Évolution du statut de la femme. 3. L’éveil de la conscience politique des femmes
Description
La Révolution française – 1789 – est une période de grand bouleversement et c’est peu dire !
La remise en cause de toute la société, pour le meilleur et pour le pire est sanglante, comment le nier ?
Mais – la Révolution dévoile aussi un phénomène social nouveau : l’éveil de la conscience politique chez les femmes. Elles deviennent « visibles ». Elles s’intéressent aux grands débats. Avant même le jour J de la Révolution, des Grenobloises écrivent audacieusement à Louis XVI en 1788 :
« Nous ne saurions nous résoudre à donner le jour à des enfants destinés à vivre dans un pays soumis au despotisme ».
À côté du meilleur, c’est vrai, il faut bien aussi citer le pire, telles ces femmes, ces « tricoteuses » installées bien en vue de la guillotine, munies de leurs aiguilles et de leur pelote de laine pour ne pas perdre de temps tout en jouissant pleinement de l’horrible spectacle des têtes masculines et féminines qui tombaient sous le couperet. Chateaubriand parlera « des tricoteuses l’écume à la bouche ».
Par contre, les religieuses, persécutées, ayant fermé les écoles, des femmes ont pris le relais pour assurer l’éducation des enfants, d’autres se sont chargées des hôpitaux.
On va, tout doucement grâce à elles, vers une laïcisation de la société.
Leur présence dans l’action est réelle sur tous les plans et parfois très spectaculaire. Ce sont des Parisiennes de la halle qui, le 6 octobre 1789, ont triomphalement ramené le roi à Paris ! Au cri de à Versailles ! Elles avaient quitté Paris le 5 octobre, un lundi, à pied bien entendu, pour ramener avec elles le 6 octobre du pain pour leurs enfants, car la famine régnait, autant que pour ramener Louis XVI…
Parmi les figures féminines de la Révolution, il ne manquait pas de têtes brûlées, de jusqu’au-boutistes sans doute… mais aussi des courageuses, des passionnées de justice, fortes de leur indignation.
Parmi elles, Olympe de Gouges, auteur de la Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, que Robespierre traitait « d’animal amphibien » ! Veuve à vingt ans, elle fuit le mariage, plaide contre l’esclavage, pour le divorce, pour le vote des femmes. Infatigable, elle supplie les députés, conseille le roi, admoneste la reine, avertit le comte d’Artois, dénonce ceux qu’elle appelle les « robespirrots » et le « cannibale Marat » ! Elle a cru jusqu’au bout que les mots justes ont le pouvoir de changer le cours du monde…
Jusqu’au bout… jusqu’à la guillotine.
Il est paradoxal de constater que deux femmes, Marie-Antoinette, une femme qui n’avait rien compris ou pas grand-chose, et Olympe qui avait compris beaucoup de choses y ont toutes les deux laissé leur tête…
La Convention voudra remettre les choses en place ; hélas, les grands discours évoqueront bien vite la différence des rôles entre les hommes et les femmes et l’exclusion des femmes de la sphère politique et sociale.
Ainsi Chaumette, rapporteur devant la Convention de la loi qui interdisait les assemblées et les clubs de femmes : « La nature dit à la femme : sois femme. Les tendres soins dus à l’enfance, les douces inquiétudes de la maternité, voilà tes travaux. Mais tes occupations assidues méritent une récompense ? Et bien, tu l’auras ! Tu seras la divinité du sanctuaire domestique, tu régneras sur tout ce qui t’entoure, par le charme invincible des grâces et de la vertu ».
Autrement dit, sois belle et, surtout, tais-toi !
Pourtant il faut rendre à César… en l’occurrence à Lakanal, car s’il a voté la mort de Louis XVI il s’est aussi occupé avec ardeur des questions d’enseignement, et les petites filles n’ont pas été oubliées. Le décret Lakanal prévoit une instruction séparée des filles et des garçons et les filles seront confiées à une institutrice. À une institutrice et non plus à une religieuse. Il reconnaît ainsi la première profession féminine qui ne soit pas manuelle et elle est ouverte aux laïques.
C’est là un événement considérable.
