Et si on en finissait avec le politiquement correct… La querelle du créationnisme
Description
Aux États-Unis, ils sont confrontés à cette question du créationnisme à l’école publique depuis une centaine d’années. L’évolution est intéressante, parce que l’on passe de l’attaque frontale au loup dans la bergerie, ou du politiquement incorrect au politiquement correct, mais cela se fait progressivement.
Lorsque Darwin a publié L’Origine des espèces au XIXe siècle, son livre a évidemment été rejeté, mais cette exclusion ne posait pas de problèmes scolaires, car l’enseignement secondaire n’était pas généralisé du tout. Quand, après la Première guerre mondiale, comme un peu partout dans les grandes démocraties, l’enseignement secondaire, où on enseigne la biologie, a commencé à être généralisé, les fondamentalistes ont dit qu’ils ne voulaient pas que leurs enfants, ou que des cohortes d’enfants soient confrontées à ce discours impie. Ils ont fait pression sur des législateurs, en particulier dans les États du Sud, et ont fait voter des lois disant : « Il est interdit d’enseigner des doctrines contraires à ce que dit la Genèse ». Sous-entendu, on ne peut pas tenir des propos tirés de L’Origine des espèces. Parfois, ce n’était pas sous-entendu, parce que les législations étaient formulées de façon différente suivant les États. Ça, c’est l’attaque frontale. On légifère en disant : « vous ne direz pas cela, parce que c’est contraire à la religion ».
En 1925, à Dayton dans le Tennessee, John Scopes, jeune professeur de biologie, a, à l’époque –, de façon délibérée et poussé par les associations qui voulaient faire monter les affaires jusqu’à la Cour suprême –, ouvertement enseigné Darwin. Il a ainsi violé la loi –, The Butler Act, du nom du législateur qui a porté cette loi –, ce qui donna lieu à un procès, le procès Scopes.
Ce fut le premier procès médiatique de l’histoire des États-Unis avec les médias de l’époque : le télégraphe, le téléphone, les journaux, etc. Mais, l’accusation s’est ridiculisée, parce que Scopes avait un avocat athée, Clarence Darrow, un New-Yorkais, descendu sur Dayton qui a demandé à l’accusation : « Si vous voulez tellement que l’on défende la Bible, expliquez- moi, parce que je trouve que c’est contradictoire ». Il a commencé à parler des générations qui se sont succédé, de l’histoire de la transmission d’un texte dont on sait qu’il a été écrit par plusieurs auteurs, et qui comprend des contradictions… et il a démontré que tout le monde se trompait. S’il a gagné devant l’opinion, il a tout de même été condamné, parce qu’il avait violé la loi, mais il ne fit pas de prison.
Juste après ce procès Scopes, la plupart des États du Sud ont voté des lois similaires, et donc on n’ a plus enseigné, en général, la théorie de l’évolution dans les écoles secondaires, les écoles publiques aux États- Unis. Les écoles privées étant souvent religieuses, c’était sans doute encore pire. On n’enseignait plus cela, parce que les auteurs de programmes scolaires, pour des raisons de marché, voulaient les vendre partout. Ils se sont dit que, s’ils enlevaient la théorie de l’évolution, ils pourraient les vendre dans tous les États-Unis. Sinon, ils perdraient des clients. Cela fonctionnera jusque dans les années 1950 et l’épisode du Spoutnik, où les Américains ont cru, sincèrement ou non, qu’ils étaient en voie d’être dépassés technologiquement par les Soviétiques, ceux-ci voulant faire des vols habités, il y a eu, dès lors, des questions biologiques posées très clairement. On a, alors, musclé les programmes de sciences et de biologie, et à ce moment, les fondamentalistes ont dit : « On enseigne la théorie de l’évolution ». C’était le moment, où il y a eu la convergence de la théorie de l’évolution et de la génétique, la double hélice, etc. C’était une discipline qui était en forte progression, aussi les fondamentalistes ont dit : « Mais non, il existe toujours ces lois qu’on appelait les Monkey Laws, les lois du singe ». Puisqu’on ne pouvait pas dire qu’il y avait un lien entre l’homme et les grands singes, parce que l’homme a une âme et qu’il est créé à l’image de Dieu, etc. Ils ont voulu, à nouveau, interdire la chose. À ce moment- là, l’affaire est montée à la Cour suprême qui a déclaré : « C’est contraire à la Constitution, parce que la Constitution interdit un établissement de la religion ».
