Description
L’impact des « Lumières » : des États-Unis à la France en passant par les États belgiques unis.
Il est une évidence qu’il convient de rappeler, ici : le siècle des Lumières est le ferment de l’humanisme politique et des idées qui ont pu se développer dans toute l’Europe. Celles-ci ont été à la base de la fin de ce que les historiens appellent l’Ancien Régime. C’est dans ce contexte qu’est née la laïcité qui a su d’une part s’engouffrer dans la brèche qu’offraient les différents protestantismes dans le domaine religieux (libre examen des textes bibliques), et d’autre part s’appuyer sur tout le courant anticlérical qui en élargit le champ (représentation politique et sociale). En effet, sur le plan politique, l’irruption de la Réforme au XVIe siècle entraîna de sanglants conflits entre les partisans du protestantisme et l’autorité espagnole. Elle aboutira à la scission des Pays-Bas dont la partie méridionale correspond grosso modo au territoire belge actuel, qui demeurera catholique. Mais c’est à la fin de la période autrichienne que les premières tentatives de distanciation de l’État vis-à-vis de l’Église virent le jour. Il s’agit notamment de l’institution des collèges royaux d’humanités, dits « collèges thérésiens » [1777], de la promulgation par l’empereur Joseph II de l’Édit de Tolérance [1781] et de la suppression des ordres monastiques strictement contemplatifs [1783]. Ce mouvement de relative laïcisation, qui coïncidait avec des mesures de centralisation administrative, rencontra l’opposition des conservateurs comme celle des réformateurs. Elle fut à l’origine de ce que d’aucuns ont appelé la révolution brabançonne de 1789 (même si cette appellation est parfois contestée par ceux qui y voient simplement la volonté de Van der Mersch, qui obtint le commandement de l’armée patriotique [août 1789], de faire valoir les idéaux de la démocratie qui couvaient) et de la création des États belgiques unis. Cette éphémère confédération fut dominée par les groupes les plus attachés aux privilèges sociaux et aux particularismes locaux, mais cette période vit aussi naître un anticléricalisme appelé à exercer une influence ultérieurement. En 1792, les troupes françaises commencèrent à conquérir le territoire, amenant avec elles des idées révolutionnaires diversement appréciées dans la population. L’administration française s’installa dans nos régions et l’application des lois françaises, durant toute la période de notre annexion au régime de la Convention et du Directoire [1795-1799 et plus tard jusqu’en 1814], vint imposer une laïcisation brutale de la société. Les mesures principales furent la confiscation puis la vente des biens du clergé, sa constitution civile, la suppression des congrégations religieuses et l’interdiction des manifestations extérieures du culte. Ces premières mesures furent adoucies par le premier consul Bonaparte et le pape Pie VII en 1801 qui restaurèrent la liberté d’exercice du culte, mais conférèrent à l’autorité publique le soin de la réglementer. Le régime concordataire n’empêcha pas une opposition traditionaliste catholique de continuer à se développer.
Après la défaite française de Leipzig, la Belgique fut rattachée aux anciennes Provinces-Unies [1814] et se retrouva sous l’autorité d’un prince protestant. Le régime hollandais se heurta, encore plus que son prédécesseur français, à l’opposition des catholiques traditionalistes de Belgique. D’un autre côté, le pays bénéficia d’un certain support auprès de la bourgeoisie et de l’administration qui avaient bénéficié du mouvement de laïcisation. Durant cette époque se dessine un des clivages qui traversera la société belge durant tout le XIXe siècle : l’opposition entre catholiques et libéraux. Catholiques et libéraux composeront le Congrès National, premier parlement, constitué à l’indépendance de notre pays. Ils s’attelleront à rédiger une constitution très progressiste pour l’époque, qui verra le jour en février 1831. Ce texte fondamental aura mis largement l’accent sur les principes de la liberté de conscience et d’indépendance réciproque de l’Église et de l’État [Art. 19, 20 et 21 §1 de la Constitution]. L’indépendance réciproque de l’Église et de l’État souffre cependant deux limitations. La première réside dans la préséance du mariage civil sur le mariage religieux, et la seconde délègue à l’État la prise en charge des traitements et pensions des ministres du culte.
