Description
Le mot élite comporte des connotations souvent malvenues – ou mal jugées – dans notre monde contemporain. Pourtant, il n’y a pas une élite, mais des élites. Le sujet mérite qu’on l’approfondisse.
Oser parler de l’élitisme, c’est très mal vu, surtout dans une société qui se veut égalitaire ! Les médias pourfendent toute forme d’élitisme, sans même savoir de quoi ils parlent. C’est normal, actuellement il faut verser dans le sensationnalisme…
De plus, quel sacrilège pour tous ceux qui se réfèrent à la devise française : Liberté, Égalité, Fraternité. Beaucoup d’entre nous défendent avec force et engagement sur l’honneur cette devise. « Égalité » et « élitisme » n’est-ce pas antinomique ? À voir. Pour cela, faisons appel aux définitions.
– selon Larousse
Élitisme : « Attitude ou politique visant à former et à sélectionner les meilleurs éléments d’un groupe sur le plan des aptitudes intellectuelles ou physiques, aux dépens de la masse. »
– selon Le Petit Robert
Élite : « ensemble des personnes, les meilleures, les plus remarquables d’un groupe, d’une communauté »
« D’élite : qui appartient à l’élite, distingué (remarquable par son rang et son mérite), éminent, supérieur ; exemple : cavalerie d’élite. »
– selon Wikipédia :
En éducation : en matière éducative, l’élitisme pousse à une sélection intense des candidats, réfute l’argument selon lequel on pourrait réussir sans avoir obtenu de très hauts diplômes, et nie reposer sur un déterminisme social ; selon ses tenants, si une personne est véritablement douée, elle parviendra à entrer dans l’élite, indépendamment de ses possibilités réelles, dans le cas contraire, c’est qu’elle manquait des qualités requises. Des pays renommés pour le passé élitiste de leur éducation sont la Grande-Bretagne et l’Allemagne, mais ils en sont revenus depuis.
En politique : le terme d’« élitisme » était l’une des accusations préférées du pouvoir soviétique lors des Grandes Purges staliniennes et d’autres procès moins retentissants. Les mouvements d’extrême droite ont pour caractéristique commune de suivre une ligne anti-élite, mais sans toutefois faire « l’apologie des sociétés élitaires », l’absence d’élites étant considérée comme une décadence.
Mais soulignons déjà ici que la France a la réputation d’avoir l’un des systèmes éducatifs les plus élitistes au monde, du fait des grandes écoles. On y reviendra plus loin.
Le professeur émérite de l’ULB, Claude Javeau donne dans ses réflexions sur l’élitisme, les définitions suivantes :
« On appelle élite l’ensemble des personnes, ‘ de toutes conditions ’, sexe et âge, qui cherchent à mettre au maximum leur intelligence au service de l’émancipation.
Élitisme désignera alors la philosophie qui sous-tend cette définition
Élitiste : tout partisan de cette philosophie.»
Pour moi, il y a lieu de distinguer l’élitisme social et l’élitisme intellectuel, sans oublier l’élitisme sportif et l’élitisme militaire.
L’élitisme social : on a eu la chance de naître dans un milieu privilégié : bourgeoisie, noblesse. On porte peut-être un titre ronflant et/ou un nom à particules. On fait partie d’une classe sociale élevée qui vit sur elle-même. Ce cercle est fermé et le peuple n’y a pas accès. Cet élitisme social est maintenant dépassé dans nos démocraties actuelles, mais sous d’autres régimes il est toujours bien en place. Heureusement, certains appartenant à ce milieu réagissent et essayent de ne plus montrer leur appartenance, quoique…
Une autre forme de l’élitisme social est d’appartenir à une famille, non noble, mais riche par des affaires correctes ou frauduleuses : peu importe, l’argent arrange tout ou presque tout. Cela peut même aller jusqu’à appartenir à des castes, des cercles mafieux. Il y a risque de scission, de dualisation de la société : les riches, les nantis d’une part et les pauvres, d’autre part. Cet élitisme basé sur l’argent est néfaste et est source de conflit au sein de la société. « J’ai l’argent, donc je peux… »
Il reste néanmoins une forme « douce » de l’élitisme social, celle qui naît du fait que des parents ayant la chance d’avoir pu faire des études supérieures et d’avoir occupé des fonctions à responsabilité, d’où bien rémunérées, et qui ont beaucoup travaillé, ont accumulé une certaine fortune personnelle. Ils sont considérés comme appartenant à une classe aisée. Leurs enfants ont la chance de vivre dans ce milieu où on n’est pas préoccupé par la disponibilité ou non d’argent.
