Description
Introduction
Les arnaques, mais également des délits beaucoup plus graves, ne manquent pas dans le milieu du paranormal. Encore dernièrement, un homme en instance de divorce a dépensé environ six mille euros chez un marabout qui prétendait avoir le pouvoir de faire revenir son épouse auprès de lui. Il va sans dire que la dame n’est jamais revenue (La Dernière Heure du 9 mars 2005). Plus récemment, une jeune femme de vingt-deux ans est décédée chez un ensorceleur qui l’a forcée à avaler onze litres d’eau – s’il ne s’agit pas d’autre chose – et à se faire vomir après chaque gorgée ! Ce criminel a refusé d’appeler les secours alors qu’il voyait sa victime agoniser (La Dernière Heure du 26 avril 2005).
Les victimes des charlatans invoquant le paranormal ont plus de droits qu’elles ne l’imaginent, mais elles hésitent souvent à porter plainte, soit par ignorance de leurs droits, soit par honte. On n’est en effet jamais très fier de se faire avoir.
Il faut absolument dépasser cette honte, car l’erreur est humaine et personne ne reste totalement vigilant en permanence. Or, ces prétendus voyants, gourous, mages ou guérisseurs ont précisément l’art d’exploiter les moments de faiblesse d’autrui. Pour cela, ils ne peuvent rester impunis ! Car il est important de ne pas perdre de vue que ce sont bien les charlatans qui sont coupables au regard de la loi et non les personnes abusées. Il sera donc vain, pour le coupable, de tenter de se retrancher derrière le consentement ou la naïveté de sa victime dès lors qu’il est reconnu responsable.
L’objet du présent article est d’aider les victimes de charlatans à ne pas laisser agir en toute impunité ces prétendus voyants, gourous, mages, guérisseurs, etc. Cet exposé se divisera en quatre parties, sous forme de questions-réponses, destinées à aider les victimes à prendre conscience de l’étendue de leurs droits.
1. Dans quels cas puis-je porter plainte ?
La victime peut porter plainte dès que le charlatan a commis une infraction pénale, ce qui est très souvent le cas ! Pour s’en convaincre, il suffit de consulter la liste d’infractions, de styles et de gravités très variables, reprise ci-dessous. Cela va de l’infraction mineure jusqu’à l’homicide, en passant notamment par le harcèlement, les arnaques financières ou encore le viol, car il ne faut pas perdre de vue que les charlatans ne se contentent pas toujours de l’argent de leurs victimes (voir le cas de décès cité en introduction).
Cette liste n’est pas exhaustive. Il ne faut donc pas désespérer si votre cas n’entre pas dans l’une des qualifications reprises ci-dessous, et ce d’autant que le droit à réparation peut exister indépendamment de la présence d’une infraction. Nous verrons en effet que la victime qui subit un dommage peut être indemnisée par celui qui a causé le dommage, même en l’absence de poursuites pénales.
Il faut en outre préciser que la seule menace écrite ou verbale de commettre une infraction peut déjà être sanctionnée par un emprisonnement de six mois à cinq ans (article 327 du Code pénal). Dans le même ordre d’idées, pour certains délits, la tentative de commettre l’infraction est en soi punissable même si elle n’aboutit pas. Il est donc possible de porter plainte contre un charlatan qui ne parviendrait pas à faire de vous une nouvelle victime.
Les infractions qui suivent sont classées, à quelques exceptions près, par ordre croissant de gravité des peines.
L’hypnotisme : une loi du 30 mai 1892 punit certaines utilisations de l’hypnose en dehors du contexte médical (M.B. 4 juin 1892) ; le coupable risque de quinze jours à un an de prison en cas de mise en spectacle ou d’hypnose sur mineur, et de cinq à dix ans en cas d’obtention d’une signature sous hypnose.
Le harcèlement est sanctionné par une peine pouvant aller jusqu’à deux ans d’emprisonnement, ainsi qu’une amende (articles 442bis et 442ter du Code pénal).
La discrimination au travail et dans la fonction publique, qui existe selon nous en cas d’utilisation de pseudosciences dans les procédures de sélection (astrologie, numérologie, graphologie…), peut entraîner des sanctions pénales (Loi du 25 février 2003 contre la discrimination, M.B. 17 mars 2003). Nous renvoyons à notre article sur l’astrodiscrimination disponible sur le site du Comité Para : http://www.comitepara.be/.
L’exercice illégal de l’art de guérir : le coupable risque de huit jours à cinq ans de prison, une amende et une peine de confiscation (arrêté royal n° 78 du 10 novembre 1967 relatif à l’exercice des professions des soins de santé, M.B. 14 novembre 1967).
