La foi, la spiritualité, l’obscurantisme,… du retour de quel « islam » parlons-nous ?

Chemsi CHÉREF-KHAN

 

UGS : 2012021 Catégorie : Étiquette :

Description

Les premiers travailleurs musulmans, Turcs et Marocains, sont arrivés en Belgique en 1961, il y a de cela tout juste un demi-siècle. Moi-même, je suis arrivé à Bruxelles, en octobre de la même année, en passant par Amsterdam. À cette époque, non seulement dans les rues de ces grandes villes européennes, il n’y avait pas une seule femme « voilée », il n’y en avait pas non plus dans les rues d’Istanbul, pour ne parler que de ces trois coins de la planète. C’est dire qu’en un demi-siècle, nous avons assisté à une métamorphose.

Cette métamorphose qui concerne notamment la visibilité physique croissante de l’islam dans des quartiers de plus en plus nombreux des villes européennes, est accompagnée de la disparition progressive d’éléments « autochtones » dans ces mêmes quartiers, qui finissent par devenir des « ghettos » musulmans.

L’apparition de l’islam dans nos cités est un phénomène que l’on observe un peu partout en Europe. Selon une étude intitulée : the Future of the Global Muslim Population, réalisée par l’institut New Forum on Religion and Public Life, en 2030, les musulmans vont constituer 26,4 pour cent de la population mondiale, contre 23,4 pour cent aujourd’hui (voir Logos, n° 67, p. 37). Quant à la population bruxelloise, diverses études réalisées par nos universités prédisent qu’en 2030, l’islam sera devenu la première religion de la capitale de l’Europe.

Le « retour du religieux » dans nos pays est loin de se limiter au seul culte islamique. D’autres cultes « venus d’ailleurs », tels le pentecôtisme et autres églises néo-évangélistes occupent une place dans le paysage urbain. Quant au culte catholique – principal bénéficiaire des dépenses publiques en matière de cultes, en dépit du fait que les églises sont de moins en moins fréquentées – qui oserait affirmer que la hiérarchie catholique a perdu toute influence dans la vie politique, sociale, économique, voire éthique de la Belgique ?

Faut-il s’inquiéter du « retour du religieux » en soi ? Personnellement, j’ai le plus grand respect pour la « foi » des croyants sincères, pour autant qu’elle demeure de l’ordre de l’« intime », qu’elle se garde de s’immiscer dans l’organisation et la gestion de la cité qui doit rester le lieu de vie de tout un chacun. Si la « foi » est respectable, il n’en va pas toujours de même des « croyances religieuses » que l’on voudrait expliquer par la foi, avec la prétention de leur faire une place dans l’espace public, sans parler des églises et autres institutions « cléricales », devenues trop souvent, hélas, des instruments de pouvoir sur les gens, y compris les non-croyants, voire les croyants d’autres religions.

Mais alors, du retour de quel religieux parlons-nous, s’agissant de l’islam ? Et d’abord, qu’est-ce que l’islam ? Ici, nous prendrons à notre compte l’affirmation du grand intellectuel musulman, Rachid Benzine, affirmation selon laquelle « l’islam est pluriel, il y a autant d’islams que de musulmans ». Si, donc, on veut parler du retour de l’islam, la question qui vient à l’esprit est : « De quel islam parlons-nous ? » Cette question suppose implicitement que certaines déclinaisons de l’islam auraient parfaitement leur place dans les sociétés occidentales, alors que d’autres seraient à écarter, car elles iraient à l’encontre des valeurs fondatrices de ces sociétés et de l’État de droit.

Pour faire bref, nous évoquerons deux conceptions fondamentalement différentes de l’islam. D’une part, un islam considéré à tort comme monolithique, « englobant », présentant de nos jours une hypertrophie du « normatif » (cf. le droit musulman), au détriment de l’éthique et du spirituel et qui, considérant que la « souveraineté de Dieu » prime sur celle du peuple, en arrive même à récuser la démocratie et ses lois « impies ». D’autre part, un islam que nous n’hésiterons pas à qualifier de « libéral et humaniste », qui met l’accent sur la « raison » et sur la « liberté et la responsabilité du croyant face au Créateur et qui n’a de compte à rendre qu’à Lui, le jour du Jugement dernier venu ». Cette conception de l’islam privilégie l’individu et récuse la sacralisation de la « Oumma », la communauté mythique des croyants. Elle met également l’accent sur la « foi », l’« éthique » et le « spirituel », considérant que le « normatif » est le domaine des hommes et des femmes appelés à vivre ensemble, à un moment donné, dans un lieu donné. En ce qui concerne l’organisation de la cité et des affaires sociales dans des sociétés sécularisées, les partisans de cette conception de l’islam se disent particulièrement à l’aise avec la démocratie et la laïcité de l’État et de ses institutions, en partant de l’idée que le « droit musulman », œuvre humaine, pas plus que n’importe quelle autre système prétendument d’inspiration religieuse, n’aurait sa place dans l’État de droit où un seul et même « droit positif » s’applique à tous les citoyens, sans distinction d’aucune sorte.

Que dire alors du « retour de l’islamisme », en tant qu’« idéologie totalitaire mettant en avant la conception englobante de l’islam, et qui instrumentalise la religion à des fins politiques » ? Il est clair que l’« islamisme », comme le « communautarisme musulman » qui en est une déclinaison particulière, doivent être combattus par tous les moyens légaux, plutôt que d’être traités par « compassion », manifestée par certains « progressistes », au nom du « droit à la différence ».

Nous ne nous étendrons pas longuement sur l’« obscurantisme musulman », expression d’une religiosité au mieux « piétiste », frisant au pire le « charlatanisme ». L’obscurantisme musulman se caractérise notamment par une fâcheuse tendance à vouloir « sacraliser » tout et n’importe quoi, en particulier des traditions tribales, archaïques, comme le port de certains types de vêtements, la virginité des filles avant le mariage, l’interdiction de se marier en dehors de sa communauté religieuse,… le fait de se laisser pousser sa barbe, voire la teindre au « henné », comme le Prophète, paraît- il ! Quant au marketing des produits et services dits hallal , un succès en termes de business, la place nous manque pour dire en quoi nous estimons qu’il s’agit d’une imposture sur le plan strictement religieux, à tel point que nous n’hésiterons pas à parler du « retour des nouveaux marchands du Temple » !

Un procès d’assises qui se tiendra bientôt à Bruxelles nous permettra de voir à quel point le « charlatanisme » sous prétexte d’« exorcisme » à caractère soi-disant religieux, a pu faire des dégâts. Il est vrai que les églises néo-évangélistes au sein desquelles certains gourous prétendent guérir le sida et autres maladies par la prière, ne manquent pas de rivaliser avec des obscurantistes musulmans, notamment en propageant des thèses « créationnistes ».

1961 – 2011, un demi siècle de présence musulmane, c’est l’heure de faire des bilans et surtout des propositions, en vue de nous préparer, enfin, à mieux vivre ensemble avec nos concitoyens de culture ou de confession musulmane.

En termes de bilan, concernant la gestion de l’intégration du culte islamique dans nos institutions, nous ne pointerons qu’un aspect et non des moindres : la « place d’une religion récemment transplantée dans notre pays, eu égard à la liberté de religion et à l’État de droit, fondé sur des valeurs ». Depuis le début de l’immigration musulmane, nous observons que l’écrasante majorité des « primo-arrivants » arrivent dans notre pays munis d’un bagage culturel extrêmement fruste, et ce aussi bien par rapport à l’histoire et les institutions de notre pays que par rapport à leur propre culture religieuse. Qualifiée d’« islam populaire », celle-ci est un mélange de piété, de superstitions, de traditions tribales que l’on attribue, souvent à tort, à la religion, ambiguïté sur laquelle n’hésitent pas à surfer des prédicateurs pas toujours de bonne foi. Inutile de préciser que ce constat d’ordre purement sociologique ne comporte aucun jugement de valeur.

Quant à ceux de nos concitoyens musulmans qui peuvent se targuer d’avoir une culture religieuse « savante », celle-ci, à l’exception du mysticisme soufi, relève la plupart du temps du « traditionnisme », qui ne conçoit l’islam qu’« englobant ». Il est évident que ces cultures religieuses sont à l’origine d’un grand malentendu, en ce sens que le dogme de l’« intégralisme » islamique sur lequel elles sont fondées, justifie, pense-t- on, que l’on peut revendiquer n’importe quoi, sous prétexte de « liberté de religion garantie par la Constitution belge ». Face à cette attitude répandue chez nos concitoyens musulmans, nous n’hésitons pas à attribuer l’essentiel de la responsabilité du malentendu à nos propres dirigeants qui ne se sont jamais donné la peine de faire la « pédagogie du vivre ensemble dans une laïque-cité », auprès des nouveaux arrivants. (« Laïque-cité », néologisme que nous devons au génie de l’écrivain Pierre Efratas !).

Ici, il convient de dire un mot de la place de l’islam dans notre enseignement, le lieu par excellence de l’apprentissage du « vivre ensemble », pour tous les enfants, quelle que soit l’origine de leurs parents. Rappelons que dès l’année qui a suivi la « reconnaissance du culte islamique », (en 1974), la loi du « Pacte scolaire » a été revue pour introduire des cours de religion islamique dans les écoles des réseaux publics. À notre connaissance, personne à ce moment-là, ne s’est posé la question de savoir « qui » allait donner ces cours, avec quelle « formation » et sur « quoi » exactement. On ne s’est pas non plus posé la question de savoir comment s’assurer du respect de nos lois, institutions et valeurs, par des professeurs de religion islamique, venus d’ailleurs, dont la plupart avaient une piètre connaissance de l’une ou l’autre des langues nationales. Encore aujourd’hui, nous mesurons les dégâts qui peuvent naître de ce genre de situation, la liberté de religion paraissant sans limites, sous prétexte de « neutralité » de l’État en matière de cultes, neutralité devenue synonyme de « neutralisation » des autorités publiques face à des débordements au prétexte religieux.

C’est sans doute à cause de cette neutralisation de fait que la plupart de nos concitoyens trouvent tout naturel que l’État « concède » l’organisation des cours de religion à des organisations privées que sont les cultes. Cette incongruité ne s’arrête pas là, puisque le cours de « morale », lui, n’est pas « concédé » au pilier de la laïcité philosophique.

Il y a quelques années à peine, le manque de formation des imams et des professeurs de religion islamique a, enfin, ému les responsables politiques de la Communauté française qui ont confié un budget important à trois instituts catholiques (l’UCL, les Facultés Saint-Louis, l’Institut Galilée), pour « assurer la formation des cadres de l’islam belge ». Au vu du programme et du document de présentation des cours, nous apprenons qu’il s’agit d’« enseigner les sciences islamiques, dans le respect de la foi musulmane », en même temps que les « sciences humaines ». C’est dire que nous sommes encore bien loin d’assister à l’émergence d’un islam digne de la société du XXIe siècle, au cœur de l’Europe, y compris dans un milieu académique.

Il nous appartient donc à nous, citoyens de toutes origines et de toutes convictions, de tendre la main aux musulmans « laïques » qui ambitionnent de concilier leur loyauté à l’égard de la religion de leurs ancêtres, avec le respect des valeurs communes et celui de l’État de droit, afin de poser les bases d’une véritable stratégie du mieux vivre ensemble, consciente et concertée, en dehors de toute imposture du type « Assises de l’interculturalité », faisant l’éloge des concessions unilatérales à des archaïsmes venus d’ailleurs, au détriment de la spiritualité et de l’humanisme d’un islam des Lumières, proche de nous. Le projet de création d’un « Observatoire citoyen des cultures musulmanes en Belgique », veut répondre à cette noble ambition.

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Informations complémentaires

Année

2012

Auteurs / Invités

Chemsi Chéref-Khan

Thématiques

Foi, Islam, Religions