J’exècre les révisionnistes, fulminait Dominique !

Pierre J. Mainil

 

UGS : 2010016 Catégorie : Étiquette :

Description

Nous avons été modestes, cette fois : la petite bouffe nous a conduit dans une friterie. Un boulet/sauce tomate. Tout simplement. Une Jupiler pour moi. Et toi, ton éternel coca. Et un expresso, pour finir.

Je ne t’avais jamais vue aussi furieuse. Tu ne digérais pas les votes en faveur des listes d’extrême-droite. Ah, si tu avais pu voter, disais-tu ! Mais ta colère semblait s’adresser surtout à la plupart de tes condisciples de l’école. Tu ne supportais pas l’indifférence avec laquelle la plupart d’entre eux acceptaient les résultats du vote d’octobre 1994 pour les élections communales. Tu imagines, disais-tu, qu’ils n’iraient pas déposer leur bulletin si le vote n’était pas obligatoire.

Évidemment, Dominique, c’est là l’indifférence de celui qui a oublié, de celui qui ignore même que d’autres n’ont pas ce droit, de celui qui ne sait pas que, dans notre pays même, des gens ont lutté, souffert, pour acquérir ce droit qui leur semble maintenant dérisoire… ! Et tu as touché un des manques du système éducatif.

Et tu m’as parlé de cet adolescent de ton école qui, lorsque tu lui parlais du film La liste de Schindler, t’avais affirmé que les chambres à gaz d’Auschwitz n’avaient jamais existé, que tout au plus celles que l’on montrait avaient servi à protéger la santé des internés et étaient utilisées pour la désinfection, que le génocide nazi n’avait pas été, qu’il ne faut pas diaboliser le régime nazi… « En fin de compte, que veulent-ils », m’as-tu demandé.

« Simple à comprendre », t’ai-je répondu. « Redonner une façade honorable à un régime que notre humanisme ne peut admettre. Et pour y arriver, tous les moyens sont bons. On prend un élément du problème, et l’on s’acharne par tous les moyens possibles à faire naître le doute sur sa véracité ». Tous les moyens ?

Tu es un esprit libre, ouvert à la discussion ? Oui ? Eh bien, alors, tu es une cible favorite pour ces gens qui nient l’existence du génocide nazi. Si tu n’es pas une bigote en matière d’histoire, ces personnages tissent autour de toi, avec tes valeurs de tolérance et de liberté, avec tes propres valeurs, une toile d’araignée qui peu à peu va te ligoter.

Tu veux me dire, as-tu enchaîné, que, lorsque mes défenses seront annihilées, ces négationnistes me priveront de ma liberté d’expression, d’action et d’interprétation des faits. Bien sûr, ai-je confirmé, car une chose qu’ils ignoreront, ce sera le principe de réciprocité. Ils ont réclamé de toi le droit d’instiller leur venin quand ils étaient faibles dans l’État de droit. Ils dénieront tes droits de parler une fois qu’ils auront le pouvoir entre leurs mains.

 Je suis trop libertaire pour me mouler dans le conformisme, quel que soit son masque. Il n’y a pas de vérité officielle en matière intellectuelle à laquelle on doit se plier, il n’y a pas de dogme en sciences comme en histoire. Toute personne devrait avoir le droit d’exposer ses pensées sans encourir les foudres de la Justice.

Un beau principe, m’as-tu dit.

D’accord, ai-je rétorqué, mais je ne suis pas candide au point de ne pas voir que, entre l’énoncé du principe et la concrétisation, un abîme de duplicité existe. Les beaux principes théoriques conduisent parfois à la négation de l’humanisme. Lors de la Révolution française, en 1791, sous l’excuse d’amener une plus grande liberté entre les hommes, Le Chapelier a sorti sa loi interdisant les coalitions d’intérêts tant pour ce qui est du patronat que des travailleurs. Qui de bonne foi peut croire à l’équité d’une telle loi qui, sous le prétexte d’assurer une meilleure égalité entre les hommes, mettait le faible à la merci du fort ?