Ce que l’on oublie souvent de considérer, quand on recherche les fondements de la sécularisation de nos sociétés, c’est l’influence américaine et précisément le pragmatisme des hommes politiques américains. Les premiers parlementaires américains amenèrent leur nation, se fondant sur des considérations philosophiques, à établir le non-interventionnisme de l’État dans les religions – ce qui n’interdit pas aux religions d’intervenir dans les affaires de l’État. Le premier amendement à la constitution américaine est limpide : « Le Congrès ne pourra faire aucune loi concernant l’établissement d’une religion ou interdisant son libre exercice, restreignant la liberté de parole ou de la presse, ou touchant au droit des citoyens de s’assembler paisiblement et d’adresser des pétitions au gouvernement pour le redressement de leurs griefs ». En effet, les différentes colonies américaines s’étaient constituées sur le modèle européen : chacune des colonies fondait le lien social autour d’une conception particulière (modèle théologique). Réunir ce puzzle d’« États », sous une même bannière (la bannière étoilée en l’occurrence) allait imposer le pragmatisme dont il est question. Et le premier État américain qui l’introduisit dans sa propre législation fut l’état de Virginie. Le principe de séparation de l’Église et de l’État était né !
Il est vrai qu’on pourrait aussi aller puiser dans la fameuse parole de Jésus reprise dans l’Évangile de Matthieu : « Rendez à César, ce qui est à César… », la première idée laïque au sens politique du terme. C’est que les groupes minoritaires ont toujours intérêt à dissocier le temporel du spirituel (la secte catholique était évidemment minoritaire, à l’origine)… Cette interprétation politique que nous faisons de la déclaration attribuée à Jésus est différente de l’analyse théologique qu’en fait Salomon Malka. Pour lui, il est inutile de se battre contre l’occupant romain, seul le royaume des cieux importe. Il n’est pas grave de payer l’impôt à l’empereur pourvu qu’on soit pur devant Dieu.
Au-delà de ces observations, comprenons bien que dans l’Ancien Régime, toutes les lois étaient évidemment imprégnées de considérants religieux et théologiques : le pouvoir politique était légitimé par les commandements divins (hétéronomie). La fin du XVIIIe siècle va renverser cette réalité politique puisqu’on va reconnaître tous les droits aux citoyens (autonomie).
En ce qui concerne les religions, le constituant va prendre un ensemble de mesures qui amenèrent finalement une laïcisation brutale de la société et qui déclencha l’opposition d’une large partie de la population de nos régions, très attachée à la pratique religieuse. Ces principales mesures légales sont la confiscation, et plus tard, la vente des biens de l’Église, l’application de la constitution civile du clergé, la suppression des congrégations religieuses et la réglementation de l’exercice du culte par l’interdiction de ses manifestations extérieures. La signature du concordat par le premier consul Bonaparte et le pape Pie VII, en 1801, rendit l’exercice du culte à nouveau public et libre, mais conféra à l’autorité publique le pouvoir de le réglementer. Il s’agit de la loi du 8 avril 1802, dont les articles rendaient l’Église de France plus étroitement dépendante de l’État.
Si le projet de Constitution de 1815, qui était l’une des plus progressistes de l’époque, prévoyait bien la liberté de conscience et l’égalité de religion, dans les faits l’exercice de la police des cultes et l’enseignement dépendaient in fine d’un prince protestant (en particulier, la création d’un collège philosophique destiné aux futurs séminaristes suscita l’ire de la hiérarchie épiscopale catholique). Cette dimension religieuse joua un rôle non négligeable dans l’opposition des populations au roi, même si la révolution de 1830 ne fut pas seulement une réaction catholique à la politique hollandaise. L’alliance des libéraux et des catholiques conduisit, dès la mise sur pied du gouvernement provisoire, à la prise d’arrêtés assurant différentes libertés – liberté d’enseignement [12 octobre 1830], droit d’association [6 octobre 1830], liberté de la presse et de l’exercice des cultes [16 octobre 1830]. En matière religieuse, parmi ceux qui s’érigent en défenseur du pouvoir temporel, beaucoup sont partisans de la primauté du temporel sur le spirituel (césaro-papisme : l’Église dans l’État et non l’État dans l’Église), qui mettrait l’Église sous liberté surveillée. La notion de neutralité – « L’État neutre entre les religions, tolérant pour les cultes et forçant l’Église à lui obéir sur ce point capital » – finira pourtant par émerger, qui permettra les accommodements (compromis politiques entre les catholiques et les libéraux) nécessaires déjà dans un système censitaire, prémices de la démocratie à venir.
Le concept même de tolérance que Littré définissait encore, il y a un siècle, comme : « Condescendance, indulgence pour ce qu’on ne peut ou ne veut pas empêcher » va évoluer pour ne plus être une concession à faire à l’autre, mais un processus positif et dynamique qui mènera à la discussion et, pourquoi pas, à l’intégration des valeurs qui fera du droit de croire ou de ne pas croire, un droit spontané (qui repose sur le fait qu’il est attaché à un être humain), un droit naturel donc entre 1780 et 1820.
Informations complémentaires
Année | 2012 |
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Auteurs / Invités | Marc Mayer |
Thématiques | Église, Laïcité, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses |