La judéophobie

Libres propos d’Alain GOLDSCHLÄGER

 

UGS : 2020028 Catégorie : Étiquette :

Description

À l’origine et à la base, il y a très peu de différences entre la judéophobie et l’antisémitisme. La différence, si elle existe, est une différence fonctionnelle.  L’antisémitisme a un  bagage de vingt siècles avec énormément de composantes différentes : l’antisémitisme religieux, l’antisémitisme économique, l’antisémitisme nazi…

Depuis les années 1980, on assiste à une résurgence, après le calme relatif de l’après-guerre, d’une montée de ce sentiment raciste qui vise la communauté juive, notamment en Occident, c’est-à-dire en Europe et en Amérique du Nord. Pour différencier cette vague, des auteurs français, dont Pierre-André Taguieff, ont forgé le mot –, encore qu’il n’était pas neuf –, de « judéophobie » pour distinguer le phénomène. Pierre-André Taguieff a inscrit le mot « judéophobie » dans le titre de l’un ses ouvrages, et il applique ce concept à une forme de rejet des Juifs.

La judéophobie, un rejet politique

La judéophobie est davantage un rejet d’inspiration politique que l’antijudaïsme d’autrefois, qui était inspiré par la religion : le peuple juif était défini par les théologiens comme le peuple déicide. Ce motif de l’antisémitisme a pratiquement disparu. L’Église, elle-même, a fait amende honorable : non seulement le pape Jean-Paul II est allé en visite dans une synagogue à Rome, ce qui ne s’était jamais vu, en reconnaissant les injustices commises au cours de l’histoire par les chrétiens à l’égard des Juifs, au nom de cette notion de peuple déicide. Il a aussi reconnu les torts subis de la part des chrétiens afin que l’Église reste non touchée par la souillure du racisme. Depuis lors, tant le pape Benoît XVI que le pape François s’y sont rendus.

La judéophobie se marque par une sorte d’amalgame de discours de type ancien, l’antisémitisme, et d’un discours plus récent, l’antisionisme. La judéophobie, souvent, reformule des préjugés anciens sous le couvert d’un discours politique non marqué par la tradition raciste. C’est l’avantage pratique d’utiliser un nouveau terme pour révéler ou pour analyser une facette d’un phénomène ancien.

Les formes de l’antisémitisme politique, déjà ancien, telles que durant l’affaire Dreyfus, telle que les doctrines politiques de l’entre-deux-guerres, qui ont engendré la Shoah, qui ont soutenu les nazis dans leur action répressive à l’égard du peuple juif, existent encore aujourd’hui sous la forme de résurgence d’extrême droite.

Une des caractéristiques étonnantes de la judéophobie, il s’agit du rejet de type « raciste » qui est opéré par énormément de groupes et, notamment, par des groupes humanitaires, des ONG, qui véhiculent un discours qui condamne Israël et qui, souvent, exhale quelques relents de racisme au nom de la lutte antiraciste. C’est une ambiguïté extrêmement choquante.

Il faut savoir que ce sont les mouvements de gauche qui ont pris parti pour Dreyfus, introduit des mesures qui créditent l’assimilation. Aujourd’hui, ces mêmes groupes de gauche, au nom de la lutte des peuples, en arrivent à condamner, en des termes sévères et discriminatoires, l’État d’Israël et, par conséquent, la communauté juive. Il n’est pas question, ici, d’empêcher la critique sur l’État d’Israël. L’État d’Israël est un État démocratique qui peut se défendre. Ses actions sont ouvertes au public et chacun peut se faire sa propre opinion. Il s’agit plutôt de débordement, lorsque  l’on  parle  de  judéophobie.  Quand  la  France,  la  Belgique  et d’autres pays voient leurs synagogues incendiées, leurs rabbins attaqués dans les rues, les écoles vandalisées, les magasins attaqués ou les cimetières désacralisés, il ne s’agit pas d’actes politiques portant sur ce qui se passe au Moyen-Orient. Mais il s’agit d’une atteinte directe et violente contre la communauté identifiée simplement par le fait d’être juive.

Dans la tradition philosophique et politique de la gauche, il y a la défense de l’égalité des hommes entre eux, donc nécessairement l’antiracisme. Et on voit dans l’histoire que, si l’on prend le cas de l’Union soviétique en 1948-1949, elle soutient l’État d’Israël à sa naissance, elle en est même le principal soutien. Et puis, avec le temps, l’Union soviétique, la Pologne et d’autres pays dirigés par des gouvernements « de gauche » vont complètement changer leur discours et vont faire le chemin inverse et vont, non seulement, se montrer défavorables à la politique israélienne, mais vont pratiquer, au sein même des nations, des politiques de ségrégation à l’égard des Juifs. Certains professeurs d’université d’origine juive vont perdre leur chaire, certaines personnes vont être poursuivies devant les tribunaux au nom de leur appartenance au judaïsme. Il y a quelque chose d’assez contradictoire dans les termes : politique de gauche, donc d’ouverture, d’antiracisme et, dans la réalité, modification et attitudes antisémites flagrantes. Dans l’Union soviétique, il y avait des numerus clausus : les Juifs ne pouvaient pas accéder à toute une série de facultés universitaires. Les Juifs se retrouvaient confrontés à toutes sortes d’embûches et ne pouvaient pas avoir une carrière et une vie normales.

En ce qui concerne les ONG, on constate que, tout en ayant un discours prônant la démocratie, elles arrivent à défendre des régimes qui sont loin d’être démocratiques et d’exiger d’Israël, qui est la seule démocratie du Moyen-Orient, un comportement irréaliste. Les critères que devrait rencontrer Israël, sont des critères bien plus sévères que ce que rencontrerait toute autre démocratie, y compris des démocraties telles que la Belgique ou la France.

L’État d’Israël est un État en état de guerre, d’une guerre qu’on lui a déclarée. Des démocraties, comme la France ou comme la Belgique, ont toutes sortes de législations d’exception en cas de guerre, mais on demande à l’État d’Israël d’être plus démocratique en état de guerre que ne l’est, par exemple, la France ou la Belgique en état de paix. Cette façon de voir, cette manière de lever la barrière tellement haut, peut être considérée comme un fait de racisme, puisque l’on demande à un pays, et à un pays seul, de répondre à des critères très élevés.

On observe que les adversaires de l’État d’Israël, et en particulier dans le  camp  palestinien,  accusent  le  gouvernement  israélien  de  pratiquer une politique nazie. Il est extrêmement choquant de lire ou d’entendre cela, même si on peut comprendre les raisons de l’opposition politique. Renvoyer à l’État juif cette image est insupportable pour la plupart des Juifs, puisqu’il n’existe pas un Juif qui n’ait pas dans sa famille quelqu’un qui a souffert de la Shoah.

La Syrie a été présidente de la Commission des droits de l’homme à l’ONU, alors qu’elle était un régime dictatorial qui n’avait aucune ouverture et qui ne permettait pas aux ONG d’entrer sur le territoire. Cela démontre une ironie de conditions qui seraient risibles, si elles n’étaient pas tragiques.

Il n’est pas toujours facile de faire le départ entre antisionisme et antisémitisme. Il y a des personnes –, des journalistes, des penseurs… –, qui, sur certains points, critiquent la politique de l’État d’Israël. À toutes les époques, il y a eu des critiques ou des journalistes qui ont émis des réserves sur la manière dont Israël mène sa politique. Même si cela ne plaît pas, il ne s’agit pas d’antisionisme, puisque l’État d’Israël est démocratique et que chacun a le droit d’avoir son opinion.

La notion de base, qui devrait être indiscutable, est la notion de l’existence d’Israël. La négation du droit d’Israël à exister peut être considérée comme de l’antisionisme, mais cet antisionisme n’est certainement pas la critique de tel ou tel programme politique ou de telle ou telle personnalité politique du monde israélien. Cette position est celle adoptée par la plupart des Israéliens.

On peut discuter de tout, tant que la personne en face accepte le principe de l’existence d’Israël.

Informations complémentaires

Auteurs / Invités

Libres propos d'Alain Goldschläger

Thématiques

Judaïsme, Lutte contre la haine, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions

Année

2020

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