que c’était les grandes vacances, ça a été un choc. Il y a eu une vraie mise en lumière du sexisme, un sujet jusque-là tabou. Ce reportage a choqué, secoué la société belge, mais pas seulement, car cela a été immédiatement repris au niveau international. C’est comme cela que l’on a découvert le harcèlement de rue et le sexisme dont sont victimes les femmes.

Les réactions ne se sont pas fait attendre. On a parlé sanctions administratives… Le 28 juillet 2012, la ville de Bruxelles impose des amendes administratives et la ministre en charge de l’Égalité, à l’époque, se décide enfin à légiférer et à prendre des mesures et s’ensuivra la loi sexisme.

La loi sexisme consiste en deux choses : pénaliser le sexisme et en faire un délit autonome pour lui donner une visibilité sans la raccrocher à d’autres délits, sans en faire une circonstance aggravante d’un autre délit et prévoir également une sanction.

Il y a d’abord une définition –au niveau juridique, c’est parfois rébarbatif –, la voici :

« Le sexisme s’entend de tous gestes ou comportements qui, dans les circonstances visées à l’article 444 du Code pénal (ce sont les circonstances publiques), a manifestement pour objet d’exprimer un mépris à l’égard d’une personne en raison de son appartenance sexuelle ou de la considérer, pour la même raison, comme inférieure ou comme réduite essentiellement à sa dimension sexuelle. »

Cette définition s’applique tant aux hommes qu’aux femmes, même si on sait bien que cela vise principalement et essentiellement les femmes.

La sanction est une sanction plus sévère que celle qui est applicable dans le contexte des circonstances aggravantes ou des autres infractions telles que l’injure, la diffamation, les calomnies etc. L’inspiration vient des sanctions prévues dans la loi genre, soit dans le domaine de la discrimination.

Il faut un geste ou un comportement : donc cela peut être un acte physique ou verbal, des insultes, des gestes obscènes, des propos, des attitudes réductrices ou méprisantes ou, également, une publication sur les réseaux sociaux. C’est important parce que cela se développe de plus en plus.

Les circonstances visées à l’article 444 du Code pénal et c’est fondamental, parce que le titre de la loi parle d’« espace public », alors on pense que c’est applicable uniquement en rue, mais non, il faut se référer à l’article 444 qui prévoit que, cela peut se passer soit dans l’espace public, soit en rue, mais aussi dans un autre espace. À ce moment là, il faut juste qu’il y ait deux témoins. Mais cela peut même être dans les embouteillages : vous êtes en voiture, vous avez deux personnes derrière vous (dans la voiture), quelqu’un sort d’une voiture et vous interpelle en tenant des propos sexistes. Cela peut se passer dans un bus ; cela peut se passer lors d’une réunion d’un conseil d’administration ; cela peut se passer au travail,… Il y a quand même pas mal de situations dans lesquelles on pourra mobiliser cette loi. Évidemment cette exigence de publicité va faciliter la preuve et quand on parle de preuves, il y a les moyens modernes d’enregistrement et autres. Une décision en matière de discrimination a accepté l’enregistrement via un Gsm. Le juge a estimé qu’en matière de discrimination, il est quand même compliqué de prouver qu’il y a discrimination s’il n’y a pas d’autres moyens, et de ce fait les enregistrements sont acceptés.

Il faut « un comportement qui a manifestement pour objet… ». Ici, on retrouve l’élément intentionnel. N’oublions pas que c’est du droit pénal, il faut qu’il y ait une intension de nuire. Parfois on dit qu’elle fait défaut, parce que les hommes ne se rendent pas toujours compte qu’ils sont en train de créer un dommage.

Les caractéristiques de ces comportements

Le comportement doit exprimer un mépris à l’égard d’une personne, la considérer comme inférieure ou comme réduite à sa dimension sexuelle.

« À l’égard d’une personne », c’est très important parce que les personnes doivent être déterminées et identifiables. C’est d’ailleurs pour cela que ça ne s’applique pas à la publicité, parce que là on a affaire aux femmes, on ne peut pas les identifier, ce sont les femmes en général. Par contre, si on a un propos sexiste dans l’immédiat, par exemple, ou autre, et qui concerne les femmes de telle entreprise, là on va pouvoir les identifier et on pourra appliquer la loi sexisme.

Prenons l’exemple d’une publicité. C’était une course cycliste et les organisateurs n’ont rien trouvé de mieux que de mettre une affiche avec la main d’un cycliste allant pincer les fesses d’une femme. Au lieu de dire « Qui va être le gagnant de la course ? », cela disait plutôt « Qui va avoir l’occasion de pincer les fesses de l’hôtesse ».