L’escroquerie consiste à se faire remettre des biens ou de l’argent, « soit en faisant usage de faux noms ou de fausses qualités, soit en employant des manœuvres frauduleuses pour persuader l’existence de fausses entreprises, d’un pouvoir ou d’un crédit imaginaire, pour faire naître l’espérance ou la crainte d’un succès, d’un accident ou de tout autre événement chimérique, ou pour abuser autrement de la confiance ou de la crédulité » (article 496 du Code pénal, souligné par nous). L’escroc risque d’un mois à cinq ans de prison, ainsi qu’une amende. Par ailleurs, si un contrat ou un engagement a été signé par la victime suite à ces manœuvres, il est entaché de nullité (il s’agit d’un vice de consentement qualifié de dol). La victime peut en conséquence refuser d’exécuter une obligation contractée si elle est en mesure de démontrer qu’elle n’aurait pas marqué son accord en l’absence d’escroquerie. Remarquez que les manœuvres de l’escroc ont pour but de faire consentir la victime à son appauvrissement. C’est notamment ce qui différencie l’escroquerie du vol. La victime de pareilles manœuvres peut donc porter plainte sans être gênée de s’être laissé convaincre abusivement puisque c’est précisément ce qu’avait prévu le législateur en érigeant l’escroquerie en infraction (voir également l’abus de confiance – article 491 du Code pénal).
L’extorsion consiste à obtenir « à l’aide de violences ou de menaces, soit des fonds, valeurs, objets mobiliers, obligations, billets, promesses, quittances, soit la signature ou la remise d’un document quelconque contenant ou opérant obligation, disposition ou décharge » (article 470 du Code pénal). L’auteur est puni comme s’il avait commis un vol avec violences ou menaces et risque donc de cinq à dix ans de réclusion. Dans ce cadre également, si un contrat a été signé par la victime sous la menace ou la contrainte, il est entaché de nullité dans la mesure où le consentement a été extorqué.
Les lésions corporelles : il s’agit de ce que l’on appelle communément les coups et blessures. Ce groupe d’infractions recouvre des situations très variées (par exemple : frapper, étrangler, faire ingurgiter des substances toxiques, mortelles ou non, priver quelqu’un de soins ou de nourriture, blesser avec une arme blanche ou une arme à feu…). La peine est également variable vu la diversité des cas envisagés. Elle peut aller jusqu’à vingt ans de réclusion si des lésions corporelles volontaires ont entraîné une maladie incurable, une incapacité permanente ou une mutilation grave (articles 398 et s. du Code pénal).
Le proxénétisme et l’incitation à la débauche sont également sanctionnés par des peines pouvant aller jusqu’à vingt ans de réclusion (articles 379 et s. du Code pénal). Ce groupe d’infractions recouvre des situations très diverses (de la simple incitation à la débauche jusqu’à la contrainte avec séquestration, en passant par l’abus de la vulnérabilité de la victime) et entraîne des peines variables, tenant compte de l’âge de la victime et du degré de contrainte imposé.
Le viol consiste en « tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu’il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n’y consent pas » (article 375, alinéa 1er, du Code pénal). La peine est la réclusion de cinq à trente ans et varie en fonction notamment de l’âge de la victime. Légalement, il n’y a pas consentement notamment lorsque l’acte a été imposé par violence, contrainte ou ruse, ou a été rendu possible en raison d’une infirmité ou d’une déficience physique ou mentale de la victime, ou si la victime a moins de quatorze ans…
L’attentat à la pudeur pourra être retenu dans les autres cas (attouchements par exemple), avec des peines allant de six mois à quinze ans d’emprisonnement. La loi précise que l’attentat existe « dès qu’il y a commencement d’exécution » (articles 372 et s. du Code pénal).
L’homicide est bien entendu sanctionné par le droit pénal. Comme dans le cas des lésions corporelles, les situations visées sont multiples. La sanction varie notamment selon le caractère plus ou moins volontaire et prémédité, ou encore en fonction du lien entre l’auteur et la victime. La peine peut aller jusqu’à la réclusion à perpétuité en cas d’assassinat (articles 392 et s. du Code pénal). Il est important de signaler que l’homicide et les lésions corporelles sont sanctionnés même s’ils sont involontaires (articles 418 et s. du Code pénal), de sorte que l’auteur ne peut se retrancher derrière la prétendue absence d’intention dommageable ou la soi-disant ignorance des conséquences de ses actes pour échapper à sa responsabilité. La loi vise par exemple l’homicide involontaire ou les coups et blessures volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donner, etc.
2. Puis-je obtenir réparation ? Pour quel(s) préjudice(s) ?
Outre la sanction répressive, l’auteur d’une infraction devra toujours réparer le dommage de la victime, car commettre une infraction constitue également une faute susceptible d’engager la responsabilité civile de l’auteur (articles 1382 et s. du Code civil).
