Description
Quiconque a perçu la relativité du sens de la vie, accepte la liberté de conscience, même si des croyances religieuses lui paraissent d’un autre âge, même s’il observe tout ébahi le comportement de ces personnes qui s’imaginent que leur dieu infiniment puissant, infiniment bon, infiniment parfait soit capable de s’offusquer en les voyant manger l’un du porc, l’autre de la viande le vendredi précédant Pâques, soit capable d’empêcher les filles des hommes de circuler les cheveux au vent, la cuisse découverte ou le sein nu…
Cultiver la tolérance, c’est donner à l’autre le droit de penser autre chose que ce que l’on aimerait qu’il pense, c’est donner à l’autre le droit d’exprimer autre chose que ce que l’on voudrait, en notre for intérieur, entendre, c’est donner à l’autre le droit de faire ce que l’on ne voudrait pas qu’il fasse. Mais impérativement, elle doit être accompagnée non seulement du droit, bien plus, du devoir de s’exprimer et d’agir autrement, et même de combattre les idées et actes de l’autre si l’on estime qu’il ne respecte pas les droits d’autrui.
En ce temps de nouvelle évangélisation, au moment où le catéchisme de l’Église catholique de 1992 relègue aux oubliettes la compréhension symboliste des Évangiles et n’hésite pas à affirmer comme historique le mythe de la résurrection, il faut analyser de manière profane et critique les écrits évangéliques pour en tirer un profil psychologique d’un homme, Jésus ? qui a peut-être vécu il y a vingt siècles. Propos dérangeants certes, parce que visant à invalider un tabou !
L’imprégnation
Dans ma jeunesse, j’étais un amateur inconditionnel des spectacles filmés. J’étais allé voir un film dont la carrière fut météorique et qui passait dans une petite salle confidentielle liégeoise. Il mettait en œuvre un texte d’un humoriste anglais bien oublié aujourd’hui des jeunes générations. J’ai nommé Georges Bernard Shaw, et sa pièce avait pour titre Androclès et le lion.
L’intrigue se passait sous Néron, dont on a fait le persécuteur féroce des chrétiens. Parmi les personnages mis en scène, il y avait la belle chrétienne et le non moins jeune et beau centurion, son geôlier.
Au fur et à mesure du déroulement de l’action, non pas un malaise, mais une incompréhension commença à poindre en moi. Ces deux personnages ne voulaient pas se plier à ce qu’inconsciemment j’attendais d’eux. Bien au contraire, la jolie chrétienne voulait abjurer et refusait le martyre tandis que le brave militaire voulait l’y pousser et l’y accompagner après sa conversion subite induite par les charmes réels de la demoiselle.
Et j’ai compris et pris conscience à ce moment-là que, quoique j’aie déjà à l’époque prétendu être un homme libre, mon esprit avait été – le mot paraîtra peut-être fort – mon esprit avait été manipulé. Sans le savoir, j’avais été conditionné par la vision de ces grands machins bibliques et évangéliques de la Metro-Goldwin-Mayer, à tel point que seuls me paraissaient vraisemblables les schémas de comportement véhiculés par l’hagiographie chrétienne.
Une vingtaine d’années plus tard, je lisais l’ouvrage d’un auteur catholique, Christian Chabanis, ouvrage intitulé Dieu existe-t-il ? dans lequel on trouvait les réponses négatives à la question de vingt et un scientifiques, politiques, sociologues, artistes, philosophes et moralistes faisant à l’époque profession de foi d’athéisme.
Parmi ces interviews se trouvait celle de Jean Vilar, artiste dramatique, metteur en scène et directeur de théâtre avec les idées duquel je me trouvais en parfaite communion. Ne disait-il pas lorsqu’il lui arrivait d’entendre d’autres discuter de la croyance en la divinité que :
« La question de la foi se pose pour moi chez les autres, ceux qui croient en l’existence de Dieu ou d’un dieu… je me dis : c’est étrange, cet homme intelligent, cette femme intelligente dont je sens qu’elle a une réflexion approfondie, que très souvent sa clairvoyance est bien plus efficace que la mienne, je suis stupéfait de voir que des gens qui sur le plan intellectuel me sont supérieurs… des gens qui ont une expérience de la vie physique et ne sont pas des contemplatifs, mais vivent dans l’action, je suis stupéfait donc que ces gens-là croient au vide. »
Mais ce fut à mon tour d’entrer dans l’incompréhension en apprenant que, pour lui, les Évangiles étaient une des plus belles chroniques romanesques et que : « … l’Évangile était une œuvre parmi les plus hautes, les plus grandes de l’humanité ».
Je fus encore plus surpris en lisant que :
« Je crois que c’est là où sont la grandeur et la vérité d’une expérience humaine, d’une philosophie humaine : celles du Christ. Par sa générosité et aussi son caractère implacable, n’est-ce pas ? Ce n’est pas un tendre le Christ !
C’est un homme qui mène un combat. L’un des spectateurs du film de Duvivier a posé aux gens qui discutaient de l’existence de Jésus, la question si le Christ était un révolutionnaire. Mais oui certes, il l’a été. Nous ne savons pas ce qu’il a été il y a vingt siècles, mais sa Parole reste encore une révolution, justement là où il agit le plus, c’est-à-dire à l’intérieur de la bourgeoisie, et l’Église dans ses meilleurs et ses plus purs représentants, dans ses prêtres, le sait bien. »
Je suis un lecteur des textes bibliques et évangéliques, mais, si je trouve que le Cantique des Cantiques contient des poèmes admirables, je n’ai jamais trouvé à ce jour le même souffle dans les évangiles canoniques. Quant aux paroles humanistes attribuées à Jésus le Nazoréen, il faut méconnaître le passé philosophique antérieur à notre ère pour croire à leur aspect novateur.
Et pourtant de la même façon que moi, adolescent, j’attendais dans le film que la belle chrétienne entame la course au martyre et que les efforts du légionnaire amoureux pour la sauver se révèlent vains, notre monde laïcisé se coalise presque pour affirmer que le Christ est à la base de notre démocratie sociale.
Dans une interview de Juliette Gréco publiée dans le journal Le Soir du 14 octobre 1992, la chanteuse ne disait-elle en parlant de son affiliation d’antan au parti communiste français que :
« La politique ne m’intéresse pas. Le communisme est une chose magnifique, mais pas la manière dont il a été exécuté. Le plus beau des communistes que j’ai connus de ma vie, c’était le Christ. C’était un communiste parfait. »
Le décor est à moitié planté : il me reste à dire que le monde dans lequel nous vivons est quasi laïcisé, mais l’école libre confessionnelle a le vent en poupe et accroît chaque année son influence. Notre monde est vraiment paradoxal.
L’omniprésence de merveilleux
En ce début du XXIe siècle, la pratique religieuse a notablement baissé, mais les sectes prolifèrent. Si l’on ne croit plus ou presque plus à l’enfer ou au paradis de l’après la vie, ou si l’on vit jusqu’à l’extrême limite comme s’ils n’existaient pas, on s’imagine que des mondes hyperdéveloppés peuplent l’espace intergalactique. Satan et l’archange Gabriel sont rayés du monde invisible, mais des extra-terrestres nous rendent, paraît-il, visite soit dans un quelconque Triangle des Bermudes pour nous détruire, soit dans notre pays lui-même pour nous étonner. Jamais l’astrologie et d’autres pratiques divinatoires n’ont eu autant pignon sur rue. L’image de Dieu s’estompe, mais celle de l’homme providentiel se renforce. Croire au merveilleux est toujours présent.
Et c’est dans ce contexte, dans cette société laïcisée, que s’insère le tabou de Jésus, cette survalorisation des qualités d’un personnage mi-historique, mi-mythique que les uns, à force de symbolisation, ont dépouillé de toute caractéristique humaine, quoiqu’ils défendent avec bec et ongles son incarnation dans le monde terrestre, et que les autres, à force de négations, ont transformé en pur mythe.
Historicité du personnage
Moniste matérialiste, athée et rationaliste, je ne m’attacherai qu’au personnage historique, à celui que je dénommerai Jésus le Nazoréen, voulant opérer une nette distinction d’avec le personnage mythique désigné par le vocable de Jésus-Christ.