Il faut aussi le dernier élément, « un comportement intentionnel », une atteinte grave à la dignité. Cela veut dire que, d’après les travaux préparatoires, le projet veut poser une avancée significative, mais ne veut pas être liberticide, donc l’auteur doit savoir que son comportement peut blesser. La loi requiert un certain niveau de gravité qui sera apprécié par le juge au pénal. Cela veut malheureusement dire que cela ne s’applique ni aux blagues, ni aux vidéos humoristiques.

Conclusion

Cette loi ne fait pas l’unanimité, tant du point de vue des féministes, que de certains professeurs de droit. Les unes estiment que la législation ne va pas encore assez loin en ne touchant pas, par exemple, aux publicités sexistes ou en ne ciblant que l’espace public, en ne couvrant pas le volet civil qui aurait permis un renversement de la charge de la preuve, car en droit pénal, la charge de la preuve est lourde à porter. Les autres estiment qu’elle est liberticide, qu’elle porte atteinte à la liberté d’expression, que les peines prévues sont disproportionnées et qu’elle n’aura de toute façon aucun impact. D’ailleurs, il y a eu un recours en annulation de cette loi, introduite à la Cour constitutionnelle. C’est un parti libertalien qui l’a introduite : ils étaient offusqués et estimaient que la loi sexisme était une atteinte à la liberté d’expression.

À l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, on pense, à l’instar du législateur, que cette loi a le mérite de donner à notre société un cadre et des limites sur ce qui est admissible ou non. Le message est clair : le sexisme n’est pas tolérable dans notre société. Le racisme était condamné pénalement et il n’a pas nécessité de définition, pourquoi ? Parce qu’il y a un consensus autour du racisme qu’il n’y a pas autour du sexisme. À présent, le sexisme est condamnable, le message est clair.

Alors il y a un avantage pratique, les notions utilisées ne sont pas trop strictes, elles n’enferment pas la définition dans un cadre strict, ce qui permet au juge d’évoluer avec la société. On a l’espoir qu’avec l’évolution de la société et la voie qui a été choisie, c’est sera l’autonomie de l’incrimination, ce qui permettra au sexisme de développer sa propre jurisprudence et de lui donner une visibilité.

Surtout une haute valeur symbolique, la charge de la preuve est difficile en droit pénal, mais le droit pénal et la matière pénale sont hautement symboliques de l’importance qu’une société apporte aux rejets de certains comportements. Le phénomène est désormais rendu visible et à ceux qui critiquent la loi disant qu’elle ne sert rien, il y a trois choses à dire.

En 1981, la loi racisme a été adoptée et il y a aussi fallu attendre dix ans avant de voir la jurisprudence racisme se développer. C’est pourquoi on est si pressé en matière de sexisme.

Cette loi sexisme, en donnant son message fait qu’il y a des sanctions disciplinaires qui sont prises. Il y a des supérieurs hiérarchiques à qui on explique cette loi en détail, qui réalisent qu’ils vont devoir sanctionner en interne, et des sanctions sont prises. C’est déjà un aspect très positif.

Last but not least, la plus haute cour du pays ne s’est pas trompée lorsqu’en mai 2016 elle a défendu la loi sexisme. Le recours en annulation, qui avait été introduit par un parti libertalien, a été rejeté. Et l’arrêt dit deux choses bien importantes :
– La Cour constitutionnelle a reconnu en cette loi une dimension éducative et préventive qui peut justifier l’adoption de sanctions pénales. Cela veut dire que même si on ne peut pas appliquer la loi sexisme, il faut en profiter pour éduquer et pour faire de la prévention, parce qu’en effet la loi sexisme poursuit le but d’un changement dans les comportements. Et de ce fait, elle participe à un changement des mentalités nécessaires à l’évolution égalitaire d’une société.

L’égalité, ce n’est pas un reflexe, il faut pousser, petit à petit, pour qu’un jour on ne parle plus d’inégalité, pour que cela devienne un réflexe auprès de tout le monde.

– La Cour a rappelé que le législateur a voulu garantir l’égalité des hommes et des femmes et affirmer, qu’en tant que valeur fondamentale de la société démocratique, elle pouvait justifier une ingérence dans la liberté d’expression.

Parce que, honnêtement, ce dont il s’agit c’est de sanctionner des comportements qui sont posés avec une intention de nuire, ce n’est pas du tout de sanctionner des opinons.

Alors oui ! Oui ! Oui, pour la loi sexisme ! Un pas de plus vers l’égalité.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Abella Martin

Thématiques

Droit / Législation, Droits des femmes, Égalite H-F, Harcèlement sexuel, Lutte contre les violences entre partenaires / Violences de genre, Questions de genre, Sexisme

Année

2017