La grève… un constat d’échec ?

Libres propos d’Olivier VALENTIN

 

D’après une conférence organisée par le Cercle du libre examen de l’ULB le 18 février 2016.

UGS : 2016012 Catégorie : Étiquette :

Description

Le droit de grève c’est et cela doit rester un droit fondamental à usage rationnel. Pourquoi ? Parce que faire la grève, c’est toujours un constat d’échec. Pourquoi ? Parce que nonante-neuf pour cent du temps que l’on passe sur le terrain, dans les entreprises, au niveau sectoriel, au niveau interprofessionnel, c’est un temps que l’on passe à négocier, c’est un temps que l’on passe à essayer de conclure des accords pour éviter, justement, des conflits.

Malheureusement, dans le bashing général que l’on connaît actuellement depuis un certain nombre d’années déjà, on ne met pas suffisamment en avant ces éléments qui font qu’on évite énormément de situations conflictuelles. Qu’on arrive à gérer les entreprises par la concertation sociale, à gérer les secteurs par la concertation sociale, mais aussi de manière interprofessionnelle. Il est fondamental de se rendre compte de cela.

Ce n’est pas parce que l’on voit un certain nombre de phénomènes de grève et que certains veulent empêcher ce droit fondamental ou enlever l’essence de ce droit fondamental, que l’on doit passer sous silence l’ensemble du travail qui est accompli pour obtenir des résultats en matière de concertation sociale.

Pourquoi ces résultats peuvent-ils être obtenus dans le cadre d’une concertation sociale ? Parce que, justement, le droit de grève existe. Il existe toujours la menace de grève. On aurait tendance à croire que la grève est quelque chose qui arrive comme ça de manière soudaine. mais dans la plupart des situations, il y a un préavis de grève, il y a une annonce, il y a une tentative de négociations de parvenir à un résultat. La grève est un constat d’échec : elle vise à exercer, d’une certaine manière, une pression économique sur l’entreprise pour parvenir à un certain nombre de résultats en termes de négociations ou de concertation sociale.

Si on supprime la substance de ce droit de grève, on arrive à une situation dans laquelle cette concertation sociale risque de ne plus exister puisqu’on n’aura pas derrière la possibilité de négocier, d’invoquer ou de venir avec cette menace.

Il ne faut jamais oublier que le droit de grève existe pour contrebalancer le pouvoir de l’entreprise, et notre système juridique aussi. On a tendance à l’oublier : on est dans un système dans lequel les résultats obtenus à la suite de ces négociations, parfois ponctuées par des actions de grève – essentiellement les grèves au niveau sectoriel ou au niveau d’une entreprise –, s’appliquent à l’ensemble des travailleurs, s’appliquent à ceux qui ont fait grève et à ceux qui n’ont pas fait grève. C’est aussi un élément qui est important et qu’il faut prendre en considération.

Celui qui fait grève pose un acte de solidarité : il perd une part de sa rémunération et le résultat est un résultat qui va s’appliquer à l’ensemble des travailleurs de l’entreprise. Il ne faut jamais l’oublier que les personnes qui font grève ne le font pas pour elles-mêmes, mais le font dans une vision solidaire, pour faire avancer une certaine vision du progrès social.

Il faut souligner un paradoxe des acteurs extérieurs ; un paradoxe, parfois des employeurs, un paradoxe de certains partis politiques lorsqu’ils déposent l’une ou l’autre proposition de loi, disent : « Nous ne toucherons pas au droit de grève. Pour nous, le droit de grève est sacré. » Et derrière, on met toujours un « mais ».

On veut enlever l’ensemble des éléments qui peuvent rendre ces actions de grève, ce droit de grève efficace. on aurait alors en quelque sorte un droit de grève théorique. C’est inacceptable.

Existe-t-il un droit au travail ?

Il existe uniquement en Belgique un droit programmatique général au travail. C’est une obligation pour l’État, c’est une obligation pour nos gouvernants de mettre en place des systèmes qui font en sorte que l’on crée un maximum d’emploi. On constate parfois – même si cela peut être la démarche que notre gouvernement veut mettre en avant – que, l’on pratique une diminution linéaire des cotisations sociales en espérant créer de l’emploi. ce n’est peut-être pas la bonne voie. en tout cas c’est ce que les organisations syndicales s’attachent à essayer de démontrer, à essayer de défendre depuis un certain nombre de mois, voire plus d’un an.