Certains de mes amis trouvent déjà, ce faisant, que je fais une part trop belle aux religions qui l’ont pris comme emblème pour leur foi. Et là trouvons-nous déjà un premier tabou, celui qui hérisse un petit nombre de laïques chez qui simplement imaginer qu’il y a vingt siècles ait pu exister un homme, né d’une femme, ayant eu une activité publique mouvementée, ayant amené l’occupant romain de son pays à l’éliminer physiquement, est une aberration. Personne ne peut dire si cet homme a existé. Les témoignages tant romains que juifs sont absents, truqués ou inconsistants. Mais de la même manière, il n’existe aucun témoignage écrit de l’existence de l’arrière grand-père de l’arrière-grand-père de mon père. Et pourtant, ma présence physique à cette table ce matin est l’indéniable preuve qu’il a existé. Soyons lucides, l’absence de preuve de l’existence d’un être humain ne permet pas de dénier toute véracité à son passage sur notre planète.
Les Évangiles analysés
Je partirai donc de l’hypothèse que Jésus a physiquement existé. Et je baserai la suite de mon exposé sur les seuls écrits qui évoquent sa vie. J’ai nommé les quatre Évangiles, les trois synoptiques attribués à Marc, Matthieu et Luc, ainsi que le quatrième, celui de Jean. J’éviterai toute dispute avec les exégètes chrétiens et n’essaierai pas d’avancer dans le temps la date de leur rédaction pour la placer dans le cours du IIe siècle. Je prendrai pour argent comptant leurs appréciations, à savoir que les Évangiles synoptiques ont été composés entre les années 75 et 85 et que l’Évangile de Jean l’a été entre 90 et 100 de notre ère.
Ce que je vais faire sera d’analyser les témoignages contenus dans les Évangiles avec un esprit profane. Certes, le Jésus historique n’a pas été connu par les Évangélistes. Ce ne sont pas des témoins de première main. Familiers du Christ forgé par le mythe, proches par le cœur du fils de dieu martyrisé et ressuscité d’entre les morts, ils n’ont pu recueillir que par bribes et morceaux, de la tradition orale, divers éléments de la réalité de celui qui a pu être le Nazoréen.
Hommes d’une société basée sur une autre conception de la vie sociale que la nôtre, n’ayant pas à leur disposition le fil conducteur permettant de relier les unes aux autres les différentes pièces du puzzle, et tout imprégnés de l’aspect mythique du personnage, ils ont recomposé la trame d’une histoire mêlant au réel du passé, des contes merveilleux et édifiants pour attester la divinité de l’homme Jésus.
Aussi peut-on découvrir dans les Évangiles pas mal d’éléments qui pourraient avoir une valeur historique et qui ont peut-être eu lieu effectivement. Un exemple entre autres. Lorsque Luc parle au verset (13.4) des « dix-huit personnes que la tour de Siloe a fait périr dans sa chute », il rapporte un fait catastrophique, sans importance pour son propos, qui avait tellement frappé l’imagination populaire qu’un demi-siècle au moins plus tard il était toujours présent dans la mémoire collective.
L’important, et c’est ce qui fera l’objet de mon propos ultérieur, sera de retrouver tous ces éléments pouvant avoir une valeur de réalité, de les dégager de la gangue du merveilleux qui les occultait et d’essayer de les amalgamer dans un scénario plausible.
Mon propos sera donc de ne contester en aucune façon l’existence d’un personnage historique dénommé dans les textes hagiographiques Jésus le Nazoréen, ou Nazôréen ou Nazorenien ou Nazaréen. Au contraire, je vais rechercher l’homme et non le fils d’un dieu. J’éliminerai les actes merveilleux qui lui sont attribués, ne retiendrai que ceux qui pourraient être attribués à un homme de son temps, et je verrai si le personnage que je prendrai le risque d’ainsi reconstituer est bien celui que le monde laïcisé feint de connaître. Je veux somme toute tenter de dégager le profil psychologique de l’homme.
Présence du merveilleux des miracles
Un premier travail est de repérer tous les éléments merveilleux qui parsèment les Évangiles, à savoir toutes les guérisons miraculeuses attribuées au personnage.
Ainsi dans l’Évangile de Matthieu, on peut trouver :
- la guérison d’un lépreux par le simple toucher de la main,
- la guérison à distance du fils paralytique d’un centurion,
- la guérison de la fièvre de la belle-mère de l’apôtre Pierre en lui touchant la main, la guérison des démoniaques en chassant les démons par la grâce d’un seul mot,
- l’apaisement des flots de la mer par des paroles menaçantes qui étaient adressées aux vents,
- l’expulsion de la légion de démons du démoniaque gadamérien et l’autorisation qu’il leur donna de se réfugier dans un troupeau de porcs,
- la guérison d’un paralytique étendu sur un lit en lui ordonnant de se lever et de retourner chez lui avec son lit sous le bras,
- la guérison d’une femme qui perdait du sang depuis une douzaine d’années sans interruption simplement lorsqu’elle a touché son vêtement,
- la résurrection de la fille d’un chef, dont Jésus avait pris la main,
- la guérison de deux aveugles dont il avait touché les yeux,
- l’expulsion d’un démon qui rendait un homme muet,
- la guérison d’un homme à la main sèche en lui ordonnant simplement d’étendre la main,
- la guérison d’un autre homme aveugle et muet en expulsant le démon qui provoquait les deux infirmités,
- une première multiplication des pains après bénédiction de cinq pains et deux poissons pour nourrir cinq mille personnes et emplir de déchets douze couffins,
- la marche de Jésus sur les eaux,
- la guérison de la fille d’une Cananéenne malmenée par un démon,
- une seconde multiplication des pains au départ de sept pains cette fois pour nourrir quatre mille personnes et combler sept corbeilles de déchets,
- la guérison d’un garçon épileptique,
- le paiement de la redevance du Temple en faisant pécher le poisson qui contient en ses entrailles le statère, la pièce de monnaie nécessaire,
- une nouvelle guérison de deux aveugles à nouveau simplement en leur touchant les yeux du doigt.
Et sont également mentionnées, sans les détailler, les guérisons multiples comme celles au bord de la mer de Galilée mentionnées comme suit aux versets 15.30 et 15.31 :
« Et des foules nombreuses s’approchèrent de lui, ayant avec elles des boiteux, des estropiés, des aveugles, des muets et bien d’autres encore, qu’ils déposèrent à ses pieds ; et il les guérit. Et les foules de s’émerveiller en voyant ces muets qui parlaient, ces estropiés qui redevenaient valides, ces boiteux qui marchaient et ces aveugles qui recouvraient la vue… »
L’évangéliste Marc, dont l’Évangile est plus concis, reprend certains de ces prodiges. Mais le processus utilisé pour obtenir les guérisons est parfois différent. Ainsi pour ramener l’ouïe et la parole à un sourd qui est également bègue, il place les doigts dans les oreilles et touche, avec sa salive, la langue de la personne. Pour la guérison d’un aveugle, il lui met de la salive sur les yeux et lui impose les mains à deux reprises.
L’évangéliste Luc est celui qui a introduit la possibilité d’engrosser une femme simplement par l’intercession du Saint-Esprit. S’il reprend quelques guérisons miraculeuses décrites par Matthieu, il y ajoute la résurrection du fils de la veuve habitant la ville de Naïn que l’on portait en cortège au sépulcre, la délivrance de sept démons de Marie appelée la « Magdalénienne », la guérison d’un hydropique, ainsi que celle d’une femme courbée qui a été délivrée de son infirmité par l’imposition des mains.
J’en arrive à l’Évangile de Jean qui ne reprend à son compte que le premier miracle de la multiplication des pains énoncé par Matthieu. Mais c’est lui qui narre l’épisode du changement de l’eau en vin aux noces de Cana, la guérison du fils d’un fonctionnaire royal dans cette même localité ainsi que la résurrection de Lazare qui était dans son sépulcre depuis déjà quatre jours au point que sa sœur Marthe disait : « Il sent déjà ».
