Description
Il y a quelque temps cinq amis, des scientifiques, ont été heurtés par l’exposé qu’Alain Éraly avait donné à l’occasion de la publication de son livre Démocratie ou particratie ? Cent vingt propositions pour refonder le système belge.
Ces cinq amis ne mettent pas en cause les fondements de la démocratie, mais constatent que bien souvent elle est mal mise en œuvre, si pas bafouée. Chaque jour les médias font l’écho de l’un ou l’autre dérapage plus ou moins catastrophique. D’où la question : « La démocratie est-elle malade ? » Pour essayer de répondre à cette question, ils l’ont abordée en plusieurs étapes.
Nous avons d’abord étudié la genèse et l’évolution des systèmes démocratiques pour ensuite nous pencher sur les conditions nécessaires, mais pas suffisantes, à l’instauration de la démocratie. Nous nous sommes par après questionnés sur les faiblesses des systèmes démocratiques occidentaux. Quels sont les mécanismes de protection des démocraties ?
Nous sommes enfin arrivés à conclure que « la démocratie c’est difficile, c’est un régime politique aussi exigeant pour les élus que pour les électeurs ! »
Non seulement c’est un régime exigeant et difficile, mais c’est un système qui ne peut bien fonctionner que s’il est bien compris et respecté par tous.
Bien comprendre les fondements et l’évolution récente de nos démocraties est le meilleur moyen pour corriger, en connaissance de cause, les erreurs de jeunesse propres à ce tout nouveau régime.
Il nous est dès lors apparu important de bien comprendre, au-delà des origines grecques, l’importance que le siècle des Lumières a joué dans la construction des démocraties modernes et le profond changement qui s’est opéré dans la relation « individu-pouvoir » depuis à peine un siècle et demi.
Ces changements se répercutent dans tous les aspects de notre vie jusqu’au niveau souvent imprévu et inconscient.
Nous nous trouvons au début de ce XXIe siècle devant un choix qui est presque aussi important que celui de nos ancêtres en 1789 : en effet une erreur d’appréciation des enjeux actuels peut nous faire perdre les acquis démocratiques pour des siècles.
Quatre grandes orientations se présentent à nous aujourd’hui :
– soit une démocratie adulte, après correction des maladies de jeunesse de la démocratie naissante,
– soit des oligarchies financières dominant tous les systèmes politiques, sans dieux, sans soucis des citoyens et de la planète,
– soit le retour à la théocratie intégriste pure et dure,
– soit la dictature, l’oligarchie, ou un régime issu d’une dérive populiste.
L’actualité de tous les jours nous montre que l’orientation « choisie » par les « démocraties » actuelles correspond à l’oligarchie financière.
Le mot choisie est volontairement mis en italique et entre guillemets, car l’actualité des derniers temps nous montre qu’une partie de plus en plus importante de la population n’est pas d’accord avec ce choix.
La montée de nombreux mouvements d’indignation, de contestation devant l’orientation « toute financière » de nos systèmes de gestion publique en est une preuve particulièrement interpellante.
Toutefois, il faut tenir compte des conditions politiques et économiques nécessaires à l’instauration de la démocratie.
Parmi les conditions politiques, on note :
– Il faut, pour pouvoir parler de démocratie, avoir un régime parlementaire représentatif et proportionnel. Notons que la plupart des démocraties des pays occidentaux ont un système parlementaire représentatif, elles peuvent en outre être qualifiées de démocraties libérales pluralistes.
– Il faut également que des élections libres, au suffrage universel, puissent être organisées régulièrement dans un espace libre, et que les candidats soient indépendants.
– Il faut un espace public de discussion et que les libertés de pensées et d’actions réciproques soient garanties entre les parties.
– La politique menée par les élus doit pouvoir être jugée, à intervalles réguliers, par une sanction électorale.
– Les droits des citoyens ou groupe de citoyens doivent être garantis par l’existence d’un cadre institutionnel assurant la prise en compte de l’intérêt général.
– Il faut enfin une liberté de choix, basée fondamentalement sur l’expression libre des avis et des opinions des citoyens, l’échange verbal, la confrontation, la discussion, sans recours à l’usage de la force ou de pressions inacceptables éthiquement.