La voie qui est choisie par le gouvernement n’est pas une voie qui nous garantit la création d’emplois. c’est une voie qui va d’une certaine manière créer la potentialité d’avoir peut-être des emplois, mais qui peut aussi créer la même potentialité d’avoir une augmentation du profit des entreprises, ce qui n’est évidemment pas notre choix.

Le droit au travail quand il est opposé au droit de grève est un droit fondamental opposé au droit programmatique qui n’est pas en comparaison ou en contradiction avec le droit de grève. ce que l’on veut nous faire croire, c’est qu’il existerait, au même niveau que le droit de grève, un droit à se rendre sur son lieu de travail pour travailler lorsque les autres travailleurs sont en train de faire grève pour obtenir des résultats qui s’appliqueront à l’ensemble des personnes. Voilà l’intitulé complet de ce que l’on essaye de faire passer, dans un abus de langage, comme étant le droit au travail.

La personnalité juridique des syndicats

Les organisations syndicales ont compris qu’il est essentiel d’avoir, à notre époque, une transparence. En allant sur notre site web, vous verrez l’ensemble de notre chiffre d’affaires, pour l’ensemble de l’organisation, soit 56,1 millions d’euros. Il n’y a pas de tabou, c’est quelque chose de connu. Pour parler comme les entreprises, il s’agit de l’ensemble du chiffre d’affaires du groupe CGSLB, à savoir l’association de fait. Dans le cadre de ces actions, il existe déjà un certain nombre de personnalités juridiques : par exemple, quelques Asbl ou la caisse de paiement des allocations de chômage. Ce qu’il est important de souligner, c’est qu’il y a transparence sur le moindre euro reçu de l’État. Tous les fonds publics sont contrôlés tant en interne qu’en externe. Par exemple, les fonds octroyés pour les frais de fonctionnement du paiement des allocations de chômage sont contrôlés par l’ONEM, sont contrôlés par la Cour des comptes. Il faut sortir du fantasme général qui est de dire que les organisations syndicales reçoivent beaucoup d’argent et il n’y a aucun contrôle sur l’argent qu’elles reçoivent.

Par rapport à la caisse de grève, il est clairement considéré par toutes les organisations syndicales que c’est une information stratégique. Est-ce que vous connaissez la formule du Coca-Cola ou les marges des entreprises de la distribution – Colruyt, Carrefour, Delhaize ? Non, ce sont des informations stratégiques. C’est un élément que l’on peut admettre : la caisse de grève, en dehors des moyens généraux de fonctionnement, est quelque chose qui appartient aux informations stratégiques d’une organisation syndicale.

Quel est l’objectif de dire qu’il faut conférer la personnalité juridique aux organisations syndicales ?

L’objectif est de rendre les organisations syndicales responsables financièrement pour l’ensemble des dommages qui pourraient être causés, même par des personnes qui n’ont strictement rien à voir avec une organisation syndicale. En Belgique, il n’y a pas de responsabilité pénale pour autrui : il y a des responsabilités pénales individuelles. Donc si quelqu’un commet un méfait, cette personne doit être tenue responsable et les organisations syndicales n’ont pas l’habitude de dire qu’elles cautionnent un quelconque acte de violence commis par une personne, mais que chaque personne est responsable des actes qu’elle pose. Il est inadmissible que l’on rende financièrement responsable les organisations syndicales d’un dommage, éventuellement économique, causé du fait d’avoir mené une action de grève. C’est une des raisons pour lesquelles, les organisations syndicales repoussent l’idée de la personnalité juridique.

Le parti politique – l’Open VLD –, qui a déposé la proposition pour le faire, dans son exposé des motifs, fait référence au fait qu’il ne trouve pas de société FGTB ou CSC ou CGSLB. mais si vous cherchez de la même manière une société Open VLD, elle n’existe pas non plus. C’est un peu cocasse, mais c’est également un élément à souligner.