L’idée de dire que, dans une école publique, des pouvoirs publics empêchent la communication d’un libre développement de la science pour des raisons religieuses –, même si c’est la religion de la majorité des Américains –, cela a été déconsidéré, dans sa grande période progressiste, par la Cour suprême, comme étant un établissement la religion. Dès lors, les défenseurs du créationnisme auraient pu se dire : « On a perdu, on accepte », mais c’est à ce moment-là qu’ils adoptent la stratégie du « loup dans la bergerie » : on vous ferme la porte, vous entrez par la fenêtre.
Ils ont commencé par proposer que le créationnisme et l’évolutionnisme soient enseignés tous les deux, c’est ce qu’on appelle la théorie equal time and emforcis –, le même temps et la même importance –. Ils ont pensé que puisque c’était controversé, on pourrait enseigner les deux. Cela n’a pas dû aller jusqu’à la Cour suprême, car un juge a dit qu’ils mélangeaient des pommes et des poires, que cela n’avait aucun sens de mettre de la religion dans le créationnisme et de la religion dans un cours de sciences. Alors, ils ont développé l’idée de Creation science –, la science de la création –, pour pouvoir entrer dans la classe de biologie. À l’extérieur, ils pouvaient enseigner tout ce qu’ils voulaient, dire que la terre était plate, mais c’était dans la classe de sciences de l’école publique qu’ils ne pouvaient pas le faire. C’est pourquoi ils ont développé cette idée de science de la création, mais cette science de la création était très brute, très peu élaborée, et l’affaire est allée jusqu’à la Cour suprême. C’était plus difficile : on n’interdisait plus, on imposait que si on enseignait l’évolution, il fallait aussi enseigner la science de la création controversée. La Cour suprême a dit que c’était peut- être une controverse pour le public, mais pas pour les scientifiques. Cette notion de science de la création a même fait de l’épistémologie en 1987. Elle a dit qu’ils ne font pas de la science, mais qu’ils essaient de trouver dans la réalité, dans les énoncés scientifiques, tout ce qui correspond à la Bible. Et ce qui ne correspond pas, ils le rejettent. Or, le travail scientifique ne fonctionne pas comme cela. C’est pourquoi la Cour suprême a dit : « C’est contraire à la Constitution, vous ne pouvez pas imposer la théorie equal time and emforcis ». À ce moment-là, puisqu’ils ont beaucoup d’argent, ils ont créé une autre théorie : puisque la science de la création était trop faible : ils ont établi le fameux Intellingent Design, projet intelligent.
L’idée est de dire qu’en tant que biologistes, et en présupposant un designer – on ne dit pas créateur, car cela fait trop religieux, mais c’est pareil évidemment – on rend mieux compte, on explique mieux les organismes, qu’en acceptant la théorie de l’évolution qui pose des tas de problèmes. C’était beaucoup plus difficile à fonder, parce qu’ils ont dû y impliquer pas mal de chercheurs et, notamment, le Discovery Institute situé à Seattle. Il y a quelques années, il y a eu une affaire en Pennsylvanie qui est intéressante, car elle montre comment cela devient vraiment « le loup dans la bergerie ». On n’en est plus à l’attaque frontale, comme dans les années 1920, où on ne peut pas enseigner l’évolutionnisme, sinon on fait un procès. Maintenant, on n’en est même plus à dire qu’il faut enseigner les deux, on en est à l’idée que dans cette école, le Collège d’éducation, c’est-à-dire ceux qui organisent les programmes d’enseignement –, les professeurs, les notables, les familles, etc. – demandent qu’on lise, au début du cours de biologie, un avertissement aux étudiants disant qu’on enseigne la théorie de Darwin. Mais que dans la théorie darwinienne, il persiste des lacunes, et qu’il existe à côté une autre théorie, The Intelligent Design, que l’on n’enseigne pas à l’école –, ce qui suscite déjà un peu méfiance auprès des élèves. Pourquoi si c’est cette théorie est bonne, ne l’enseigne-t-on pas à l’école ? Ils arrivent avec une pile de très beaux livres, dont Of pandas and people, qui est le livre central de l’Intelligent Design, et les mettent à disposition des élèves qui veulent s’informer.