À ce propos, Claude Javeau dit dans son Éloge de l’élitisme :
« Il arrive souvent, dans des textes descriptifs ou polémiques, que le mot ‘ élite ’ soit utilisé, simplement pour désigner les couches dirigeantes, de l’économie ou de la politique. Mais les personnages ainsi visés…, par leurs choix ou positions, surtout philosophiques et esthétiques, et les conséquences qui en découlent pour leur genre de vie, prétendent tout à fait consciemment et sans vergogne, se distinguer de la masse de leurs contemporains. De plus, ils se constituent en réseaux, voire chapelles, ont un langage propre, cultivent des habitudes singulières, se retrouvent dans certains lieux ou certaines publications. »
Tout au contraire, « l’élitisme intellectuel » consiste à former des individus très qualifiés mettant au mieux leur intelligence, leurs compétences et leur temps au service de la communauté que ce soit sur le plan économique, social, littéraire ou artistique.
La société dans son ensemble a besoin, pour se développer, des élites de cette espèce.
L’école est certes le milieu où se forment ces élites intellectuelles. Certains établissements scolaires sont réputés être plus élitistes que d’autres et ne recrutent que des élèves d’un certain niveau en pratiquant la sélection. Il n’est pas question de faire perdre du temps aux bons élèves. Les parents, soucieux de l’avenir de leur progéniture, cherchent à inscrire leurs enfants dans ces établissements « réputés ».
Toutefois, une tendance surfant sur le nivellement par le bas, voudrait que n’importe qui, quels que ce soient ses moyens intellectuels, puisse faire partie des élites intellectuelles. C’est ignorer qu’à la naissance nous n’avons pas tous les mêmes potentialités intellectuelles. Mais, cela ne veut pas dire qu’un enfant issu d’un milieu social peu favorisé ne puisse pas devenir une élite intellectuelle. Les exemples sont nombreux, par exemple un enfant de parents ne sachant ni lire ni écrire, est devenu un brillant ingénieur et chef d’entreprise ; d’autres sont devenus professeurs d’université.
À ce titre, le fameux décret « inscriptions » en première secondaire voulant assurer la mixité sociale n’a rien arrangé du tout. Ce décret assure simplement l’inscription dans un établissement secondaire des enfants du quartier où est situé cet établissement. Ils ont la priorité sur des enfants habitant plus loin. Surtout ce décret ne permet plus de présenter aux parents le projet pédagogique de l’école et, par conséquent, d’y adhérer.
De plus, l’Université est censée former les élites intellectuelles. Toutefois, il semble que, manquant de moyens, elle n’est plus à la hauteur de sa tâche. L’enseignement universitaire s’est massifié. Le nombre élevé d’étudiants en première année oblige les professeurs, chargés de cours et assistants à se consacrer uniquement à leur tâche d’enseignement. Étant subventionnées au nombre d’étudiants, les universités ont tout intérêt à attirer le plus grand nombre d’étudiants. Une vraie concurrence commerciale est mise en place. On inscrit à tout va en première année. On « busera » en fin de première année. Cette façon de procéder est tout à fait néfaste aux étudiants qui perdent au moins un an dans leur formation et risquent de ne pas faire partie plus tard de l’élite intellectuelle. De plus, toutes les heures consacrées à enseigner le b-a-ba à des « ignares immatures », comme dit Claude Javeau, se font au détriment de la recherche, surtout fondamentale.
Il faut toutefois se méfier de ceux ou celles qui, ayant réussi brillamment des études universitaires, ne pensent qu’à se mettre en évidence (belle voiture de société, niveau de vie élevé, voyages à travers le monde, bluff à tout cran…). Ils ne font pas partie, à mon sens, de l’élite intellectuelle. Ce sont tout simplement des parvenus sur lesquels la société a raison de jeter son opprobre et de critiquer cette élite d’apparat !
Ne pas perdre de vue qu’« être une élite », c’est mettre au maximum son intelligence au service de la communauté.
