Description
L’introduction d’un cours obligatoire d’éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS) a provoqué, depuis la rentrée scolaire, des remous importants. Articles critiques dans la presse, manifestations, vandalisme, et même incendie volontaire de plusieurs écoles. Ces deux derniers types de réactions sortant clairement du domaine de ce qui est admissible dans une démocratie.
Mais ce qui frappe surtout, c’est la disproportion de ces réactions – souvent dictées par l’émotion et nourries par des fake news – avec l’enjeu que ces cours représentent. Après tout, le nouveau décret n’impose que deux fois deux périodes de cours pour l’ensemble de la scolarité obligatoire à savoir deux heures en quatrième primaire et quatre en quatrième secondaire.
Ces remous, qui ont, avouons-le, pris tout le monde par surprise, sont le résultat d’un certain nombre de maladresses, mais aussi le symptôme d’un mal qui frappe l’école depuis de nombreuses années.
Outre le fait que le décret n’impose qu’une réformette (quatre périodes de cours sur douze années de scolarité), elle n’est même pas totalement innovante, sauf aux yeux de ses défenseurs. On parlait d’éducation sexuelle bien avant qu’on impose l’ÉVRAS. Je l’ai fait il y a plus de trente ans. Dans les cours de biologie, dans les cours de morale, ces notions étaient abordées. Évidemment, en l’absence d’un programme précis, ou d’un guide semblable à celui qui est en partie responsable de la bronca de septembre, les sujets abordés dépendaient de l’initiative de l’enseignant et, souvent, du dialogue entre celui-ci et les élèves.
Personne ne contestera l’intérêt de ces questions, mais la principale maladresse que révèle selon moi cette crisette est causée par la perte du sens des proportions. Le gouvernement a imposé ces quatre heures de cours et, dans le même temps soutenu, la diffusion d’un « guide » à destination des acteurs de l’ÉVRAS, sous-titré « une approche basée sur les besoins des jeunes » de trois cents pages ! Tous les professionnels de l’enseignement savent que ce qu’on peut enseigner en quatre heures de cours est sans commune mesure avec les trois cents pages de ce guide. Mais ces recommandations, organisées par tranches d’âge, touchent pour la plupart à des périodes où le cours ne sera pas donné, ce qui a semé la confusion et favorisé une part importante des réactions négatives.
Ce guide, qui est au centre de la polémique, pose d’autres problèmes dont on n’a presque pas parlé. Il n’est, comme son titre le reconnaît implicitement, pas destiné aux enseignants, mais « aux acteurs de l’ÉVRAS ». Rédigé dans un jargon qui recourt à des concepts relevant de la psychologie ou des sciences sociales, il confirme qu’il est – en priorité – destiné aux agents des Centres psycho-médico-sociaux (CPMS), des centres de Planning et de diverses associations actives dans le domaine de la santé mentale. Une deuxième maladresse vient probablement du décalage entre l’affirmation, reprise en sous-titre du guide, qu’il répond aux besoins des jeunes et la perception de certains parents. Manifestement, ceux-ci pensent – et c’est leur droit – que certaines des notions abordées (dans le guide et qui ne le seront pas nécessairement dans le cours) viennent trop tôt ou ne correspondent pas aux besoins exprimés par leurs enfants. Cet écart de perception, justifié ou non, peu importe, n’a pas – ou très mal – été pris en compte dans la communication qui a accompagné le vote du décret. Que ces craintes aient été récupérées par des associations dont les intentions sont loin d’être vertueuses ne peut être contesté, mais ces associations auraient eu la tâche moins aisée si les autorités avaient été un peu plus prudentes.
Victimes d’une forme d’entre-soi, les promoteurs de la démarche se sont pris dans le tapis de la communication. Je me limiterai à un exemple en braquant le projecteur sur le sujet dont tout le monde pouvait deviner qu’il serait le plus sensible, le chapitre Identités de genre, expressions de genre et orientations sexuelles.
Pour la tranche d’âge 5-8 ans, le guide prévoit que devraient être acquises les connaissances suivantes : Identité de genre, Sexe biologique, La différence entre identité de genre et sexe biologique. Le guide définit ce qu’il entend par connaissance. En l’espèce, il s’agit de : « Posséder des informations, pouvoir [les évaluer], les restituer [et les utiliser]. Les connaissances sont nécessaires à l’exécution d’une tâche, mais ne deviennent significatives qu’une fois intégrées à des habiletés ».
Que personne, parmi les rédacteurs de ce document, n’ait remarqué l’écart entre leur niveau de sophistication et les attentes ou la compréhension des enjeux des parents démontre l’effet pervers de cet entre-soi. Les auteurs du guide et la ministre et ses conseillers ont été aveuglés par leur conviction que ce qu’ils font est juste et utile. Ils ont – sans doute involontairement – méprisé ceux qui ne pensent pas comme eux ou qui ne possèdent pas tous les codes nécessaires pour maîtriser la démarche.