Le droit à réparation existe en outre dès qu’il y a faute (civile), même en l’absence d’infraction pénale. En droit, la faute est l’acte que ne commettrait pas un homme raisonnable et prudent dans les mêmes conditions. La victime peut en conséquence agir en justice même en l’absence d’infraction pénale si elle a subi un dommage causé par un gourou, un mage, un guérisseur ou tout autre charlatan.
La victime a le droit d’obtenir la réparation intégrale de son dommage, qu’il soit d’ordre matériel, financier, physique et/ou simplement moral et ce droit existe en principe, quelle que soit l’étendue du dommage, fût-elle minime.
3. En cas de décès, d’autres personnes ont-elles droit à réparation ?
Le droit d’obtenir réparation existe également pour toute personne autre que la victime directe qui subit également un préjudice. Il en découle notamment que le décès de la victime ne dispense pas le charlatan de son obligation de réparer les dommages qu’il a causés.
Ainsi, les proches pourront-ils être indemnisés pour le dommage moral qu’ils subissent suite au décès de la victime. Le coupable devra également réparer le préjudice matériel causé aux personnes qui dépendaient financièrement de la victime (ses enfants par exemple).
4. Quelle est la marche à suivre ? Qui consulter ? Où se renseigner ?
Pour toute infraction, vous pouvez commencer par déposer une plainte auprès d’un commissariat de police. Vos déclarations seront transcrites sur un procès-verbal qui sera transmis au parquet du Procureur du Roi (n’oubliez pas de demander une copie du procès-verbal). Il faudra également veiller à remplir une déclaration de personne lésée afin d’être tenu informé de décisions importantes de l’enquête (classement sans suite, mise à l’instruction ou fixation d’une date d’audience).
Si vous avez subi un dommage, qu’il y ait infraction pénale ou simple faute civile, il est fortement conseillé de consulter un avocat. Si vos revenus ne vous permettent pas de faire face à des frais d’avocat et d’huissier, vous pouvez bénéficier de l’aide juridique gratuite sous certaines conditions. Pour ce faire, il faut s’adresser au barreau de votre arrondissement judiciaire (informations disponibles sur les sites du SPF Justice : http://www.just.fgov.be ; de l’Ordre des barreaux francophones et germanophones de Belgique : http://www.avocats.be/fr/index.html et de l’Orde van Vlaamse Balies : http://www.advocaat.be/)
En cas de poursuites pénales de l’auteur (éventuellement suite à votre plainte) vous devrez encore vous constituer partie civile pour obtenir réparation de votre préjudice. Le cas échéant, l’auteur se verra condamner à vous indemniser après avoir été déclaré coupable.
Si, malgré votre plainte, l’affaire est classée sans suite par le Parquet, tout espoir n’est pas perdu, car il est encore possible de déposer plainte avec constitution de partie civile directement entre les mains d’un juge d’instruction afin de relancer l’enquête (possible uniquement pour les crimes et délits), ou de citer directement l’auteur devant les tribunaux (possible dans tous les cas).
En l’absence d’infraction, vous devrez de toute façon assigner l’auteur de la faute civile devant le Tribunal pour obtenir réparation. Il est bien entendu toujours possible de d’abord tenter de conclure un arrangement amiable avant d’envisager des poursuites judiciaires.
Sachez également qu’il existe, au sein des parquets, des services d’accueil des victimes chargés de soutenir les victimes durant la procédure judiciaire. Par ailleurs, en cas d’insolvabilité de l’auteur, il est possible sous certaines conditions de s’adresser à la Commission pour l’aide financière aux victimes d’actes intentionnels de violence.
Une série d’informations pratiques sont reprises dans des brochures qui peuvent être consultées ou commandées gratuitement sur le site du SPF Justice :
http://www.just.fgov.be/cgi_justice/publications/catalog.pl?lg=fr.
Il existe par ailleurs un service spécifique d’aide aux victimes de sectes, dont les coordonnées sont disponibles sur le site http://www.sos-sectes.org.
Conclusion
Dès que l’on constate que l’on est victime d’un prétendu voyant, guérisseur, mage, gourou ou autre charlatan, il faut porter plainte et/ou agir en justice sans complexe et sans honte. La victime a en effet le droit d’obtenir la réparation du dommage qu’elle a subi. Et le charlatan ne peut pas se retrancher derrière le prétendu consentement de sa victime, alors qu’il l’a justement capté par des manœuvres frauduleuses.
Informations complémentaires
Année | 2006 |
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Auteurs / Invités | Nicolas De Becker |
Thématiques | Droit / Législation, Préjudice, Recours |
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