L’animal de laboratoire face aux droits des animaux au XXIe siècle

Philippe HORLAIT

 

UGS : 2020012 Catégorie : Étiquette :

Description

Les recherches en bioéthique ont fait apparaître dans nos civilisations, en marge des recherches sur l’être humain, des problèmes spécifiques inhérents à l’expérimentation animale, amenant dans ce débat des associations qui estiment que l’animal a des droits et que l’homme doit les respecter étant lui-même un élément de cette chaîne naturelle : – La nécessité d’utiliser des animaux de laboratoire. – L’éthique de l’utilisation de l’animal en laboratoire. – L’évolution de la perception de l’animal dans nos sociétés occidentalisées.

1. Le besoin d’expérimenter sur l’animal

Depuis très longtemps, l’homme utilise l’animal en expérimentation pour comprendre le vivant ; cela a peut-être commencé en 370 avant notre ère, avec Hippocrate, l’auteur du fameux serment que prêtent encore aujourd’hui tous les nouveaux diplômés en médecine.

C’est au début du XIXe siècle que la médecine commence à s’appuyer sur la connaissance du vivant.

Le père de la médecine expérimentale, Claude Bernard, publie en 1865  Introduction à l’étude de la médecine expérimentale. Dans cet ouvrage, il mentionne que la médecine ne peut acquérir un caractère scientifique que grâce aux expérimentations sur les animaux.

La physiologie (étude du fonctionnement de l’individu) prend alors son essor et des progrès énormes sont récoltés grâce, il faut bien le dire, à la vivisection d’animaux ; la découverte et l’usage d’anesthésiques n’étaient pas suffisamment avancés et de toute façon pas en utilisation chez l’animal.

Note : le terme de vivisection ne me plaît pas, car il est souvent mal interprété. Cependant, la définition de ce mot est bien de désigner toute dissection expérimentale pratiquée sur un animal vivant.

Même si la recherche scientifique dispose au XXIe siècle d’autres possibilités que l’expérimentation sur l’animal vivant, elle ne peut pour autant s’en passer, car elle a pour effet de diminuer la mortalité humaine et animale (animaux de rente et de compagnie) et d’augmenter l’espérance de vie.

Depuis 1901, nonante-quatre prix Nobel de médecine ont été décernés pour des travaux incluant des animaux de laboratoire. Les quatre prix Nobel de médecine de cette année, Koelin, Ratcliffe et Semenza n’y échappent pas.

Plus près de nous, la professeure Sophie Lucas de l’UCL a obtenu le prix GSK pour sa découverte d’un traitement innovant contre les cellules cancéreuses via l’immunité du patient.

À l’ordre du jour actuellement : le coronavirus qui menace toute la planète, plusieurs équipes de chercheurs essaient de trouver un vaccin. Comment croyez-vous qu’ils travaillent ?

Allons plus loin, les chercheurs ont créé des animaux humanisés, c’est-à-dire que des souris ont, par exemple, un système immunitaire humain, ce qui augmente la précision de la recherche et l’extrapolation à une réponse immunitaire humaine.

Ou encore, de faire grandir des cellules humaines dans des porcs qui donneraient un organe entier qu’on pourrait « récolter » pour le greffer sur un humain. C’est ce que l’on appelle une xénogreffe. L’animal serait le « champ de culture » pour des organes humains.

Ce n’est pas un rêve : des sociétés privées investissent dans ce domaine au Japon où les comités de bioéthique ont donné leur aval.

Si, au sens de la loi, l’animal est un bien meuble, la législation sur son utilisation à tous les niveaux : élevage, animal de compagnie et animal de recherche, a bien évolué.

La volonté politique est de créer juridiquement un niveau intermédiaire entre les humains et les biens meubles : on trouvera les êtres doués de sensibilité. Une mesure qui prévoit cette reconnaissance a été déposée par le gouvernement belge l’année passée.

Note : Si vous cherchez une définition de l’animal actuellement, vous ne la trouverez qu’à deux endroits : les abattoirs et la recherche sur animaux vivants.

Petite mise au point sur l’utilisation des animaux en Belgique, il est bon se savoir de quoi on parle.

Animaux de ferme (bovins, porcs, volaille), sur un cheptel de quatre cents millions d’animaux. – Bovins abattus par an : neuf cent mille. – Porcs abattus par an : douze millions. – Volailles abattues par an : trois cents millions.