Les professeurs de biologie refusent de lire l’avertissement, car c’est contraire à leur éthique professionnelle et à leur déontologie. En outre, les enfants ne comprendraient pas pourquoi on le fait pour la biologie et pas pour d’autres cours, mais également parce que c’est une façon de délégitimer le cours de biologie. Mais, puisqu’on ne peut pas faire autrement, c’est une façon de leur instiller qu’il y a une autre théorie –, qui, par ailleurs, est quand même un peu conforme à la religion, puisqu’il y a quand même un designer –, mais que cette théorie, on ne l’enseigne pas. Pour toutes ces raisons, les professeurs refusent. L’avertissement est lu par un membre de l’administration, car ils sont, eux, sous relations hiérarchiques. Des parents, des professeurs, parmi lesquels un pasteur protestant, sont allés en procès, en disant qu’il s’agissait à nouveau d’un établissement de la religion. Mais c’était beaucoup plus difficile à prouver que dans les années 1920, lorsque l’on avait des lois qui interdisaient l’enseignement de l’évolution, d’autant plus que le juge avait été nommé par le président George Bush et donc la cause n’était pas gagnée… Or, ce juge a été très honnête. Certaines personnes ont dit que The Intelligent Design fondait une autre science, une autre version, et qu’après tout, ils ne voyaient pas pourquoi on ne pouvait pas l’offrir aux élèves ? Et d’autres disaient que c’était de la religion déguisée. Si c’est de la religion déguisée, le juge dit qu’il ne peut pas l’autoriser, parce que cela serait inconstitutionnel. Pendant tout le procès, les défenseurs de The Intelligent Design se sont complètement déconsidérés, parce que, durant le procès, ils ont venir des professeurs de Harvard, de Stanford, des biologistes pour essayer d’informer : ces témoins se sont avérés ne pas être vraiment des scientifiques, que leurs données dataient d’il y a trente ans, qu’elles n’étaient pas rigoureuses et qu’elles n’avaient pas été publiées dans des revues sérieuses. Cela s’est terminé par l’intervention d’une philosophe, Barbara Forest, qui trouva des manuscrits dans lesquels elle a réalisé que les défenseurs de l’Intelligent design présentaient les choses, comme étant une exigence scientifique. Ils disaient que leur théorie rendait mieux compte des organismes, qu’ils expliquaient mieux, que cela n’avait rien à voir avec la religion… Or, elle a montré un manuscrit de Of Pandas and People, qui avait été rédigé juste avant la décision de la Cour suprême de 1987 et qui disait que la science de la création n’était pas de la vraie science. De cette manière, elle dévoilait qu’avant la décision de la Cour suprême, dans le même manuscrit, on avait le mot « création » écrit deux cents fois, et elle renvoyait vers le même manuscrit paru juste après ladite décision, pour constater qu’ils avaient remplacé le mot « création » par Design, et « créationnisme » par Intelligent design, etc. Elle a expliqué qu’ils ne l’ont pas du tout fait parce qu’ils l’ont découvert, en tant que scientifiques, ou parce que c’était quelque chose qui rendait mieux compte de l’évolutionnisme dans la réalité biologique. Mais qu’ils l’avaient fait pour essayer de répondre à l’arrêt de la Cour suprême et de le détourner, en disant que s’ils ne pouvaient plus parler de science de la création, ils parleraient d’Intelligent Design, en utilisant les mêmes arguments, les mêmes types d’exemples, etc.
Le juge a dit qu’ils se sont moqués de lui et a considéré qu’en dehors de l’école, c’étaient des créationnistes purs et durs. Voilà pourquoi il a dit que The Intelligent Ddesign était inconstitutionnel.
Voilà comment on passe d’une attaque totalement frontale à quelque chose de politiquement correct. On veut seulement un avertissement ; on veut offrir des livresaux étudiants ; on veut leur ouvrir l’esprit ; on veut qu’ils aient l’esprit critique ; s’il y a une controverse, pourquoi la leur cacher, etc. Et, tout cela revient, en Belgique, aujourd’hui, et en particulier via la Turquie.
Informations complémentaires
Année | 2017 |
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Auteurs / Invités | Guy Haarscher |
Thématiques | Créationnisme, École / Enseignement, Éducation, Évolutionnisme, Lutte contre les fausses croyances et les fausses sciences, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Sciences |