La franc-maçonnerie en terre d’islam

Roland Y. DAJOUX

 

UGS : 2009005 Catégorie : Étiquette :

Description

« Dans une région frappée par la guerre et le terrorisme, profondément divisée politiquement et religieusement, les loges maçonniques constituent un oasis de paix et de tolérance, où les hommes de bonne volonté transcendent leurs différences pour joindre leurs mains et leurs esprits, liés par leur aspiration commune de créer un monde meilleur, de s’améliorer eux-mêmes et de contribuer à la construction d’une société plus rationnelle, fondée sur les principes de liberté, d’égalité et de fraternité ».

Léon Zeldis (Ancien Souverain Grand Commandeur du Suprême conseil du Reaa de l’État d’Israël)

Pendant de nombreuses années, la franc-maçonnerie en terre d’islam fut très présente, agissante et florissante ; mais qu’en est-il aujourd’hui ? Sur tous les forums maçonniques, on retrouve souvent cette question posée par des francs-maçons qui, lors de leurs voyages en terre d’islam, souhaitent visiter des loges. Essayons tout d’abord, de comprendre quand et comment la franc-maçonnerie apparaît en terre d’islam, quelle fut son évolution et ensuite nous tenterons de faire un point sur la situation actuelle.

Pour traiter de ce sujet, nous avons puisé une grande partie de nos informations à partir d’une interview d’Antoine Sfeir publiée par le magazine L’Express de septembre 1993. Nous avons aussi consulté les Cahiers de la Méditerranée publiés en 2006 consacrés à ce sujet.

C’est en Égypte, avec l’expédition de Bonaparte que l’on voit apparaître les premiers Maçons et des germes de Maçonnerie universelle en terre d’islam. Mais le développement se fera par étapes.

La première phase sera incarnée par les saint-simoniens, qui vont arriver, chez Ibrahim Pacha, pour enseigner le français aux officiers égyptiens, dans les casernes. Parmi ces saint-simoniens, Ismaïl Urbain sera tenté par la Maçonnerie, mais ne sera pas initié.

Le second départ, ce sera l’initiation d’Ismaïl Pacha, fils d’Ibrahim Pacha, khédive d’Égypte. Il va être initié par les Français, notamment par le groupe de Ferdinand de Lesseps qui compte surtout des Maçons constructeurs. En réalité, tout commence au Liban au XIXe siècle. On peut dater les débuts de la franc-maçonnerie au Liban et en Syrie dans les années 1850-1860. Des entreprises de soieries françaises viennent dans les vallées du Chouf exploiter des usines de vers à soie et envoyer leur production à Lyon. Parallèlement, sur le plan culturel, les jésuites et les congrégations s’installent au Liban et dépendent de la province de Lyon. Les Lyonnais, ou des industriels originaires de la région lyonnaise, sont très présents. Et, paradoxalement, les premiers Maçons qui viennent de France, puis leurs émules libanais, sont d’abord des élèves de ces congrégations religieuses, formés à l’excellence, puis convertis à ce qui est alors perçu comme une religion du progrès, version émancipée de la foi chrétienne. Avec l’arrivée des Européens, on assiste alors à une floraison de loges maçonniques. En 1860, alors que les Druzes se livrent à un massacre des chrétiens maronites, Abd el-Kader et ses combattants se portent au secours de plus de dix mille chrétiens maronites à Damas ! Rappelons que l’Émir Abd el-Kader, fondateur historique de l’État algérien moderne combattant et résistant à la colonisation, fut exilé par les Français en 1855, en Syrie. Abd el-Kader était-il maçon ? Le 20 septembre 1860, les membres de la loge Henri IV appartenant au Grand Orient de France désirant manifester leur reconnaissance à Abd el-Kader lui offrent de s’affilier à leur atelier. En février 1861, la loge Henri IV envisage une « initiation par correspondance » (autorisée par les règlements alors en vigueur), mais une crise interne au Grand Orient retarde l’initiation d’Abd el-Kader. À la demande de la loge Henri IV, la loge Les Pyramides, à l’Orient d’Alexandrie, accepte de procéder à l’initiation de la loge au nom de la loge parisienne. Le 18 juin 1864, la Respectable loge de Saint Jean constituée à l’Orient d’Alexandrie reconnaît Abd el-Kader comme membre actif d’Henri IV et des Pyramides et se voit conférer les trois premiers grades en même temps. Le 30 août 1864 à Paris, la loge Henri IV décide de convoquer une tenue solennelle en l’honneur du nouvel initié et les grades décernés à Alexandrie Abd el-Kader sont confirmés par un diplôme de consécration. La loge quitte la France le 2 septembre et retourne à Damas. L’intervention d’Abd el-Kader pour sauver les chrétiens de Damas fut-elle un « acte éminemment maçonnique » ou a-t-il agi « selon la culture religieuse de l’islam » ? Les francs-maçons avaient vu dans le sauvetage des chrétiens par Abd el-Kader une œuvre maçonnique, comme le « drapeau de la tolérance face à l’étendard du prophète », alors que pour Abd el-Kader, c’était une action essentiellement musulmane – pratique du horm : « protection envers des dhimmis dans une enceinte sacrée ». Bien que Bruno Étienne ne pense pas « qu’il y ait eu de malentendu de la part de l’émir », l’adhésion de l’émir à la franc-maçonnerie reste, de nos jours, fermement contestée, en particulier par les Algériens, qui insistent sur « l’opposition radicale » entre « la perspective doctrinale de l’émir issue de la spiritualité islamique » et « la vision profane et laïque de la Maçonnerie ».

La Maçonnerie au Liban va se développer à la fin du XIXe siècle, au moment où, dans l’Empire ottoman, commence à poindre la révolution des Jeunes Turcs de 1908, parce que se répand dès cette époque le rêve d’un grand royaume arabe qui sera activé par la promesse anglaise faite à Lawrence d’Arabie. À ce moment-là, les Maçons, réunis dans des comités d’indépendance, sont les artisans de l’indépendance des États-nations, sous l’influence de différents intellectuels français.

De 1920 à 1946, sous le mandat français, la franc-maçonnerie en Syrie connaît une période de grand développement, mais après la Grande Révolte de 1925, la Maçonnerie du Levant veut s’affranchir de la tutelle des obédiences françaises. En effet, la France, qui soutient la minorité maronite, est alors considérée comme « le soldat du pape » ! On assiste à un réveil nationaliste chez les francs-maçons locaux qui réclament l’unité syrienne et refusent tout découpage du pays décrété par la puissance mandataire. De tout temps, l’Empire ottoman entretenait des relations avec l’Occident. Il a existé des échanges, grâce aux nombreux Ottomans qui poursuivaient leurs études ou allaient accomplir leur spécialité en Europe, notamment en Angleterre. Dans un premier temps, il va y avoir une influence primordiale de la loge anglaise, donc du rite écossais ancien, mais, en même temps, on va assister, dès la IIIe République, à une implantation du Grand Orient de France. Cette mixité des cultures, ce syncrétisme est très propre à la Turquie. Au point qu’il y aura une sorte de va-et-vient entre les francs-maçons turcs et certains courants mystiques de l’islam, et ce jusqu’à nos jours.

Qu’en est-il de l’Iran ? On se rend compte que, dès 1916, les constitutionnalistes en Iran sont avant tout des francs-maçons. Ils constituent la charpente, la pierre de touche du nouvel État iranien. Ils se laisseront un peu dépasser par la nomination du chah, le père du dernier chah, mais resteront quand même très présents. Ils le seront également aux côtés des zoroastriens, bien entendu, dans la classe moyenne, dans la haute bourgeoisie et dans la fonction publique. Ce sont de grands serviteurs de l’État iranien. Les Maçons iraniens ont été pointés du doigt au moment de la révolution khomeyniste. Actuellement, avec le régime fondamentaliste d’Ahmedinejad, la franc-maçonnerie n’a plus droit de cité.

Au Yémen, dans et toute la péninsule arabique, la Maçonnerie est pratiquement inexistante, sauf parmi les expatriés, qu’ils soient arabes ou étrangers.

Au Maghreb, il est clair que c’est la colonisation française qui va être à l’origine de l’édification d’une Maçonnerie locale. Dès l’arrivée des Français, les loges vont se multiplier. Avant tout en Algérie, puis en Tunisie et au Maroc. Cela prendra plus de temps au Maroc, en raison du caractère très construit de la société traditionnelle et de l’ancrage islamique très fort. Mais, tout de même, le futur roi Mohammed V, père d’Hassan II, aura la réputation tenace d’être franc-maçon, même s’il n’a jamais été vraiment possible de le prouver. La Maçonnerie a toujours connu un vrai succès en Algérie et également en Tunisie, en raison d’un engouement de la part des classes moyennes et du lien naturel entre la Maçonnerie et l’éducation. On y trouvera de nombreux intellectuels juifs attirés par les valeurs républicaines qui les confortent dans leurs désirs d’émancipation. Importée en terre d’islam par les Occidentaux, la franc-maçonnerie va contribuer, contre toute attente, à la nahda, c’est-à-dire la renaissance de l’identité et de la culture arabe ainsi qu’au réveil du nationalisme arabe qui finira par rejeter cette intrusion d’une culture étrangère à celle de l’islam originel. Voici un extrait de la fatwa concernant l’appartenance au mouvement franc-maçon établit par le comité des grands savants :

« L’Assemblée de jurisprudence dans sa première session qui s’est tenue à la ville sainte de la Mecque le 10/8/1398 H correspondant au 15 juillet 1978, a étudié le dossier de la franc-maçonnerie et ceux qui y adhèrent et la position de la loi islamique concernant ceci… Son objectif réel et secret est d’être contre toutes les religions, et elle agit pour les détruire toutes d’une manière générale et pour détruire l’islam dans l’esprit des musulmans en particulier. Enfin, il apparaît clairement à l’Assemblée qu’il existe une relation entre la franc-maçonnerie et le sionisme. En outre, cette organisation a réussi à contrôler les décisions d’un grand nombre de chefs d’État des pays arabes au sujet de l’affaire de la Palestine. Elle les empêche d’assumer leurs devoirs vis-à-vis de cette grande cause islamique, dans l’intérêt des juifs et du sionisme international… Sur la base de tout ce qui a été dit et sur d’autres faits concernant les activités de la franc-maçonnerie, son grand danger et ses objectifs vicieux, l’Assemblée de jurisprudence a déterminé que la franc-maçonnerie fait partie des organisations les plus dangereuses et les plus destructrices pour l’islam et les musulmans. D’autre part, celui qui adhère à cette organisation, tout en connaissant sa réalité et ses objectifs, est considéré comme mécréant, et non pas comme musulman ».

Antoine Sfeir reste néanmoins optimiste : « Quelle ne fut pas ma surprise de voir en 2000, au Liban, des Maçons musulmans être les premiers à dénoncer la « maladie de l’islam » ! On se plaignait, après les attentats du 11 septembre 2001, que les intellectuels musulmans n’aient pas dénoncé la fièvre islamiste. Je n’ai constaté cette dénonciation ni en Europe ni en Occident, en général, sauf au Proche-Orient, dans les loges maçonniques. En Syrie, par exemple, il existe actuellement un véritable mouvement de réforme qui dit clairement que l’islam doit s’arrêter à 622 et doit rester confiné aux relations de l’homme avec son créateur. Ce mouvement-là, qui commence à avoir du succès, puisque le livre Nouvelle Lecture du Coran a été vendu à près de trois cent mille exemplaires, est dû au professeur Mohammed Chahrour ou à des gens comme Ziad Hafez, qui cherchent à tracer un pont entre l’Orient et les États-Unis. Les deux sont certainement influencés par des idées maçonniques, et par d’autres intellectuels avec eux. Est-ce que ce mouvement de réforme va aboutir à l’aggiornamento tant désiré ? L’avenir nous le dira ».

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Informations complémentaires

Année

2009

Auteurs / Invités

Roland Y. Dajoux

Thématiques

Franc-maçonnerie, Israël, Moyen-Orient, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Société secrète