Un humaniste ne peut pas se réfugier dans le rêve des beaux sentiments. Il doit avoir les pieds ancrés dans le sol. Tout autant qu’il ne doit pas diaboliser les autres, il ne peut et il ne doit pas se calfeutrer dans le monde irréel de l’angélisation d’une humanité cruelle, égocentrique et toute prête à la soumission.

Mais le génocide nazi a existé.

« Comment osent-ils le nier ? », as-tu questionné.

Simple, ai-je dit : les révisionnistes jouent bien souvent avec la définition du mot en ne lui accordant qu’un sens restrictif, limité. Et cela pour excuser le massacre de gens paisibles. Avec des précisions de comptables qui réduisent des êtres de chair et de sang aux concepts décharnés que sont les chiffres, ils ergotent. Non, affirment-ils, il n’y a pas six millions de cadavres à Auschwitz. Comme s’il fallait le vertige prestigieux des très grands nombres pour pouvoir utiliser le terme et justifier notre réprobation.

Et ils s’échinent à mettre en cause le type de moyen employé pour assassiner. Comme s’il n’était pas indigne de laisser des gens mourir de faim, ou de soif, ou de froid ! Comme s’il était excusable d’avoir laissé crever ces hommes, ces femmes et ces enfants même s’ils n’avaient été victimes que d’épidémies dues à ce qu’on les avait parqués dans des conditions sanitaires exécrables !

Comme si cette façon de les faire disparaître n’était pas aussi ignoble !

Le génocide nazi a en fait débuté, pour les pays neutres qu’étaient la Belgique et les Pays-Bas, le 10 mai 1940. Tout agresseur d’une nation en paix ne fait que demander la soumission de l’autre et menace de tuer ses habitants s’ils refusent cette soumission. Ce faisant, il met en route le génocide, car il est prêt, si les gens ne se soumettent pas, à les tuer jusqu’au dernier.

Les intentions d’en exécuter un autre avaient été clairement énoncées des années avant. Dans un discours à Munich en 1932, le Führer, Adolf Hitler, avait déjà dit :

« Il ne s’agit pas de supprimer l’inégalité parmi les hommes, mais au contraire de l’approfondir et, comme toutes les cultures, d’en faire une loi par des barrières infranchissables. Le même droit ne vaut pas pour tous. […] C’est pourquoi je ne consentirai jamais à d’autres peuples le même droit qu’au peuple allemand. »

Il continuait en précisant :

« Je veux vous dire, mes camarades, ce que sera l’ordre social futur : il y aura une classe de seigneurs, une classe devenue historique, triée par la lutte parmi les éléments les plus divers : il y aura la foule des membres du parti organisée hiérarchiquement : ils constitueront la classe moyenne ; il y aura la grande masse des anonymes, la collectivité des serviteurs, les éternels mineurs… Plus bas, il y aura cependant encore la classe soumise des races étrangères, nommons-la tranquillement la classe moderne des esclaves. »

Dans un discours à Francfort en 1933, Goering précisait comment mettre en application cette déclaration de principe :

« Les mesures que je prends ne s’embarrassent pas de quelconques considérations juridiques. Je n’ai pas à rendre justice, mais à détruire et à exterminer, rien d’autre… »

Et qui fallait-il détruire et exterminer ? Ceux qui ne rentraient pas dans la nomenclature précitée, ceux qui n’appartenaient ni à la classe des seigneurs, ni à la classe moyenne, ni aux éternels mineurs, ni à la classe moderne des esclaves.

La suite devait arriver.

En 1943, j’avais onze ans. J’habitais un coron minier. La nouvelle arrive : une famille polonaise doit retourner en Pologne. Ils ne portaient pas l’étoile jaune. Je ne savais pas qu’ils étaient Juifs. Ils ont disparu. Si on les avait laissés dans mon village, mes copains d’école seraient toujours en vie. C’étaient des gens simples. Ils n’étaient même pas un danger pour l’occupant. Ils étaient soumis puisqu’ils ne se révoltaient pas contre l’ordre qui s’était instauré. On les a pris, emmenés, comme tant d’autres dans des camps. Pourquoi ?