« Toute femme est une école dira Michelet et c’est d’elle que les générations reçoivent vraiment leur croyance ». C’est bien là une phrase vraie et à méditer, car, c’est nous, nous les femmes, qui élevons les garçons, même si à présent, les hommes participent davantage au ménage et à l’éducation des enfants.
Sans doute, sans doute, mais il y aura Napoléon et son Code civil, très marqué par ses origines corses, très patriarcales, c’était aussi un homme de guerre : il lui fallait des soldats, les femmes devaient donc faire des enfants. À une dame qui en avait déjà vingt-quatre, il aurait dit : « À quand le vingt-cinquième ? » C’est avec esprit qu’elle aurait répondu : « Je suis aux ordres de votre Majesté ».
Dans la même ligne, après Eylau, bataille très meurtrière, il aurait dit haussant les épaules : « Bah ! Une nuit à Paris compensera tout cela ».
Malotru et misogyne ! Le maintien du divorce dans le Code civil lui a d’ailleurs fort bien convenu pour pouvoir répudier Joséphine !
Promulgué en 1804, le Code civil a réglé le sort des femmes, façon napoléon : incapacité civile de la femme, la puissance familiale est exercée uniquement par le père, répression très dure de l’adultère : la femme coupable est punie de prison, quant à l’homme on lui infligera… une amende ! Et encore, et encore il faut que « cela » se soit passé sous le toit conjugal ! Ailleurs, ma foi, c’est permis…
Si ce n’était déjà fait, on commence à comprendre les sursauts, la révolte des femmes et leur aspiration à une certaine libéralisation !
À l’époque déjà, des voix s’étaient élevées.
Ainsi au début de la monarchie de Juillet en France, une certaine Louise Dauriat (dont on a oublié le nom, les femmes dans l’histoire sont encore une fois souvent peu visibles ; or le nom donne vie, authentifie), Louise Dauriat donc, organise un enseignement sur le Code civil napoléonien : elle en dénonce le caractère odieux pour les femmes et notamment le fait qu’il ne connaît qu’une forme de maternité, celle dite légitime : la mère est mariée et seul le mari a tous les droits sur l’enfant, imaginant ainsi un père parfait et adéquat, par définition ! Qu’il puisse arriver que ce père-époux ne soit pas digne de la fonction le Code napoléonien n’y a jamais pensé et les différents législateurs n’y penseront même pas non plus avant la fin du XXe siècle…
Avant cela, celles qu’on appelait « fille-mère » n’avaient aucun droit légal, elles étaient objet de scandale et de mépris. L’idée répandue et avalisée par le Code était que la fille séduite était seule en faute…
Comme le dira une féministe de l’époque, Jeanne Deroin, encore un nom que nous ressuscitons, « les femmes ne sont pas libres de ne pas être mères ».
Longtemps encore, les hommes auront seuls la décision de procréation.
La Gazette des femmes de l’époque proteste elle aussi contre des lois particulièrement injustes pour les femmes.
Elles seront entendues un jour, ces voix, mais il faudra du temps. Les lois changeront, mais ce qui va surtout changer, modifier, bouleverser la société, ce sera la maîtrise de la maternité par la femme.
Le grand libérateur sera un certain Grégory Pincus ; mais n’allons pas trop vite, le chemin sera encore long et ardu.
Le XIXe et le XXe siècles seront encore un passage difficile.
Les femmes anglaises qui, les premières, se sont battues pour l’égalité de leurs droits civiques, politiques, sociaux avec ceux des hommes furent insultées, conspuées, traitées d’hystériques, de viragos… Alors que de nos jours encore, selon l’OMS, trois femmes sur cinq sont battues, violées, humiliées et dans certains pays mutilées dans leur sexualité même, voire lapidées en cas d’adultère et aussi en cas de viol.
La violence contre les femmes est la violation la plus répandue en matière de droits humains.
C’est pour cela que la grande déesse ne sourit que jusqu’à un certain point des progrès accomplis…
Les mentalités enracinées dans des siècles de patriarcat ont la vie dure…
Ainsi au XIXe siècle et au-delà, les jeunes filles des villes ne sont en rien averties, elles ignorent tout de la sexualité, de la grossesse, de la naissance…
À la campagne, c’est différent, l’observation des animaux donne des pistes ; filles et garçons comprennent les choses de la vie, mais à la ville, surtout les jeunes filles, dites de bonne famille, ne reçoivent aucune information. Des oies blanches…
Souvenez-vous de l’innocente Agnès, dans l’École des Femmes de Molière, qui croyait qu’on faisait les enfants par l’oreille !