Il faut insister sur le fait qu’il existe déjà énormément de choses dans notre arsenal juridique en Belgique en terme d’actes que l’on ne peut pas faire.

Ce que le groupe des dix avait commencé à faire comme exercice, c’était de lister les éléments sur lesquels ils étaient d’accord qui ne devraient se produire. Aucune organisation syndicale n’a jamais dit qu’elle ne s’inscrivait pas dans l’État de droit dans lequel on fonctionne en Belgique, qu’elle était en faveur d’une action violente. Que du contraire : elles ont toujours condamné les violences faites tant aux personnes qu’aux biens d’autrui. Cette partie de la discussion dans le groupe des dix n’était pas la partie la plus difficile, hormis en ce qui concerne les piquets de grève. mais se mettre d’accord sur le fait de dire que l’on ne peut pas bloquer d’autoroutes, que l’on ne peut pas séquestrer des personnes, que l’on ne peut pas commettre des actes de violence à l’encontre de biens ou de personnes, ce sont des éléments sur lesquels les organisations syndicales sont d’accord. Mais ce n’est pas sur tout ces éléments qu’il y a le plus de difficultés.

Là où il y a eu plus de discussions et plus de problème au sein du groupe des dix, c’est la volonté de créer une personne responsable de n’importe quelle action menée dans le cadre d’une grève. Prenons en exemple la manifestation de novembre 2014 où il y avait plus de cent vingt mille personnes dans les rues. on avait plus vu cela depuis vingt ans. Mais la seule chose que l’on en a retenu, ce sont les cent vingt casseurs qui ont dégradé l’ensemble de l’image de l’action qui était menée. Ce sont cent vingt casseurs qui n’ont strictement rien à voir avec les organisations syndicales. Ce que nous ne voulons pas, c’est que l’on rende responsable les organisations syndicales responsables d’actes qui ne sont pas commis par des syndicalistes, mais qui pourraient être commis dans le cadre d’une action de grève par des personnes que l’on n’a pas invitées à participer à ces actions.

Si une solution doit être trouvée sur ces questions, elle devra passer par la concertation sociale. Ce ne sera pas une loi qui viendra pacifier la question, une loi ne ferait qu’augmenter les tensions.

Les requêtes unilatérales par rapport aux piquets de grève sont une  question qui était prévue dans le premier Gentlemen’s agreement où les organisations patronales s’engageaient à recourir le moins possible aux tribunaux et donc à la formule de la requête unilatérale.

Les organisations syndicales belges et la Confédération européenne des syndicats ont introduit un recours auprès du Conseil de l’Europe et le comité des ministres du Conseil de l’Europe a constaté que la Belgique ne remplissait pas son obligation de protection du droit de grève parce qu’elle permettait, dans le cas de situation de piquets, le recours à des requêtes unilatérales. Il a été clairement dit que l’utilisation d’une requête unilatérale pour faire lever un piquet de grève est en contradiction avec l’exercice du droit de grève. Que faire un piquet de grève devant une entreprise, un piquet qui ne soit pas un piquet agressif, un piquet qui est là pour essayer de dissuader un maximum de travailleurs de venir travailler dans l’entreprise est un fait acceptable.

En tant qu’organisation syndicale, nous devons repartir à la conquête de l’opinion publique par rapport aux actions que nous faisons. Nous ne faisons pas exclusivement la grève. Ce n’est pas parce que nous soulignons que le droit de grève est un droit fondamental, qu’il doit rester entier et qu’on ne peut pas y toucher, que nous ne voulons pas chercher des actions alternatives.

Par le passé, nous avons déclenché une action de gratuité auprès de la STIB et l’entreprise a essayé de considérer que nous étions responsables financièrement du fait que nous avions mené une opération « tarif zéro ». Donc la créativité existe.

Nous devons montrer qu’en tant qu’organisation syndicale nous sommes là pour construire l’avenir, que nous sommes des partenaires sociaux, que la grève est Importante, mais que ce n’est pas à cela que l’on doit résumer une organisation syndicale.

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Informations complémentaires

Année

2016

Auteurs / Invités

Olivier Valentin

Thématiques

Concertation sociale, Droits sociaux, Société contemporaine, Syndicalisme, Travail / Emploi / Chômage