Pour la guérison d’un paralytique, le lieu est également tout à fait différent de celui repris par Matthieu, Marc et Luc ; je ne puis résister à l’envie de reprendre quelques phrases des versets 5.2 à 5.9 :
« Or, il existe à Jérusalem, près de la Probatique, une piscine qui s’appelle en hébreu Bethesda et qui a cinq portiques. Sous ces portiques gisaient une multitude d’infirmes, aveugles, boiteux impotents qui attendaient le bouillonnement de l’eau ; car l’ange du Seigneur descendait par moments dans la piscine et agitait l’eau ; le premier alors à y entrer, après que l’eau avait été agitée, se trouvait guéri, quel que fût son mal. Il y avait là un homme infirme depuis trente-huit ans. Jésus le voyant étendu et apprenant qu’il était dans cet état depuis longtemps déjà, lui dit : ‘Veux-tu guérir ?’L’infirme répondit : ‘Seigneur, je n’ai personne pour me jeter dans la piscine quand l’eau vient à être agitée, et le temps que j’y aille, un autre descend avant moi.’ Jésus lui dit : ‘Lève-toi, prends ton grabat et marche’. Et aussitôt l’homme fut guéri. »
Le processus suivi pour rendre la vue à un aveugle de naissance mérite également d’être narré :
« Ayant dit cela, il cracha à terre, fit de la boue avec sa salive, enduisit avec cette boue les yeux de l’aveugle et lui dit : ‘Va laver tes yeux à la fontaine de Siloe’. L’aveugle s’en alla donc, il se lava et revint en voyant clair ».
Je vous ai accablé avec cette fastidieuse énumération de tous ces miracles prétendus qui ne sont que billevesées. Je l’ai fait parce que des personnes ne connaissent pas ces prodiges et la façon dont ils sont réalisés parce qu’ils n’ont pas lu les Évangiles, ou ne se souviennent plus de ce qu’on leur a enseigné dans leur jeune âge, en ce temps lointain où ils suivaient le cours de religion.
Actuellement, dans le monde du XXIe siècle, aucune personne sensée n’oserait dire que ces événements ont une valeur de réalité. Quel ophtalmologue catholique s’avancerait encore pour cautionner la façon de guérir un aveugle avec la boue obtenue en triturant la poussière du sol avec de la salive ? Quel médecin croyant se permettrait d’ajouter foi à la libération de la parole par le toucher de la langue à nouveau avec de la salive, à la délivrance des sourds par l’imposition des mains, et tutti quanti.
L’anathème
Ce ne fut pas toujours le cas. Faut-il rappeler 1870, il y a seulement cent quarante ans, et ce qui a été dit au premier Concile du Vatican ?
Dans la Constitution dei filiis qui en est résultée, ne jetait-on pas l’anathème, c’est-à-dire la malédiction divine à défaut de pouvoir encore faire plus, sur ceux qui auraient osé :
« …ne pas recevoir dans leur intégrité avec toutes les parties comme sacrées et canoniques les Livres de l’Écriture comme le Saint Concile de Trente les a énumérés ou nie qu’ils soient divinement inspirés »
…On a condamné ceux qui auraient osé dire qu’il ne peut y avoir de miracles, et que par conséquent tous les récits de miracle, même ceux que contient l’Écriture sainte doivent être relégués parmi les fables et les mythes.
J’ai donc biffé des photocopies que j’avais faites des textes évangéliques tous ces éléments merveilleux qui n’ont aucune valeur historique.
Autres suppressions
Et mon marqueur noir a, de la même façon, supprimé de ces photocopies tout ce qui impliquait une lutte sur le plan théologique, qui m’indiffère, entre les partisans de la secte judéo-chrétienne, les Pharisiens ainsi que les Sadducéens. Comme par exemple tout ce qui concerne le respect du repos le jour du sabbat, la résurrection des morts, les traditions pharisaïques.
Il va de soi que les récits relatifs aux trois tentations de Jésus par Satan dans le désert ne trouvent aucun crédit auprès de moi.
Et d’autres éléments relatifs à la définition du Père, du Royaume des Cieux.
L’humaniste
Dans ce qui reste, il y a ce qui, actuellement, emplit pleinement la bouche des « stars » de la religion chrétienne. Il s’agit des quelques pages intitulées Les Béatitudes ou Le Sermon de la montagne qu’il avait prononcés, selon Matthieu, au début de sa prédication avec des formules édictant qu’il faut, par exemple « se garder d’afficher leur justice devant les hommes », et veiller à « ne pas claironner dans les rues quand ils font l’aumône et d’agir de telle sorte que la main droite ignore ce que fait la gauche ».
Il recommandait aussi, selon Matthieu aux versets 6.1 à 6.24 de « prier Dieu dans le secret », de « jeûner en secret » et de « ne pas se donner des airs sombres en ces occasions comme le font les hypocrites », ainsi qu’il « n’est pas possible de servir Dieu et l’argent », et qu’il « ne faut pas juger autrui ».
Luc ne lui met-il pas en bouche au verset 7.5 : « Hypocrite, enlève d’abord la poutre de ton œil, alors tu verras clair pour enlever la paille de celle de ton frère. »
Il aurait aussi déclaré qu’il fallait aimer ses ennemis, leur faire du bien sans rien attendre en retour et encore, nous assure Luc aux versets 6.29 et 6.30 :
« À qui te frappe sur une joue, présente l’autre ; à qui enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique. À quiconque te demande, donne, et à qui t’enlève ton bien, ne le réclame pas. »
En d’autres endroits, il avait aussi énoncé des paroles pleines d’humanisme. N’avait-il pas pardonné à la femme prise en flagrant délit d’adultère qui selon la loi mosaïque avait été condamnée à mort par lapidation. Il avait eu cette belle parole rapportée par Jean au verset 8.7 : « Que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre. »
Très belle maxime, certes. Mais je ne puis m’empêcher de douter de la véracité de la suite qui y sera donnée : les Pharisiens et les scribes se seraient écartés un à un ! Alors qu’ils pouvaient le convaincre de blasphème ! Et que l’Évangile de Jean regorge de passages où les Grands Prêtres et les Pharisiens recherchent n’importe quel prétexte pour s’en emparer pour le condamner.
La lapidation d’une femme condamnée selon la Loi, est le genre de spectacle dont les hommes devaient raffoler en ce temps-là. Comme actuellement dans d’autres contrées toujours enfermées dans le carcan de lois religieuses !
Le pardon des offenses
L’imagerie populaire a fait de Jésus le portrait d’un homme bon, doux, humble et pacifique. Oser ne serait-ce que nuancer l’appréciation tout en admettant l’existence historique du personnage vous fait affubler directement de l’épithète de mécréant obtus, d’intolérant, de malveillant même. C’est une image d’Épinal que l’on retient de Jésus le Nazoréen. Y déroger est sacrilège.
Je sais que l’on va immédiatement m’objecter qu’il demande aux autres de pardonner à ceux qui les ont offensés. Ne dit-il pas, selon Luc au verset 17.4 que
« Si sept fois le jour l’homme pèche contre toi, et que sept fois il revient à toi en disant qu’il se repent, toujours lui pardonner ».
Aussi la première question que je me suis posée a été de savoir si Jésus pardonnait facilement ? Ma perplexité a été grande en lisant le passage consacré au figuier stérile que l’on trouve dans Matthieu aux versets 21.18 et 21.19 :
« Comme il rentrait en ville de bon matin, il eut faim. Apercevant un figuier près du chemin, il s’en approcha et n’y trouva pas de fruit, rien que des feuilles. Il dit alors : ‘Jamais, tu ne porteras de fruit’, et à l’instant même, le figuier se dessécha. »
Et mon étonnement ne s’est pas démenti en apprenant que le malheureux arbre n’en était pas responsable, car comme le dit Marc au verset 11.11 :
« … le figuier ne portait rien que des feuilles, car ce n’était pas la saison des figues. »
Qu’aurait fait Jésus si, à la place de l’arbre fruitier, c’était à un homme qu’il s’adressait ? L’aurait-il aussi fait mourir ? Aurait-il enseigné la tolérance aux autres tout en se gardant de l’appliquer à lui-même ! On est loin de la parabole du Bon Samaritain !
Jésus se présente comme un maître débonnaire en invitant selon Matthieu les hommes à se charger de son joug et à se mettre à son école, car aurait-il dit au verset 11.30 :
« Je suis doux et humble de cœur, et vous trouverez soulagement pour vos âmes. Oui, ajoute-t-il, mon joug est aisé et mon fardeau léger. »
Un maître exigeant !