C’était l’époque, pas si lointaine, où les cigognes apportaient les bébés ou bien alors ils naissaient dans les choux…
C’est à peine drôle, et ce qui l’est encore moins, c’est que, dans les pensionnats religieux, les jeunes filles devaient garder leur chemise pour prendre le bain…
Cette fausse pudeur, cette pudeur ridicule et le manque d’information la plus élémentaire ont bien entendu créé des drames dans la vie conjugale, d’autant que les garçons n’étaient pas tellement bien informés non plus. Elle leur venait, l’information, le plus souvent par le prêtre dont on peut imaginer un certain manque d’expérience..
Les maisons closes, à l’époque, ont eu leur heure de gloire et sans doute aussi, une fonction…
L’éducation tout court, l’instruction est longtemps aussi restée un domaine réservé aux garçons, barrant ainsi aux filles l’accès vers des carrières autres que féminines : servante, femme de chambre, infirmière…
Et la résistance masculine s’est longtemps obstinée notamment dans l’accès aux études universitaires.
Pour l’anecdote, en France, en 1941, le maréchal Pétain, à l’inauguration de bâtiments universitaires à Montpellier a interrogé l’étudiante qui, selon l’habitude, lui remettait des fleurs, pour connaître le sujet de ses études :
« Des études de chimie, Monsieur le Maréchal »
« Ah, très bien, c’est ce qui ressemble le plus à la cuisine » !!!
Faut-il rappeler que le gouvernement Pétain était un gouvernement réactionnaire, visant à maintenir des hiérarchies dépassées, à assujettir les femmes en les réduisant au rôle d’animal reproducteur : tous les objectifs habituels d’un régime totalitaire, un régime qui s’attaque d’abord et partout, aux femmes.
Rappelez-vous, sous Hitler le nazisme avait soumis les femmes au slogan des trois K : Kirche, Küche, Kindern. Le domaine qui leur était réservé étant ainsi l’église, la cuisine, les enfants !
Mais les femmes encore une fois sont le plus souvent courageuses, passionnées et volontaires, même si elles sont parfois excessives. Les excès ne sont-ils pas le propre des révolutions, et celle de la libération de la femme en est une.
Elle a bien eu lieu et entraîné des changements dans les villes, dans les campagnes, dans la rue, dans le monde du travail, dans la vie sociale et politique, et… dans les couples.
Dans un de ses derniers livres Françoise Giroud parlait de « décolonisation » ! Le terme n’est pas trop fort.
On oublie souvent l’ampleur du changement, on oublie que les femmes ont dû lutter pour être indépendantes, décider de leur vie personnelle et professionnelle, revendiquer le libre usage et la libre jouissance – non pas seulement de leurs biens, mais aussi de leur propre intimité, de leur corps…
Le grand départ de cette réelle mutation, nous le devons à la pilule contraceptive, l’événement majeur de notre modernité.
Gloire encore une fois à Grégory Pincus.
Dès 1939, ce biologiste juif d’origine russe, diplômé de Cornell et de Harvard, se préoccupe du système d’ovulation chez les lapines et en 1956, avec un confrère, il met au point la première substance à absorber par la bouche et capable d’inhiber l’ovulation, donc de supprimer, à volonté, la conception d’un enfant.
En 1960, l’accès en devient progressivement possible. L’organisation de la société occidentale en sera bouleversée plus qu’on ne l’imagine, la place de la femme dans la société en sera modifiée, profondément, et la grande déesse va, jusqu’à un certain point, n’allons pas trop vite, retrouver le sourire !
En tout état de cause, merci Dr Pincus : il a donné aux femmes la maîtrise de leur corps, supprimé l’angoisse d’une maternité inopportune éventuelle et donné aussi, une arme efficace contre la démographie galopante dans certains pays… pour autant qu’on l’y utilise et que les religions ne s’y opposent pas…
Mettons aussi au premier plan, le droit à l’avortement, le droit de vote, l’émancipation juridique, l’égalité des salaires, et combien d’autres conquêtes encore, arrachées de haute lutte et qui n’auraient jamais abouti sans le soutien, l’aide, la compréhension de la deuxième moitié de l’humanité celle de nos compagnons de vie… Il ne faudrait pas que les intégrismes religieux remettent, de nos jours, ces conquêtes en cause, alors même que notamment dans le droit social beaucoup reste à faire.
Ne nous leurrons pas ; heureusement, il y aura toujours une différence entre la femme et l’homme.
De fait, nous ne sommes pas tout à fait les mêmes… Une bonne raison d’ailleurs pour être complémentaires, solidaires, partenaires… égaux dans la différence.
Le but est encore à atteindre, sans nier les progrès, on n’y est pas encore, la femme cumule souvent les tâches professionnelles, familiales, ménagères…
Les révolutions sont souvent difficiles à digérer, les changements qu’elles apportent doivent trouver leur place, les mentalités doivent s’adapter et surtout… changer.
Ainsi la proportion phénoménale de divorces doit faire réfléchir de nos jours aux faiblesses de l’institution du mariage telle qu’elle est actuellement pensée.
Beaucoup d’hommes se retrouvent déroutés par des changements auxquels ils n’ont pas été préparés et que, il faut bien le dire, ils n’ont pas demandés, habitués qu’ils étaient à des situations qui étaient déjà celles de leur père, de leur grand-père, et on peut remonter au-delà dans les siècles…
Sans oublier le principal, à savoir que les enfants sont eux aussi plongés dans les remous de la mutation des couples, dans les familles recomposées, la présence morale et l’autorité du père s’étant modifiée… la mère prenant une place plus grande, parfois trop grande, différente en tous cas de celle qu’elle avait jadis.
Il y a, c’est certain, un nouvel équilibre à chercher, à trouver.
Qui a donc dit : « On ne saura jamais, chaque fois que l’on ouvre une porte aux femmes, l’importance de la révolution qui va suivre »…
Certaines femmes n’étaient sans doute pas prêtes aux changements non plus, certains hommes pas davantage, pourtant nous vivons un renouvellement heureux et nécessaire.
À nous de le gérer, sans doute de le laisser mûrir encore, mais les yeux grands ouverts et les oreilles attentives, car les fanatismes et les intégrismes sont prêts à bondir et à faire régresser les progrès acquis par le combat des femmes.
Les églises, patriarcales, dès leur origine, sont à l’affût.
L’Islam intégriste relègue et voile ses femmes, alors que le Vatican est, lui aussi, contre la contraception, le droit à l’avortement, la prévention du sida ou les droits des homosexuels…
Tout serait-il à refaire, jusqu’à la libération du corps, le rejet du carcan imposé par les religions sur la honte de la nudité ?
Soutenu par l’art, le corps a repris ses droits, qu’il soit nu ou habillé, qu’il soit féminin ou masculin, c’était aussi une liberté à reconquérir, et par les deux sexes, pour le plus grand bien du couple.
Hors de la liberté, de l’égalité, de la fraternité et de la tolérance, il n’est sans doute point de salut dans une société qui est en recherche parce que ce qu’elle croyait immuable a été remis en cause…
Mais, après les excès, après la bataille des sexes, ne pourrait-on rêver à un compagnonnage naturel, celui du couple… ne pourrait-on rêver d’un couple sans dominant ni dominé, dans la confiance, la liberté et le respect de l’autre ?
Ne pourrait-on aller vers le repos du guerrier et de la guerrière enfin pacifié dans l’équilibre et la maturité ?
Ce difficile point d’équilibre étant l’affaire de chacun, mais la clé peut-être, du bonheur…
Faudra-t-il encore une autre révolution ?
Imaginons plutôt une harmonieuse « évolution »…
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Informations complémentaires
Année | 2006 |
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Auteurs / Invités | Anne-Marie Hansenne |
Thématiques | Église catholique, Islam, Lutte contre les violences entre partenaires / Violences de genre, Politique, Questions de genre, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Religions |
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