Soit 318 millions d’animaux pour l’année 2018.

Nombre d’animaux tués sur nos routes, par an : onze millions. Nombre d’animaux de laboratoires utilisés, par an : six cent mille, soit moins d’un pour cent des animaux de ferme.

La Belgique est un petit pays, mais elle fourmille de laboratoires dans le domaine biomédical, et plus de trois cents animaleries de laboratoire sont répertoriées sur son territoire. Donc, si le secteur de la recherche est dynamique dans notre pays, au niveau de l’expérimentation, on utilise forcément beaucoup d’animaux. Et c’est ainsi que la Belgique est en seconde position sur le plan européen en matière de recherche.

Quels sont les buts de cette recherche ?

– Études de biologie fondamentale : trente-cinq pour cent. – Recherche appliquée en médecine humaine et vétérinaire : trente pour cent. – Contrôles de qualité des médicaments : quinze pour cent. – Essais toxicologiques : dix pour cent. – Autres : dix pour cent.

Quelles sont les catégories d’animaux utilisés ?

Les rongeurs présentent toujours le groupe le plus important (nonante-deux pour cent), les carnivores diminuent de manière régulière (0,09 pour cent), les animaux à sang froid augmentent (4,35 pour cent) et enfin les primates diminuent fortement (0,0039 pour cent).

À noter que depuis quelques années, les poissons sont de plus en plus utilisés pour des recherches, par exemple en génétique et en immunologie (le zebrafish est le plus commun).

2. L’éthique et la recherche sur l’animal vivant

Toute expérimentation sur animal vivant doit être réalisée dans une animalerie de recherche agréée par le ministère en charge du bien-être animal.

Le chercheur doit réaliser un protocole d’expérience dans lequel il décrit le but et les techniques utilisées dans son protocole. Quand son protocole est prêt, il est soumis à une commission d’éthique qui pose des questions au chercheur et qui agrée ou refuse le protocole pour une durée de maximum de cinq ans. À l’issue de ce terme, une évaluation rétrospective doit être réalisée.

Composition des commissions d’éthique

Toute commission d’éthique animale est composée au minimum de sept personnes qui réunissent les six compétences suivantes : – Éthique. – Méthodes alternatives (remplacer l’animal par autre chose). – Santé et bien-être animal. – Techniques expérimentales. – Direction d’expérience. – Analyse statistique.

Une fois toutes les réponses apportées, la commission décide d’accepter tel quel le projet ou moyennant certaines restrictions, ou de refuser que cette expérience soit mise en route.

Un principe est mis en évidence depuis 1959, date à laquelle il a été énoncé par les chercheurs Russell et Burch : celui des trois R (raffinement, réduction et remplacement).

Toute procédure qui permet de remplacer les animaux d’expérimentation, de réduire le nombre d’animaux nécessaires et d’amoindrir la douleur ou le stress dont souffriraient les animaux, si elle est possible, doit être mise en œuvre. C’est ainsi que les expérimentations sur la peau (2001) et le tabac (2010) sont interdites en Europe, car des méthodes alternatives existent.

Quand le remplacement complet n’est pas possible, la règle est de réaliser des remplacements « relatifs » d’une espèce par une autre : on essaye de remplacer un animal à sensibilité élevée (mammifère) par un animal dont le potentiel de perception de la douleur est, selon les données scientifiques actuelles, significativement moins élevé, comme les invertébrés.

Enfin le remplacement réel de l’animal peut être réalisé dans certains cas grâce aux cultures cellulaires in vitro ; cela est maintenant parfaitement au point pour tous les tests sur la peau, notamment en cosmétologie. À citer aussi les modèles microfluidiques (organ on chip) : des petits aquariums sont ensemencés avec des cellules d’organes humains qu’ils reproduisent ; ils sont mis en connections et nous avons un jeu de Lego qui représente les composantes des organes d’un homme ; c’est utilisé à ce jour à titre expérimental.

Les méthodes in silico : ce terme veut simplement dire que des programmes informatiques basés sur des algorithmes complexes peuvent prédire le devenir d’un médicament dans un organe.

L’application de l’éthique en recherche devrait être plus vulgarisée dans le grand public, plus de transparence permettrait au monde de la recherche in vivo de faire mieux comprendre sa mission et les moyens qu’il se donne pour y arriver d’une manière acceptable au niveau éthique.