Mais que l’on ne s’y trompe pas : il s’agit d’un maître qui sait se montrer exigeant vis-à-vis de ses serviteurs, car déclare-t-il dans Luc au verset 12.47 :
« Le serviteur qui, connaissant la volonté de son maître et n’aura pas agi selon sa volonté, recevra un grand nombre de coups. »
Et ce maître peut disposer de son bien comme il l’entend. La parabole des ouvriers envoyés à la vigne est instructive à cet égard. Aux travailleurs qui ont peiné les douze heures durant, le même salaire est octroyé qu’aux ouvriers arrivés seulement à la onzième heure. À ceux qui récriminent, Jésus rétorque selon Matthieu au verset 20.14 :
« Prends ce qui te revient, et va-t-en. N’ai-je pas le droit de disposer de mes biens comme il me plaît ? »
Je vous le demande. Y a-t-il un syndicaliste chrétien, rien qu’un seul, qui soit prêt à se satisfaire d’une telle réponse, si le dirigeant d’usine la faisait à ses ouvriers lors d’une revendication salariale ? N’est-ce pas d’ailleurs cette parole d’Évangile que le capitalisme met en application lors de toute délocalisation d’entreprise ?
Égocentrique ?
Jésus aurait dit que les chefs doivent servir. C’est vrai, mais cette parole s’adressait à Jacques et Jean qui lui demandaient de leur réserver une place d’honneur lorsque sa royauté serait instaurée. Car, à un autre moment, toujours dans Luc, il estime que pour le serviteur, seule l’humilité est de mise.
On trouve aux versets 17.9 et 17.10 :
« Le Maître devrait-il savoir gré au serviteur d’avoir fait tout ce qui lui a été prescrit ? Ainsi de vous, Disciples, quand vous aurez fait tout ce qui vous a été prescrit, dites : nous sommes de pauvres serviteurs, nous n’avons fait que ce que nous devions. »
Jésus sait enseigner l’humilité, par exemple pour le choix des places dans un banquet, mais cette façon d’agir ne le concerne pas. Il doit être le premier sur terre. Son amour des honneurs transparaît dans l’onction à Béthanie rapportée par Jean, Marc et Matthieu. Permettez-moi de citer le texte de ce dernier tiré des versets 12.3 à 12.8
« … une femme vint avec un flacon d’albâtre contenant un parfum de grand prix. Brisant le flacon, elle lui versa sur la tête. Or, il y en eut parmi les disciples qui s’indignèrent entre eux : ce parfum pouvait être vendu pour plus de trois cents deniers et donné aux pauvres. Et ils la rudoyaient. Mais Jésus dit : ‘Laissez-la. Pourquoi la tracassez-vous ? C’est une bonne œuvre qu’elle a accomplie sur moi.’ »
Et il ajouta ces paroles égocentriques :
« Les pauvres, vous les aurez toujours avec vous, et quand vous voudrez, vous pourrez toujours leur faire du bien, mais moi, vous ne m’aurez pas toujours. »
Et cet amour de Jésus pour les honneurs est encore narré par Luc aux versets 7.44 à 7.47. Lors d’un repas chez un pharisien, une prostituée avait arrosé ses pieds de ses larmes, les avait essuyés avec ses cheveux, les couvrait de baisers et les oignait de parfum. Au Pharisien qui l’avertissait de la situation sociale particulière de cette femme, il répondit :
« Tu vois cette femme, dit-il à Simon, je suis entré chez toi et tu ne m’as pas versé d’eau sur les pieds ; elle au contraire m’a arrosé les pieds de ses larmes et les a essuyés avec ses cheveux. Tu ne m’as pas donné de baiser ; elle au contraire, depuis que je suis entré, n’a cessé de me couvrir les pieds de baisers. Tu n’as répandu d’huile sur ma tête ; elle au contraire a répandu du parfum sur mes pieds. »
Jésus trouve important que l’on se mette à ses pieds pour l’écouter et l’admirer. L’épisode avec Marthe et Marie, les sœurs de Lazare, épisode narré par Luc aux versets 10.39 à 10.42, est symptomatique à cet égard :
« … Celle-ci avait une sœur appelée Marie qui écoutait sa parole. Marthe, elle, était absorbée par les multiples soins du service. Intervenant, elle dit : ‘Seigneur, cela ne te fait rien que ma sœur ne me laisse ainsi servir toute seule ? Dis lui de m’aider.’, mais le Seigneur lui répondit : ‘Marthe, Marthe, tu t’inquiètes et t’agites pour beaucoup de choses ; pourtant, il en faut de peu, une seule, c’est Marie qui a choisi la meilleure part : elle ne lui sera pas enlevée.’ »
Je ne dis même pas que Jésus méprise celle ou celui qui travaille de ses mains, ou qu’il préfère les contemplatifs aux opératifs. Non, son principal souci est d’être admiré tout en ne dédaignant pas en même temps la bonne nourriture.
Un modèle d’ascétisme ?
Il faut savoir en effet que Jésus n’était pas un modèle d’ascétisme. Luc, au verset 5.33 mettait dans la bouche des Pharisiens des propos qui mettent en opposition son comportement et celui de son prédécesseur Jean le Baptiste :
« Les disciples de Jean jeûnent fréquemment et font des prières, ceux des Pharisiens aussi, et les tiens mangent et boivent. » Et quelle fut sa réponse rapportée par Matthieu : « Jean vient en effet ne mangeant, ni ne buvant, et l’on dit : ‘Il est possédé’. Vient alors le Fils de l’Homme, mangeant et buvant, et l’on dit : ‘Voilà un glouton et un ivrogne, un ami des publicains et des pécheurs’ ».
Et cela m’amène à vous proposer d’imaginer la tête qu’il aurait fait si Marthe avait quitté ses casseroles pour elle aussi venir s’asseoir à ses pieds et l’écouter. Et lui dire tant pis pour ta bouffe, Seigneur ! Mais le fin psychologue qu’il devait y avoir en lui, savait qu’elle ne le ferait pas. Il avait trop de charisme pour cela.
Son paradigme
La parabole de l’enfant prodigue montre que pour lui l’ouvrier de la dernière heure a finalement plus d’importance que le compagnon fidèle. Dans notre monde, considérerait-on comme équitable que le fils qui est resté attaché à son père soit finalement moins honoré que celui qui a dilapidé sa part d’héritage ? Quel jugement porterait-on sur les paroles du fils fidèle que nous rapporte Luc aux versets 16.29 à 16.32
« Voici tant d’années que je te sers sans avoir jamais transgressé un seul de tes ordres, et jamais tu ne m’as donné un chevreau à moi pour festoyer avec mes amis ; et puis ton fils que voilà revient-il après avoir dévoré ton bien avec les femmes, tu fais tuer le veau gras pour lui ».
Cette façon d’agir est toujours dans les mœurs à notre époque. Le disciple fidèle fait partie de l’ordinaire. Et puisqu’il est fidèle et que l’on sait qu’il le restera, à quoi bon faire le moindre effort pour le garder ? Quel que soit le désintérêt qu’on lui manifeste, il ne se rebellera pas. L’autre, celui qui a rompu avec son milieu, avec injustice même, souhaite son retour. Pourquoi ? Pour servir la cause de son père ! Eh bien non. Par intérêt ! Simplement parce qu’il est dans la dèche. Il était parti avec une partie de la caisse familiale, et est revenu uniquement lorsque la bourse était vidée de son contenu ! Et qu’il flirtait avec la misère !
Je puis comprendre que le père soit réjoui de revoir son fils comme Luc le lui fait dire :
« Il fallait bien festoyer et se réjouir puisque ton frère que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé. »
Mais je trouve risible la justification donnée par le même père à son fils à qui il n’a jamais fait le moindre cadeau pour fêter ses amis, à savoir : « Toi mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi ».
Le Jésus historique serait avant tout un pragmatique. Son réalisme, un tantinet cynique, transparaît dans la parabole de l’intendant infidèle qui après avoir mal géré le bien de son patron et sur le point d’être congédié, trouve encore le moyen de se faire des amis en spoliant à nouveau son maître en remettant aux débiteurs de celui-ci la moitié de leur dette. N’est-il pas surprenant d’entendre Jésus s’exclamer en conclusion de l’histoire :
« Et le maître loua cet intendant malhonnête. Car les enfants de ce monde-ci sont plus avisés avec leurs semblables que les enfants de lumière. »
Je suis au regret de devoir dire qu’il y a trois coquins dans l’histoire : l’intendant certes, le maître aussi qui admet une telle iniquité qui doit lui être coutumière pour qu’il l’accepte aussi facilement, et enfin le narrateur qui donne comme exemple la malhonnêteté de ces deux hommes à ses disciples qui étaient les enfants de lumière.