Parmi les conditions économiques, on note :
– Une certaine stabilité et une certaine sécurité économique doivent conduire l’électeur vers des choix libres.
– Pour exprimer librement leurs choix, les électeurs doivent être détachés des contingences matérielles vitales, afin d’éviter l’utilisation de ce minimum vital comme moyen de pression par des démagogues (manger et boire, habiter, travailler, etc.).
– Sans ces préalables, pas de liberté de choix, donc pas d’exercice correct de la démocratie. Attali (toujours lui !) parle de « démocratie de marché », insistant par ce terme sur le caractère naturel du développement de la démocratie par l’économie de marché, qui devrait garantir à tous le minimum vital présenté ci-dessus.
Selon Seymour Lipset, « Plus une nation jouissait d’un bien-être suffisamment réparti, plus elle avait de chance de jouir d’un gouvernement démocratique stable ».
Mais à examiner ces conditions politiques et économiques, il nous apparaît qu’elles ne sont pas suffisantes pour qu’on puisse parler de système démocratique.
En effet, il nous semble maintenant comme une évidence le fait qu’un système démocratique ne peut prétendre au label « démocratie » que si des conditions d’éthique sont respectées. Ces conditions d’éthique sont :
– L’alphabétisation d’une grande majorité des citoyens est indispensable pour leur permettre d’émettre des choix et des jugements, de comprendre les options proposées à leur suffrage.
– Une maturité politique, obtenue par une formation civique et éthique et une réflexion philosophique, est indispensable pour permettre aux électeurs d’exercer leur pouvoir avec discernement. Cette maturité est une condition indispensable, mais hélas non suffisante, pour éviter toute manipulation, voire tout populisme, de la part des candidats.
– Le scrutin ne peut déboucher sur la loi du plus grand nombre, fût-il le résultat d’un vote, sans prise en compte des minorités.
– De même que la contrainte par la force ne peut être utilisée, un niveau de sécurité physique minimum doit être atteint.
– Le résultat du scrutin ne peut aller à l’encontre du respect des principes éthiques fondateurs que, pour faire simple, nous appellerons « les droits de l’homme ». En d’autres termes et à titre d’exemple, le pouvoir en place ne peut recourir à la torture, à la peine de mort, aux mutilations, etc., même si le « peuple souverain » a choisi cette solution par un scrutin légal.
– La définition d’une éthique citoyenne doit faire l’objet d’un débat et d’un consensus préalables pour qu’on puisse parler d’une démocratie digne de ce nom… (tout un programme de valeurs communes à définir !).
Pour pouvoir préparer l’âge adulte des démocraties, il est essentiel de bien cerner les faiblesses des systèmes actuels de gestion de la chose publique.
Les faiblesses essentielles nous paraissent pouvoir être résumées comme suit :
– le manque de contrôle exercé sur tous les niveaux de pouvoir ;
– le rôle de la particratie au sein de nos démocratie ;
– l’hypertrophie des partis privant les citoyens d’un contact direct avec les élus ;
– la facilité offerte aux populistes pour convaincre des foules mal informées, et souvent peu éduquées ;
– le déclin à longue échéance des partis ;
– le manque de projet à long terme lié au rapprochement des échéances électorales et aux contraintes économiques ;
– les problèmes de légitimité entre les élus et ceux chargés du contrôle des différents niveaux de pouvoir, tels que les journalistes, les associations militantes, les médias, en un mot tous les acteurs de surveillance ;
– le rôle des lobbies ;
– la place du clientélisme dans la démocratie ;
– l’influence du découpage des circonscriptions électorales sur la prise en compte des minorités, soit sur le rapprochement des membres d’une même démocratie ;
– enfin le système de la majorité simple démontre rapidement ses limites vis-à-vis du respect des minorités linguistiques ou autres.
Notons, au passage, les similitudes entre systèmes politiques et économico-financiers, tels que :
– le contrôle entre partis opposés ne met pas à l’abri d’accords abusifs d’une part et le contrôle entre concurrents ne met pas à l’abri d’abus de toutes sortes d’autre part ;
– les dérives des systèmes représentatifs d’un côté et les dysfonctionnements du marché de l’autre côté ;
– sur le plan politique, le désir compulsif d’accumulation de pouvoir et sur le plan économico-financier, le désir compulsif d’accumulation de richesses ;
– la recherche de zone d’influence toujours plus grande d’une part et la recherche de domaine d’influence toujours plus grand d’autre part ;
– sur le plan politique, les alliances entre pays ne pouvant se dominer mutuellement pour mieux asservir les pays réticents et sur le plan économico-financier, les alliances entre concurrents si rachats pas possibles, pour mieux dominer les fournisseurs ou petits concurrents ;
– les risques d’émeutes ou de guerres, d’une part et les risques de bulles financières et crash d’autre part.
Il va de soi qu’après avoir étudié les faiblesses de nos démocraties, on ne peut passer outre la revue des protections de ces démocraties.
La protection la plus efficace est la présence active et continue du citoyen par une surveillance de tous les niveaux du pouvoir pour prévenir les abus. Les moyens de surveillance sont :
– la vigilance : défiance, méfiance, contrôle
– la dénonciation : tribunal de l’opinion publique
– la notation : rating, interpellations.
Le citoyen dispose en permanence de trois pouvoirs de surveillance :
– le pouvoir de vigilance : cette vigilance doit être comprise comme la conjonction d’une défiance, d’une méfiance et d’un contrôle qui tous trois doivent s’exercer en permanence pendant la durée des mandats par les acteurs de surveillance.
– le pouvoir de dénonciation : ce pouvoir vise essentiellement à porter à la connaissance du « tribunal de l’opinion publique » les faits qui relèveraient d’un abus de pouvoir, d’une mauvaise gestion, ou autres…
La tendance à traduire des politiques devant une cour de justice provient de la différence fondamentale entre une décision politique et une décision judiciaire. La première ne peut être jugée que longtemps après les faits et n’impose pas un verdict clair, tandis que la seconde impose une réponse claire et précise guilty or not. La première donnera lieu à l’épreuve d’un jugement du citoyen par le vote, la seconde par l’épreuve d’une décision de justice.
– le pouvoir de notation : ce pouvoir concerne le rating d’un politique, son évaluation, son classement par les citoyens, mais il peut concerner également le pouvoir d’interpellation d’un politique par ses pairs, ou par des groupes de citoyens.
Tous les pouvoirs mentionnés ci-dessus sont différents du pouvoir de sanction ou de choix ; lors de l’élection, ils ont la possibilité de s’exercer en continu et constituent une garantie fondamentale pour les démocraties.
Pour terminer, rappelons qu’il tient à tous les citoyens désirant revenir aux principes démocratiques de mettre tout en œuvre pour corriger les maladies de jeunesse du système issu du siècle des Lumières avec pour objectif final de redéfinir les règles de fonctionnement d’une démocratie adulte valable pour les dix siècles à venir.
Les grands axes de la quête d’une démocratie adulte peuvent se résumer comme suit :
– Ne pas accepter, à quel que niveau de la gestion publique que ce soit, de pouvoir sans limitation par un « contre » -pouvoir.
– Rendre le pouvoir financier aux États pour mettre fin à l’oligarchie des organismes financiers et des spéculateurs.
– Revenir à la séparation complète de la gestion de l’État et des pouvoirs religieux, afin d’éviter le risque du retour vers une théocratie, ou même une dérive de l’Europe vers un espace monochrome religieux.
– Rétablir les principes démocratiques en restaurant le débat direct entre citoyens et pouvoirs politiques sans confiscation par les partis, c’est-à-dire remettre la protection et le respect des humains au centre des préoccupations de nos démocraties adultes sans supprimer les débats gauche-droite inhérents à la cohabitation dans nos sociétés.
La démocratie est un régime politique aussi exigeant pour les élus que pour les électeurs.
Informations complémentaires
Année | 2013 |
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Auteurs / Invités | Émile Peeters |
Thématiques | Démocratie, Lobbies, Lutte contre les extrémismes politiques, Particratie, Partis politiques |