3. Évolution de la perception philosophique de l’animal

Si l’attitude à l’égard des droits de l’homme a évolué, elle évolue aussi à l’égard des animaux.

La définition du rapport de l’homme à l’animal est tout à fait différente selon les cultures.

Il n’y a cependant, de mon point de vue, de conception du monde qu’anthropogénique.

Cet anthropogénisme n’est pas une vérité universelle, mais bien une vérité d’époque et de lieu.

Cependant si on développe une logique qui ne met pas l’homme au centre de la nature, c’est quand même l’homme qui est l’occasion de cette réalité.

Il y a deux façons de concevoir le monde à partir de l’animal : soit on admet une différence de nature, soit une différence de degré. C’est cette deuxième approche qui est retenue dans nos civilisations occidentales, cependant même si l’homme est un animal ; c’est quand même un animal « pas tout à fait comme les autres ».

Nos sociétés occidentales considèrent comme une règle généralement acceptée qu’il y aura toujours une différence entre l’homme, même amoindri, et l’animal ; cependant des mouvements sociétaux donnent une place de plus en plus importante à l’animal et à l’extrême –, suite, entre autres, aux travaux célèbres de Peter Singer et Tom Regan aboutissant à la notion d’« antispécisme » –, il n’y a plus de différence entre espèces d’animaux, donc entre l’homme et les bêtes.

Jean-Yves Goffi distingue bien les différences de perception des bêtes dans nos sociétés occidentales.

– Les animaux familiers ont un statut indécis ; ils sont des enfants éternellement mineurs, les humains leur consacrent un budget énorme au niveau du ménage et vont jusqu’à leur offrir un service de pompes funèbres individualisé. – Les animaux sauvages qui ont le statut légal de res nullius, dont certains sont protégés à titre d’espèce quand celle-ci est menacée, mais qui peuvent être chassés. – Les zoos, collection d’animaux vivants, sont une autre facette des relations homme/animal. Leur vertu pédagogique est de plus en plus remise en question. Il en est de même pour les cirques où les conditions d’élevage des animaux sont encore inférieures à celle des zoos. – La grosse majorité des animaux d’élevage qui alimentent l’homme. Pour eux, ce sont les conditions d’élevage industriel et le moment de leur mise à mort qui sont de plus en plus remises en question. –Et enfin, il y a la pratique de la recherche sur l’animal vivant. Cette pratique est la plus contestée, alors que Jean-Yves Goffi relève ce paradoxe : si un ami des bêtes peut éviter de chasser, d’aller au cirque et au zoo, peut aussi devenir végétarien, il ne peut se passer de se soigner avec des médicaments, d’être opéré, d’utiliser des produits ménagers qui, inévitablement, sont issus à un moment ou à un autre de cette recherche sur l’animal. L’avenir est au dialogue dans la société démocratique et humaniste que nous voulons. Les différents laboratoires, encore aujourd’hui, préfèrent rester cachés, et c’est ce genre de comportement qui génère la suspicion et

l’occupation du terrain médiatique par les contradicteurs, qui vont même jusqu’au négationnisme des progrès de la science.

Personne à l’heure actuelle ne prendra la responsabilité d’arrêter ces expériences et de promouvoir ainsi l’ignorance ; quelle serait l’éthique adoptée en cette matière, ne fût-ce que par rapport aux patients atteints de cancers, du Sida, d’anomalies congénitales et autres ?

Conclusions

Tant les expérimentateurs que le public doivent être à même de juger, de manière équilibrée et non passionnelle, les avantages et les inconvénients des expérimentations animales.

Cette pratique est au XXIe siècle encore indispensable pour faire progresser la science et la médecine.

L’expérimentation animale ne peut être placée en dehors de l’éthique ; elle ne peut être dissociée, ni de l’analyse scientifique du problème à résoudre ni de l’évaluation objective des éventuels dilemmes moraux et éthiques que pose l’expérimentation, laquelle engendrera non pas un interdit absolu, mais une limitation.

Le défit le plus difficile qui se présente de mon point de vue pour le moment est celui non pas d’assumer la responsabilité des nouveaux pouvoirs acquis grâce aux nouveaux savoirs, mais la responsabilité de divulguer ceux-ci et de les démystifier aux yeux du grand public.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Philippe Horlait

Thématiques

Bioéthique, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Questions éthiques, Respect des animaux

Année

2020

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