Ne sont-elles pas du même style les paroles rapportées par Luc au verset 16.9 et que voici :
« Eh bien, faites-vous des amis avec le malhonnête argent afin qu’au jour où il viendra à manquer, ceux-ci vous reçoivent dans les tentes éternelles. »
Vous avez bien entendu : « se faire des amis avec le malhonnête argent ». La belle incitation à la corruption.
La parabole des mines va plus loin encore. Le roi, qui est un homme dur qui prend ce qu’il n’a pas mis en dépôt et qui moissonne ce qu’il n’a pas semé, va punir son serviteur qui s’est montré trop prudent à son gré pour la gestion des cent francs or qu’il lui a confiés. Et selon Luc aux versets 19.24 à 19.27, le roi aurait dit à ceux qui étaient là à son retour de voyage :
« Enlevez-lui sa mine, et donnez-la à celui qui a les dix mines. Mais Seigneur, répondirent-ils : celui-là a dix mines. Et le roi répondit : ‘Je vous le dis, à tout homme qui a, l’on donnera ; mais à qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a. Quant à mes ennemis, qui n’ont pas voulu de moi pour roi, amenez-les ici et égorgez-les en ma présence’. »
De telles paroles sont compréhensibles dans la bouche d’un homme partisan de la guerre révolutionnaire, mais pas dans celle d’un pacifiste prêt au pardon des offenses jusqu’à tendre la joue droite à qui le frappe sur la gauche. Elles ne peuvent qu’être celles d’un guide politique tout porté à l’action dans un système oppressif. Ne sont-elles pas confirmées par Luc au verset 12.51 :
« Pensez-vous que je sois apparu pour établir la paix sur terre. »
et dans Matthieu aux versets 10.34 à 10.36 :
« Je ne suis pas venu apporter la paix, mais le glaive. Car je suis venu opposer l’homme à son père, la fille à sa mère et la bru à sa belle-mère ; on aura pour ennemis les gens de sa famille. »
Les exigences du chef
Jésus s’est totalement détaché des siens. Il veut que ses disciples lui soient attachés plus qu’à tout autre personne. Matthieu nous rapporte :
« Qui aime son père ou sa mère plus que moi n’est pas digne de moi. Qui aime son fils ou sa fille plus que moi et ne vient pas à ma suite, n’est pas digne de moi. (10.37) »
Et cette prétention de vouloir arracher autrui à ses proches se confirme dans Luc verset 9.51 :
« Il dit à un autre : ‘Suis-moi’ ». L’homme répondit ; « Permets-moi d’aller d’abord enterrer mon père ». Mais Jésus répliqua : « Laisse les morts enterrer les morts. Toi, va annoncer le royaume de Dieu ».
Annoncer le royaume de Dieu ! Un euphémisme pour ce leader de secte qui ajoute :
« Un autre encore lui dit : ‘Je te suivrai Seigneur, mais laisse-moi d’abord faire mes adieux aux gens de ma maison’ ».
Jésus lui répondit :
« celui qui met la main à la charrue et regarde en arrière, n’est pas fait pour le royaume de Dieu ».
Jésus exige du nouveau fidèle un complet arrachement à son milieu, selon Luc aux versets 14.35 et 14.36 :
« … et il se retourna et leur dit : ‘Si quelqu’un vient à moi sans haïr son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères, ses sœurs et jusqu’à sa propre vie, il ne peut être mon disciple’ ».
On ressent d’ailleurs sa déception de voir son mouvement messianique ne pas être pris au sérieux. Rageur à ce moment, il ne peut s’empêcher de manifester sa colère. Ainsi, par exemple, l’épisode où il se rend, après ses premières tournées en Galilée, dans sa patrie, l’endroit où il est né et où il a passé sa jeunesse,
Tout avait bien commencé. Si l’on ajoute foi à ce qui dit Luc au verset 4.22, il y aurait été précédé d’une certaine aura que lui ont attribuée certains signes donnés ailleurs. Ses concitoyens « lui rendaient hommage et étaient en admiration devant les paroles pleines de grâce qui sortaient de sa bouche. »
Mais, le premier étonnement passé à la vue de cet homme qui avait quitté le village et était revenu avec un début de renommée, n’ont-ils pas eu l’audace de lui demander de leur donner également un signe, un miracle ? Étonné de leur manque de foi selon Matthieu au verset 13.58, il entra en colère et en reproches contre ces villageois qui l’avaient trop connu, lui et sa famille, que pour le prendre au sérieux.
Chaque fois qu’il se rendait compte de son peu d’emprise sur le public, il se répandait en imprécations :
« Alors il se mit à invectiver contre les villes qui avaient vu ses plus nombreux miracles, mais n’avaient pas fait pénitence »
(Matthieu, verset 11.20)« Malheur à toi, Chorazein ! Malheur à toi, Bethsaide. Car si les miracles accomplis chez vous l’avaient été à Tyr ou Sidon, il y a longtemps que sous le sac et la cendre, elles auraient fait pénitence … Et toi, Capharnaüm, crois-tu que tu seras élevée au ciel ? Tu seras précipitée aux enfers. »
(Luc, versets 10.13 à 10.15).
Et puisque ceux du milieu nazoréen dont il provient, rechignent à le suivre, puisque ceux qui ont du bien hésitent à renoncer à leur confort pour mener sa vie aventureuse. Il ne lui reste qu’à s’adresser aux autres, à ceux que les bien-pensants assimilent à la racaille. Jésus fit comme le maître de maison de la Parabole des invités qui se dérobent. Celui-ci, voyant que ses amis prennent mille prétextes pour ne pas participer au banquet auquel ils sont conviés, ordonne à son serviteur :
« Va-t’en dans les places et les rues de la ville, et introduis ici les pauvres, les estropiés et les boiteux. »
(Luc, verset 14.22).
Mais quand il s’aperçoit que malgré cela il reste de la place, il ajoute :
« Va-t’en par les chemins et les clôtures et fais entrer de force afin que ma maison soit remplie. »
(Luc, verset 14.23).
Sa mère et ses frères
Quelle belle justification, pour les conversions forcées ! Car les Enfants de lumière, ces Esseniens, ceux qu’il raille dans la parabole de l’intendant infidèle, ceux du pays dont il est issu, ces Nazoréens, ces fous de Dieu dont il fut un temps le frère, ne comprennent pas sa métamorphose pragmatique. Ils refusent de participer à son réalisme politique. C’est ainsi que j’apprécie l’épisode :
« Et les siens, l’ayant appris, partirent pour se saisir de lui, car ils disaient : ‘Il a perdu le sens’ »
(Marc, versets 3.20 et 3.21).
Lorsque sa mère et ses frères veulent lui parler, il ne peut que réaffirmer : « Qui est ma mère et mes frères ? Et promenant son regard sur ceux qui étaient assis là en rond autour de lui, il dit : ‘Voici ma mère et mes frères’. » (Marc, 3.33).
On s’est beaucoup mépris sur le sens à donner à ce mot de « frères ». Le réalisme latin a poussé à y voir des frères de sang ou des neveux pour respecter la virginité de Marie. Pourquoi ne pas supposer que les frères cités sont les frères de la communauté nazoréenne dont il se serait écarté ? Et cette communauté, ne serait-ce pas plutôt la mère que le verset mentionne, et non pas la génitrice du héros ? Quand Jésus dit :
« Voici ma mère », ce n’est pas une femme en particulier qui serait dans l’assemblée des auditeurs, qu’il désigne, mais l’ensemble de ceux qui l’écoutent. Et ce sont ces personnes-là qu’il définit comme étant ses nouveaux « Frères ».
Ma conviction est renforcée par le passage suivant mentionné par Matthieu aux versets 18.15 à 18.17 que voici :
« Si ton frère vient à pécher, va le trouver et reprends-le seul à seul. S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère. S’il n’écoute pas, prends encore avec toi un ou deux autres… Que s’il refuse de les écouter, dis-le à la communauté. Et s’il refuse d’écouter même la communauté, qu’il soit pour toi comme le païen… »
Voyez la progression. Un frère, puis deux ou trois frères, puis l’ensemble des frères, et enfin la communauté. La communauté nazoréenne ! Et non pas sa famille biologique.
Les prémisses de la fin
J’ai parlé de vie aventureuse menée par Jésus. Certes oui, lorsque l’on suit son parcours en tous sens du pays pendant les quelques mois de sa brève carrière publique. Une vie dangereuse également. Des Pharisiens ne viennent-ils pas l’avertir, nous raconte Luc au verset 13.31 :
« À cette heure même, s’approchent quelques Pharisiens qui lui dirent : ‘Pars, va-t-en, car Hérode veut te tuer’. »
Ou encore selon Jean au verset 7.1 :
« Après cela, Jésus parcourait la Galilée, car il ne voulait pas circuler en Judée parce que les Juifs cherchaient à le tuer. »
Et cette impression se renforce lorsqu’on lit dans Matthieu, versets 12.1 à 12.4, l’épisode des épis de blé arrachés :
« En ce temps-là, Jésus vint à passer un jour de sabbat à travers les moissons, et ses disciples se mirent à arracher des épis et à les manger. »
Flânerie de joyeux lurons le jour du Seigneur ? Fantaisie innocente de disciples folâtrant ce jour de repos ? Pas du tout, car au reproche fait par des Pharisiens, Jésus répond par :
« N’avez-vous pas lu ce que David fit lorsqu’il eut faim, lui et ses compagnons ? Comment il entra dans la Maison de Dieu, et mangea les pains d’oblation, qu’il ne lui était pas permis de manger, ni à ses compagnons, mais seulement aux Prêtres. »
Il faut savoir que David était traqué par les sbires du roi Saül. Si Jésus se réfère à ce précédent, cela signifie que lui et ses disciples sont dans une situation analogue. Ils ont faim. Ils ne peuvent trouver de nourriture que dans ces champs, car ils sont pourchassés par le roi Hérode. Et dans une telle situation, nécessité fait loi !
Les inquiétudes des notables
Si des Pharisiens le recevaient parfois avec déférence chez eux, allaient jusqu’à l’héberger, le Sacerdoce officiel et les notables ne le voyaient pas d’un air tranquille venir troubler le modus vivendi qu’ils avaient réussi à établir avec l’occupant romain. N’avait-il pas fait, avec ses disciples, un chambard sur le parvis du temple en y chassant ceux qui fournissaient aux pèlerins la monnaie et les petits animaux requis pour les offrandes ? Ils se comportaient en casseurs en s’attaquant au commerce lié au culte ! Cela indigna les Grands Prêtres et les scribes : cela amena une réaction selon Luc aux versets 11.47 à 11.5 :
« Les Grands Prêtres et les Pharisiens réunirent alors un Conseil. Que faisons-nous, se disaient-ils ? Cet homme fait beaucoup de signes. Si nous le laissons ainsi, tous croiront en lui, et les Romains viendront et supprimeront notre Lieu Saint et notre Nation. Mais l’un d’entre eux, étant Grand Prêtre cette année-là, leur dit : ‘‘Vous n’y entendez rien. Vous ne songez même pas qu’il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière.’’ Or, cela, il ne le dit pas de lui-même, mais étant Grand Prêtre cette année-là, il prophétisa que Jésus allait mourir pour la nation. »
Vous avez bien entendu :
« il est de votre intérêt qu’un seul homme meure pour le peuple et que la nation ne périsse pas tout entière ».
N’est-ce pas là ce que sous Vichy firent les tribunaux d’exception créés par le maréchal Pétain pour calmer l’occupant nazi ! Le Jésus historique, agitateur politico-religieux, constituait une menace d’intervention des Romains. Pour des raisons religieuses ? Non pas, ces Romains étaient des gens bien trop pratiques que pour s’intéresser à autre chose que la collecte des impôts ! Les collaborateurs de l’occupant, les gens en place, la hiérarchie qui monopolisait entre ses mains les miettes du pouvoir consenties par Rome ne pouvaient admettre qu’un trublion vienne les mettre en péril.
Sa prudence
Jésus était pourtant au début de sa prédication un homme prudent. Il recommandait même à ses partisans de faire le silence sur sa fonction de messie :
« Alors il recommanda aux disciples de ne dire à personne qu’il était le Christ »
(Matthieu, verset 16.2)« Alors il leur enjoignit sévèrement de ne parler de lui à personne. »
(Marc, verset 2.30)« Et lui, d’un ton sévère, leur prescrit de ne le dire à personne. »
(Luc, verset 9.28)
Sa prudence est parfois cauteleuse. Jésus ne dédaignait pas le sophisme, le jeu de mots pour se tirer d’affaire. Marc rapporte aux versets 12.13 à 12.17 en est-il lorsque les Pharisiens le questionnent sur la licité vis-à-vis de la loi, de payer l’impôt aux Romains :
« … mais tu enseignes en toute franchise la voie de Dieu. Est-il permis ou non de payer l’impôt à César ? Devons-nous payer, oui ou non ? Mais lui sachant leur hypocrisie, leur dit : « Pourquoi me tendez-vous un piège ? Apportez-moi un denier que je le voie. » Ils en apportèrent un et il leur demanda : « De qui est l’effigie que voici et la légende ?’’ Ils lui répondirent de César. Alors Jésus leur dit : ‘Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu’ ».
Subterfuge à admirer pour un politique devant craindre l’occupant romain. Réponse indigne du messie ! Une fois, il prend peur devant la foule. Selon Jean aux versets 6.14 et 6.15, c’était au début de sa carrière publique :
« À la vue du signe qu’il venait d’opérer, les gens disent : ‘C’est vraiment lui le Prophète qui doit venir dans le monde.’ Jésus se rendit compte qu’ils allaient venir l’enlever pour le faire roi. Alors, il s’enfuit de nouveau dans la montagne tout seul. »
Passer à l’action
Mais ce succès éphémère ne se renouvelant pas, il est piqué au vif par des frères qui lui reprochent « d’agir en secret quand on veut être en vue » comme nous le conte Jean au verset 7.3.
Jésus décide de se rendre à Jérusalem, car l’insuccès lui pèse. Il connaît les risques de l’entreprise, mais il se prépare pour le combat décisif. Et il leur dit, selon Luc aux versets 22.36 et 22.37 :
« Mais maintenant, que celui qui a une bourse la prenne, de même que celui qui a une besace, et que celui qui n’en a pas, vende son manteau pour acheter un glaive. Car je vous le dis, il faut que s’accomplisse en moi cette parole de l’écriture : ‘Il a été mis au rang des scélérats’. Aussi bien, ce qui me concerne touche à son terme. »
Il ne faut par tourner autour du pot. « Acheter un glaive » a une signification bien profane : celle de s’armer pour se lancer dans une insurrection. Et si le disciple n’a pas d’argent pour cet achat, il doit aller jusqu’à vendre son manteau. Pierre, son principal disciple, était d’ailleurs armé au moment de l’arrestation de Jésus, nous dit Jean au verset 18.10 :
« Alors, Simon-Pierre qui portait un glaive, le tire. Il en frappa le serviteur du Grand Prêtre et lui trancha l’oreille. »
La petite troupe de disciples qui entourait Jésus n’avait pas que des sentiments tendres envers ceux qui n’acceptaient pas de leur accorder l’hospitalité. En témoigne cet incident rapporté par Luc aux versets 9.51 à 62 en ces termes :
« Comme le temps approchait où Jésus allait être enlevé de ce monde, il prit avec courage la route de Jérusalem. Il envoya des messagers devant lui ; ceux-ci se mirent en route et entrèrent dans un village de Samaritains. Mais on refusa de le recevoir parce qu’il se dirigeait vers Jérusalem. Devant ce refus, les disciples Jacques et Jean intervinrent : ‘Seigneur, veux-tu que nous ordonnions que le feu tombe du ciel pour les détruire ?’ »
Que signifiait « faire tomber le feu du ciel pour les détruire » sinon entrer dans le village et le mettre à feu et à sang par une expédition punitive ? Si Jésus n’accéda pas à leur demande, c’est probablement parce qu’il estimait qu’il ne pouvait que sortir diminué d’une telle aventure, lui qui se préparait à plus important en Judée.
Les mouvements messianiques
La Judée et la Galilée étaient sous protectorat romain. Les mouvements messianiques n’étaient pas absents du pays. Loin de là !
Dans les Actes des Apôtres, aux versets 5.35 à 5.37, ne fait-on pas dire au Pharisien Gamaliel, docteur de la loi et partisan d’une certaine position tolérante vis-à-vis du judéo-christianisme :
« Hommes d’Israël, prenez garde à ce que vous allez faire à l’égard de ces gens-là. Il y a quelque temps déjà se leva Theudas qui se disait quelqu’un et qui rallia environ quatre cents hommes. Il fut tué, et tous ceux qui l’avaient suivi se débandèrent, et il n’en resta rien. Après lui, à l’époque du recensement, se leva Judas le Galiléen qui entraîna du monde à sa suite ; il périt lui aussi, et ceux qui l’avaient suivi furent dispersés ».
Et dans son livre La guerre des Juifs contre les Romains, le Juif Flavius Josèphe ne signale-t-il pas que :
« À ce mal s’en joignit un autre qui ne troubla pas moins cette grande ville. Ceux qui la causèrent n’étaient pas comme les premiers des meurtriers qui répandissent du sang humain ; mais c’étaient des impies et des perturbateurs du repos public, qui, trompant le peuple, sous un faux prétexte de religion, le menaient dans des solitudes avec promesse que Dieu leur ferait y voir par des signes manifestes qu’il les voulait affranchir de servitudes. … Un autre plus grand mal affligea encore la Judée. Un faux prophète égyptien qui était un très grand imposteur, enchanta tellement le peuple qu’il assembla près de trente mille hommes, les mena sur le Mont des Oliviers et, accompagné de quelques gens qui lui étaient affidés, marcha sur Jérusalem pour en chasser les Romains, de s’en rendre maître et d’y établir le siège de sa propre domination ».
Et les occupants romains ?
A-t-il laissé une forte impression sur les Romains ? J’en doute.
Accusé d’impiété par le Sacerdoce officiel et par là de troubler l’ordre public, l’apôtre Paul avait été arrêté. Il comparaissait devant le procurateur Festus entre 60 et 62 de notre ère.
Un procurateur tellement peu au courant des tenants et aboutissants de la secte judéo-chrétienne qu’il fit lui-même appel au roi juif Agrippa qui était lui-même fort ignorant sur la question. Agrippa ne dit-il pas dit selon les versets 25.18 et 25.19 des Actes des Apôtres : « Ils avaient avec lui je ne sais quelles contestations touchant leur religion et touchant un certain Jésus qui est mort et que Paul affirme être en vie. »
Pourtant, si l’on devait croire les textes sacrés, le Jésus historique aurait dû fortement marquer les esprits des hommes de son temps ? Ne prétendent-ils pas que sa mort avait été accompagnée de grands prodiges selon Luc qui dit aux versets 23.44 à 23.45 :
« C’était déjà environ la sixième heure quand, le soleil s’éclipsant, l’obscurité se fit sur la terre entière, jusqu’à la neuvième heure. Le voile du temple se déchira par le milieu. »
Matthieu est bien plus précis aux versets 27.51 à 27.54 :
« Et voilà que le voile du Sanctuaire se déchira en deux, de haut en bas ; la terre trembla, les rochers se fendirent, les tombeaux s’ouvrirent et de nombreux corps de saints trépassés ressuscitèrent : ils sortirent des tombeaux après sa résurrection, entrèrent dans la ville sainte et se firent voir à bien des gens. Quant au centurion et aux hommes qui avec lui gardaient Jésus, à la vue du séisme et de ce qui se passait, ils furent saisis d’une grande frayeur et dirent : ‘Vraiment celui-ci était fils de Dieu !’ »
Comprenne qui pourra !
Conclusions
Les Évangiles canoniques comportent quatre parties qui sont imbriquées les unes dans les autres. Et un croyant ne peut escamoter le moindre élément de ces parties sans se livrer purement et simplement à de la malhonnêteté intellectuelle.
La première partie est certes gênante pour le chrétien animé d’un tant soit peu d’esprit critique. C’est cette partie qui contient tous les éléments merveilleux, les guérisons de lépreux, d’aveugles, de paralytiques, les expulsions de démons, les résurrections d’enfants ou de parents d’amis, miracles et prodiges.
Mais peut-il la biffer comme il le ferait de tout texte légendaire ou nier qu’elle existe ?
La passer sous silence, revient à reconnaître que les textes évangéliques ne font que reproduire en cette partie des restes magiques de la période néolithique. Mais, par là même, c’est reconnaître que tout le reste n’est qu’une construction humaine et non un message inspiré par la divinité !
La deuxième partie contient, au travers de discussions et de paraboles, la réfutation de quelques pratiques cultuelles juives. Cela n’avait rien d’exceptionnel du fait que la religion juive n’était pas monolithique tant que le Temple de Jérusalem n’avait pas été détruit. Les sectes des Sadducéens, des Pharisiens et des Esséniens ne coexistaient-elles pas dans le monde du début de notre ère quoiqu’elles soient en conflit sur des problèmes doctrinaux ?
La troisième partie contient quelques messages d’humanisme et de renoncement aux biens terrestres, au travers de quelques discours et paraboles. Mais tout comme dans d’autres philosophies. Ce sont en particulier les passages intitulés le Sermon sur la Montagne ou les Béatitudes qui, actuellement, ont la vedette dans la bouche ou sous la plume des religieux.
La quatrième, la plus ignorée, est celle que j’ai développée. Et pour ne pas être taxé d’affabulateur, j’ai tenu à mentionner constamment les versets des Évangiles dont j’avais enlevé les extraits cités.
Certains chrétiens, et même des laïques non croyants, m’ont fait le reproche de prendre au sens premier toutes les paroles mises dans la bouche du Nazoréen, et de ne pas les envisager sous un angle symboliste. Qu’ils le fassent pour leur propre usage ou leur satisfaction personnelle, ne me gêne pas.
Mais c’est trop exiger de ma personne que me demander d’accorder aux Évangiles un statut que je leur dénie. Celui de contenir la « Vérité », une vérité qui serait voilée à l’entendement populaire !
J’ai aussi tenu à ne pas retirer toutes les phrases de leur contexte. Bien au contraire, je l’ai rétabli.
Cette courte analyse à laquelle je me suis livré, permet déjà de supputer que le personnage historique qui pourrait se cacher derrière les éléments profanes que l’on trouve décrits dans les quatre Évangiles canoniques, pourrait être tout autre que celui que l’entendement populaire propage.
Que vous ai-je mis sous les yeux sinon un homme, bien réel et bon vivant, aimant boire et manger ? Il devait être né et avoir grandi dans une colonie d’Esséniens mariés, ces espèces de témoins de Jéhovah du début de notre ère. Une communauté de « Fous de dieu » que l’on devait connaître sous un autre nom : celui de la communauté nazoréenne qui serait la mère que les Évangiles mentionnent, et non pas sa génitrice.
Et quelle pauvre vie il avait dû passer chez ces intégristes ! Une pauvre jeunesse d’enfant pieux ! Mais un jour, il en a eu marre. Il a quitté tous les frères de la communauté. Il en a gardé l’appellation. C’était le Nazoréen quoiqu’il n’en professât plus les lignes de conduite. Ils ont bien essayé de le retenir. Il avait perdu le sens, disaient-ils.
Il s’était dégoté une vocation politico-religieuse dans le sillage de Jean le Baptiste. Il faut dire qu’alors, il y avait beaucoup de remous en Galilée qui, comme la Judée, était occupée par Rome. Jésus savait assez bien discourir. Il savait parler aux foules et utilisait le langage simple du peuple.
Il attaquait évidemment les bourgeois en n’hésitant toutefois pas à se faire inviter chez certains. Il y avait ceux qui s’appelaient les Pharisiens. Pas les plus mauvais. Les plus à craindre étaient ceux de la haute, les Sadducéens. Une clique dangereuse, car ils avaient le pognon. Les sous. Et les belles places au Temple.
Le Jésus historique ne s’embarrassait pas trop de scrupules. C’était un propagandiste, d’apparence humaniste et sociale devant la masse, cynique, dictatorial et dénué de nuances pour ses disciples. Un maître un tant soit peu parano, enseignant l’humilité aux autres, mais aimant les honneurs pour lui-même et souffrant du manque d’empressement des foules à le suivre. Un vrai chef de secte exigeant de ses disciples l’obéissance absolue, un attachement sans faille à sa personne et une rupture totale avec leur famille et le milieu dont ils sont issus.
De temps en temps, des bourgeois l’invitaient à leur table. Il se plaisait à les engueuler. Il y en avait qui aimaient ça. Des masos. Mais il y avait aussi les sympathisants qui le prenaient au sérieux. Et j’imagine combien il devait le paraître.
Mais il n’a pas eu de chance. Tout ça à cause des grands collabos avec l’occupant, ceux de la hiérarchie, ceux qui avaient la galette.
Son action messianique, politico-religieuse, en Galilée et en Judée menaçait la quiétude publique comme les actes des autres qui ont eu aussi la prétention d’être le Messie en cette période troublée par la présence de Rome.
Les Romains ne firent pas dans la dentelle. Ils expédièrent rondement le procès du séditieux, et le trublion se retrouva mis en croix. Il l’a été comme l’ont été tant d’autres ! Tous ceux qui avaient défié ou avaient fait mine de défier le pouvoir en place !
Comme l’ont été les six mille crucifiés le long de la voie appienne pour avoir participé à la révolte des esclaves conduite par Spartacus. Comme ce fut le sort des huit cents Pharisiens crucifiés par le roi juif Alexandre Jannée, quatre-vingts ans avant notre ère. Comme les deux mille Juifs crucifiés par les Romains pour avoir participé à la révolte de Judas le Galiléen, en l’an 6 de notre ère. Comme tous les petits, les sans-grade, les anonymes !
L’histoire de Jésus aurait pu ainsi finir. Mais il y avait ses disciples. Et aussi les membres de la communauté nazoréenne qui ont récupéré son auréole de martyr. Ils l’avaient un temps renié, mais son statut de victime avait effacé la rancœur qu’ils avaient pu avoir.
L’affaire s’est corsée avec l’arrivée de ceux qui ne l’avaient pas connu. Ils en ont dit des choses d’autant plus belles qu’ils ignoraient tout de lui. Au début, surtout un certain Paul, un citoyen romain en plus.
S’il revenait sur terre, le Jésus historique se marrerait bien. Car ils ont fait de lui tout d’abord un prophète, puis un fils de Dieu, puis carrément un dieu. Enfin un tiers de dieu.
Le Nazoréen aurait bien ri en prenant connaissance des chemins tortueux empruntés de congrès en congrès, de conciles en conciles pour lui attribuer tout d’abord une nature divine, en apprenant les difficultés engendrées pour faire cohabiter cette nature avec son corps d’homme, en prenant conscience des luttes entre partisans et adversaires de la quasi-divinisation de sa mère. Il s’esclafferait à la lecture des multiples anathèmes que se lançaient à la tête les vainqueurs des divers conciles, l’un défaisant ce que l’autre avait construit, tous deux se disant inspirés par le Saint-Esprit et être les interprètes de la Vérité divine ! Des anathèmes suivis d’ailleurs à partir du IVe siècle de notre ère d’interventions musclées du pouvoir séculier pour extirper ce qui était déclaré hérétique.
Si j’ai fait ce travail d’iconoclaste, c’est principalement en réaction à l’agressivité de tous ceux qui veulent proclamer urbi et orbi, au mépris de la réalité historique, que tout ce qui s’est fait positivement en matière sociale au cours des XIXe et XXe siècles n’est que la concrétisation du message des Évangiles. Tout comme on ne cesse de me bassiner les oreilles en affirmant que les conventions sur les droits de l’homme sont un héritage des Tables de la loi de l’Ancien Testament.
J’aurais certes pu adopter la position facile de nier l’historicité de Jésus le Nazoréen. Qu’il ait existé ou non, indiffère en fait l’athée libertaire que je suis. Mais se contenter d’une telle façon de procéder est contre-productif. Elle laisse le champ libre aux manipulateurs tellement présents dans toute hiérarchie, qu’elle soit séculière ou religieuse.
J’ai voulu surtout montrer que l’on ne peut avoir qu’une vue fausse des Évangiles, si on ne les envisage pas dans leur entièreté, dans leurs quatre parties, car on peut tout prétendre en s’appuyant uniquement sur quelques phrases isolées d’un texte. Même sans recourir au symbolisme !
Lorsque le chrétien a été élevé dans un milieu fortuné, il peut sélectionner les propos du Nouveau Testament qui confortent la conception selon laquelle honneurs et richesse sont accordés aux nantis, à ceux qui possèdent déjà. N’est-il pas dit dans les Évangiles que le maître peut disposer de son bien comme il l’entend ? Dans une parabole, n’est-il pas affirmé qu’« à tout homme qui a, l’on donnera, mais à qui n’a pas, on enlèvera même ce qu’il a ». N’est-il pas recommandé de se faire des amis avec le malhonnête argent !
Par contre, il y a des hommes élevés avec apparemment les mêmes principes religieux, mais dans un milieu revendicatif, qui préfèrent d’autres passages du discours et estiment que l’opulence devrait être partagée. Ils n’admettent pas l’exploitation de l’homme par l’homme. Ils tentent de se convaincre de l’humanisme de Jésus en ne reprenant que d’autres passages datant du début de la prédication.
Voilà donc des hommes qui se réclament du même homme dieu Jésus, qui s’appuient apparemment sur les mêmes textes, mais sont totalement différents dans leur comportement vis-à-vis de leur prochain, parce qu’ils n’ont sélectionné que ce qui convenait à la défense de leurs thèses.
Mais la plus nocive position consiste à mélanger les deux options, à se prévaloir publiquement des paroles humanistes tout en menant en sous-main une politique réactionnaire ! N’avait-on pas essayé d’inclure dans le projet de constitution de l’Union européenne la référence au judéo-christianisme ? À qui ferait-on croire que c’est pour promouvoir une Europe plus sociale ? Il ne faut pas rêver !
Ai-je manifesté de l’intolérance en tentant de désacraliser le tabou de Jésus le Nazoréen ? Je ne le pense pas. Comme quiconque a perçu la relativité du sens de la vie, j’accepte la liberté de conscience. Mais pas à sens unique !
Mais nous sommes loin du compte. N’avons-nous pas vu il y a quelques années à la télévision ces pèlerinages, ces prises de position du gouvernement italien pour le maintien de crucifix dans des écoles en opposition à une décision judiciaire ? Et que dire des remous actuels au lendemain du verdict de la Cour européenne des droits de l’homme qui condamne la présence des crucifix dans les écoles publiques italiennes.
La réaction de l’Église catholique, du Parti démocrate au pouvoir et de la Ligue du Nord étaient prévisibles. Par contre, pas les protestations des autres partis politiques, à l’exception du Parti radical et de ce qui reste du Parti communiste !
Et nous ne sommes pas en reste chez nous.
Détails que tout cela, disent quelques-uns. Oh que non ! Cela maintient un certain état d’esprit par une sorte d’autocensure.
Lorsque des lois sont proposées pour étendre la liberté de l’individu, que ce soit en matière de mariage, de divorce, de limitation des naissances, d’euthanasie ou de fin de vie, d’où vient l’opposition ?
Le pape catholique Jean-Paul II ne disait-il pas dans l’Encyclique Veritatis Splendor, notamment ceci :
« l’homme ne peut pas prétendre à la souveraineté totale de la raison et attribuer aux individus et groupes sociaux la faculté de déterminer le bien et le mal » ;
« la doctrine morale ne peut pas dépendre du simple respect d’une procédure : en effet, elle n’est nullement établie en appliquant les règles et les formalités d’une délibération de type démocratique. »
Et ne voyons-nous pas au niveau européen surgir à nouveau la définition religieuse de la vie humaine pour s’opposer au clonage thérapeutique et oser, dans certains pays, le déclarer crime contre l’humanité !
Dois-je, pour me conformer au laxisme ambiant, faire abstraction de ce que je suis libre penseur au sens qui lui était donné il y a un siècle, que je suis un moniste matérialiste au sens philosophique du terme, de ce que je suis un libertaire qui revendique de n’avoir ni dieu, ni maître. Dois-je y renoncer ?
Je suis autant un homme de cœur qu’un homme de raison. Une alchimie subtile de ces composantes de mon être m’a permis d’avoir une éthique en me basant uniquement sur quatre principes pour régler ma vie en société, pour diriger mon comportement vis-à-vis d’autrui.
Ces règles sont :
- le refoulement du dolorisme, la recherche du bonheur et la promotion du carpe diem,
- le respect de l’autre et de soi-même,
- l’exigence de la réciprocité de la part d’autrui,
- ainsi que l’affirmation de la solidarité avec autrui.
Ces principes éthiques sont humanistes. Je les ai choisis librement. Sans faire appel à qui que ce soit, à aucun gourou, à aucun prophète, à aucun philosophe, à aucun homme providentiel.
Et certainement pas au Jésus des Évangiles.
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