On ne peut passer sous silence, l’élitisme mis en place par le système éducatif français. Marie-Laure de Léotard en parle abondamment dans son livre Le Dressage des élites, De la maternelle aux grandes écoles, un parcours pour initiés, paru chez Plon en 2001. Ainsi en page 12, elle nous dit :
« Dans la pratique, notre école, si égalitaire en façade – l’égalitarisme étant même l’une des obsessions affichées par les syndicats d’enseignants – ne cesse de jouer la carte de l’élitisme. Elle est devenue une impitoyable machine à trier les meilleurs éléments, et ce, depuis leur plus jeune âge, aussi bien dans les collèges privés que dans les grands lycées publics, au détriment des élèves les moins doués scolairement et les moins résistants au stress. »
Plus loin, elle cite Jacques Attali, auteur d’un rapport explosif sur l’enseignement :
« Un enfant scolarisé dans le primaire dans une banlieue défavorisée n’a pratiquement aucune chance d’accéder à une très grande école. »
Encore une autre citation. Selon un énarque polytechnicien surdoué :
« Notre système de grandes écoles, unique en Europe, contribue à creuser un extraordinaire fossé dans la société, où les enfants des élites monopolisent le meilleur de l’enseignement supérieur. »
En 2010, un fort courant critique a poussé le gouvernement à exiger des grandes écoles un assouplissement de leur élitisme supposé, avec pour objectif d’ouvrir leurs portes à une plus grande part de la société, à la manière d’une affirmative action française.
Mais que dire de la Belgique ? Selon l’OCDE, l’école est discriminante en Belgique :
« La ségrégation scolaire est élevée en Belgique, ce qui permet d’expliquer les différences de performances entre établissements. Les étudiants désavantagés, qui sont pour une grande part issus de l’immigration, sont particulièrement concentrés dans certaines écoles, ce qui nuit à leur apprentissage. »
Le rapport de l’OCDE constate aussi que « les écoles où sont concentrés les étrangers ont souvent des professeurs moins expérimentés et moins qualifiés ».
Haro sur cet élitisme social qui empêche ces jeunes d’atteindre l’élitisme intellectuel !
Le peuple admet et vénère les élites sportives. Aucune critique n’est formulée eu égard aux sommes fabuleuses qu’ils encaissent en quelques années. On les admire, on les porte au pavois. On leur fait des fêtes nationales lorsqu’ils reviennent au pays tout auréolés de leur victoire. Combien de jeunes n’essayent pas de faire partie de ces élites ? Pour certains, dans les pays pauvres d’Afrique par exemple, c’est le salut pour vivre comme les Occidentaux. La concurrence est grande ! Les élites sportives sont les représentants choyés d’une nation. Toutefois, la roche tarpéienne est proche du Capitole. Quelques contre-performances et le bon peuple les élimine tout de suite du groupe des élites sportives.
Quant à l’armée ou aux forces de l’ordre, faire partie des troupes d’élite, c’est certes faire partie des meilleurs, ceux sur qui on compte pour défendre la nation. Là aussi pas de critique : la nation a besoin d’eux. Être un barbouze, cela pose son homme ! Et puis, au retour de missions plus ou moins périlleuses, on en a des choses à raconter, des faits d’armes impressionnants ! Le bon peuple est demandeur de ces récits glorifiants et attribue volontiers à ces « héros » le titre d’élite !
Il y a encore, mais d’une manière très discrète, les élites du travail. Connaissez-vous l’Institut royal des élites du travail de Belgique ? Tous les ans, lors d’une cérémonie qui a lieu en général dans la grande salle du Palais des Beaux-Arts à Bruxelles, l’Institut royal des élites du travail de Belgique attribue le titre et remet l’insigne de « Doyen d’honneur », de « Lauréat » et de « Cadet du travail » à d’heureux élus. La sélection de ceux-ci se fait par des comités nationaux organisateurs. Elle se fait par secteur et est basée sur la qualification professionnelle et l’engagement social dans toute fonction. L’attribution du titre est un signe de respect pour des activités professionnelles de haute qualité. Ce type d’élitisme correspond bien à la définition du Larousse, à savoir sélectionner les meilleurs éléments d’un groupe sur le plan des aptitudes, ici professionnelles.
En guise de conclusion, l’élitisme est admis et reconnu dans le domaine sportif, dans le milieu militaire et dans le domaine professionnel. Il ne faut pas que l’élitisme intellectuel dépende des conditions sociales et il est faux de penser qu’il en est toujours ainsi. Soyons clair : il n’y a pas de place pour un élitisme social, mais au contraire, il faut encourager l’élitisme intellectuel.
Celui ou celle qui veut exceller dans le domaine d’activités qu’il/elle s’est choisi sera tenu, à tort ou à raison, pour « faire partie de l’élite ». Mais toutes les élites se valent-elles ?
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Émile Peeters |
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Année | 2014 |
Thématiques | École / Enseignement, Éducation, Élitisme |