L’épisode ÉVRAS est aussi révélateur d’un deuxième phénomène préoccupant : la dépossession de l’école de son rôle et la soumission des enseignants aux attentes de divers pans de la société.
On peut voir dans le « Guide ÉVRAS », le résultat du lobbying des plannings familiaux et des autres intervenants de ce secteur social. Je ne doute pas que ces associations soient convaincues – et elles ont en partie raison – de la justesse de leur cause. Elles pensent, elles sont certaines même, que l’ÉVRAS est importante et utile. Le problème, c’est qu’elles ne sont pas les seules à penser que la cause qu’elles défendent est juste et que l’école est le levier indispensable pour la faire progresser. VIAS, le GRACQ, PRO VELO favorisent la sécurité routière et la mobilité, on donnera donc cours de code de la route, on apprendra à rouler à vélo au cours de gymnastique et on organisera des trajets sécurisés autour de l’école. Greenpeace, le WWF et d’autres veulent sauver la planète. On créera donc un potager dans la cour de récré, on triera les déchets ou on accrochera des nichoirs, on ira voir les ruches ou la ferme modèle et, éventuellement, on participera aux « grèves pour le climat » en séchant les cours. Et ce n’est pas tout, il y a aussi la lutte contre les drogues, la prévention de l’obésité et la lutte contre la malbouffe, les actions pour l’accueil des migrants ou contre l’expulsion des illégaux, etc. Il ne se passe pas un jour sans que les médias et le monde associatif ne cherchent à embarquer l’école dans une croisade. Chacune de ces causes est évidemment digne d’intérêt, mais l’accumulation de ces sollicitations est-elle supportable par l’école ? On devrait se rappeler que l’école est soumise à de nombreuses contraintes et que c’est une institution fragile, aux pouvoirs limités.
On passe donc d’une réaction émotionnelle à propos d’une initiative législative somme toute anecdotique, à une vraie réflexion. Une année représente 8760 heures de notre vie, une année scolaire, c’est un peu plus de neuf cents heures. Notre école peut-elle vraiment, dans ce temps limité, résoudre tous les problèmes de nos sociétés, de la lutte contre les inégalités au bonheur individuel en passant par la défense de la nature ?
Une carte blanche parue dans Le Soir du 5 octobre 2023 intitulée Quand les imams diabolisent l’ÉVRAS montre le décalage entre la défense d’une cause et l’impact de cette cause sur l’institution scolaire. Pour les auteurs de ce texte, « Si l’on peut comprendre les inquiétudes de beaucoup de parents, sans amalgamer ceux-ci à ces actes de violence, il convient de se recentrer sur l’objectif même d’Évras. Leur Graal serait d’offrir à nos petits et grands enfants une bonne Éducation à la vie relationnelle, affective et sexuelle (ÉVRAS). Tel est leur quête. Elle nous paraît nécessaire et à mettre en pratique si l’on désire vivre dans une société qui souhaite l’émancipation et le bien-être de sa population ». On pourrait craindre que les auteurs sacrifient peut-être bien la maîtrise des tables de multiplication sur l’autel de l’ÉVRAS.
Ne faudrait-il pas plutôt revenir à une école modeste qui se concentrerait sur des objectifs limités ? Les enquêtes internationales montrent que nos élèves lisent peu et mal, écrivent encore moins bien et ne maîtrisent plus l’orthographe. L’invasion de l’école par les préoccupations sociétales dépossède les enseignants de leur rôle puisqu’elle les oblige à recourir constamment à des intervenants extérieurs, elle distrait aussi les élèves des apprentissages essentiels.
Face à cette évolution, il faut peut-être se souvenir des sages paroles de François Bovesse, alors ministre de l’Enseignement dans sa préface au Plan d’études de 1935 : « En réclamant plus de simplicité et de sobriété, loin de nous la pensée de vouloir borner totalement l’horizon des enfants. Cependant, il faut renoncer à vouloir tout apprendre et mal apprendre ».
Une école modeste se concentrerait sur les savoirs de base. En faisant ce choix, elle permettrait peut-être aux élèves de l’enseignement belge francophone de maîtriser mieux qu’aujourd’hui la langue de l’enseignement et les bases de l’arithmétique.
Les enquêtes PISA et PIRLS démontrent, sans contestation possible, que nous dépensons beaucoup d’argent pour une école inefficace. La recentrer sur l’essentiel serait probablement un projet vertueux. La crise de l’ÉVRAS était, comme le disait Shakespeare, beaucoup de bruit pour rien. Elle aurait néanmoins un mérite si elle permettait d’ouvrir un vrai débat sur ce qu’il faut que l’école enseigne en priorité.
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Claude Wachtelaer |
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Année | 2023 |
Thématiques | Droit / Législation, École / Enseignement, Éducation à la sexualité, Questions de société, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, ÉVRAS |
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