Et dans ces camps, qu’arrivait-il ? Les privations, les épidémies, les brimades… qui conduisaient à la mort. S’ajoutaient les exécutions. Dans les pays de l’Est, le monde des esclaves, l’extermination a été plus rapide.

Dans un rapport de la section spéciale Radomysh du 6 septembre 1941, il est dit :

« Il est impossible de soigner les Juifs, même pas les enfants. D’où un danger d’épidémie sans cesse croissant. Pour remédier à cette situation, cinq cent soixante et un enfants juifs ont été fusillés aujourd’hui. »

Et dans un discours à Berlin du 21 juin 1944, Himmler précisait :

« Je ne me reconnais pas le droit d’exterminer les hommes tout en épargnant leurs enfants qui seraient devenus leurs vengeurs. Il fallait prendre la grave décision de rayer ce peuple de la terre. Cela a été pris sans que nos hommes et nos Führers aient eu à en souffrir, ni moralement ni spirituellement. »

Le génocide nazi a existé.

Au-delà de tous les témoignages des chefs nazis eux-mêmes, aux révisionnistes amoureux des chiffres, je réponds avec la même argumentation. On dispose des données. On connaît la liste des convois de wagons à bestiaux qui conduisaient les malheureux dans les camps de concentration. On connaît leur contenu. On a des listes de matricules attribués aux déportés. Ainsi, d’un convoi de dix mille personnes, mille trois cent quarante-six ont été immatriculées et mille neuf cent vingt-deux ont été allouées à des camps de travail.

Que sont-ils devenus les six mille sept cent trente-deux disparus sans laisser de trace ?

J’adopterais avec eux l’apparente froideur du comptable qui enregistre dans le passif les entrées dans les camps, et dans l’actif ceux qui sont restés en vie le jour de leur libération. Avec l’apparente froideur, je tirerais un compte de résultat. Avec horreur, je constaterais l’énorme déficit en vies humaines. Et j’en demanderais raison.

Et alors, j’exigerais de ces révisionnistes de justifier ces morts, ces morts qui ne seraient pas survenues si on avait laissé ces hommes, ces femmes et ces enfants continuer à vaquer à leurs tâches, dans des conditions précaires, certes, dues aux restrictions alimentaires, mais qui ne mettaient quand même pas leur existence en danger.

Les mêmes conditions que celles des habitants restés au pays. Si mes petits camarades polonais avaient pu continuer à mener la vie que nous menions ensemble avant leur départ, s’ils avaient pu continuer à avoir les mêmes conditions d’existence que les miennes après leur départ, ils seraient toujours là !

Et que ces révisionnistes me disent, s’ils persévèrent dans leurs négations, pourquoi il fallait mettre ces gens inoffensifs dans des wagons à bestiaux pour les conduire, comme mes petits amis en 1943, dans des camps dont ils ne sont pas revenus !

Car le problème est là… ! Pourquoi traiter ces personnes comme du bétail si l’on ne voulait pas les faire disparaître… ! Pourquoi toute cette peine… ? Et que veulent ces bons apôtres en voulant occulter ce passé peu glorieux ? Certainement pas éclairer d’un jour plus objectif un point d’histoire ! Non pas cela, mais réhabiliter un régime dont ils veulent s’inspirer !

Il ne s’agit pas d’accabler des hommes d’aujourd’hui des péchés de leurs pères. Pour le laïque, il n’y a pas de report de la faute de l’un sur toute sa descendance. L’humaniste ignore la notion de péché originel.

Je veux lancer un cri, au moins cela, pour empêcher que par des arguties sémantiques, un label de qualité ne soit rendu tant à une idéologie raciste, dictatoriale et anti-humaniste. Je ne pourrais pas, comme dans le poème de Berthold Brecht, me reprocher, lorsque l’on viendra m’arrêter, qu’il n’y ait plus personne pour protester parce que je me serais gardé de le faire quand on arrêtait les autres.

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Informations complémentaires

Année

2010

Auteurs / Invités

Pierre J. Mainil

Thématiques

Droit de vote, Lutte contre les extrémismes politiques, Nazisme, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses