Description
Turbocapitalismes
Donc, le capital serait devenu l’horizon indépassable de notre temps. Plus d’après ni d’ailleurs. La seule internationale qui a réussi. Vue satellitaire. La planète comme un unique marché soumis au seul jeu de la concurrence, sans plus aucune forme de régulation. La globalisation comme aboutissement du bonheur humain.
René Passet : « Une compétition internationale insensée impose la recherche à tout prix de surplus de productivité qui, au lieu de se répartir entre les consommateurs, travailleurs et investisseurs, sont essentiellement consacrés à la compression des coûts qui, eux-mêmes, etc. ». Accélération vertigineuse du capitalisme patrimonial et insatiabilité du marché en perpétuelle transformation. Nouvel esprit qui renonce à l’organisation hiérarchique, « fordiste » du travail, « pour une nouvelle organisation en réseau, fondée sur l’initiative des acteurs et l’autonomie relative de leur travail, mais au prix de leur sécurité matérielle et psychologique » écrit Luc Boltanski. Croissance du profit. Croissance de l’exclusion. Entre pays pauvres et riches entre Nord et Sud. On a mis du Nord dans le Sud. Tigres asiatiques. Mais aussi du Sud dans le Nord. Creusement des inégalités aux États-Unis dès les années 1960. Naufrage social en Grande-Bretagne. Écarts sans cesse croissants entre les revenus du capital et ceux du travail. Dans les pays de l’OCDE, la différence entre les dix pour cent des salariés les mieux payés et les dix pour cent les moins bien payés est passée de 7,5 contre 1 en 1969 à 11 contre 1 en 1992. Plus grave encore. La frontière entre la sphère de l’intérêt et celle du désintéressement s’efface.
De moins en moins de biens, et d’êtres vivants échappent à la marchandisation. Transformation en produits proposés sur le marché concurrentiel des corps, des œuvres, des lieux et des sentiments. Plus aucune valeur en soi. La critique même du système est absorbée pour lui permettre une information sur les dangers qui le menace. Besoin aussi de l’État pour lui garantir le droit de propriété. Et besoin de créateurs, de travailleurs et de consommateurs. Paradoxe. « Le processus d’accumulation doit, pour se poursuivre, être profondément encastré dans un tissu social qu’il ne cesse de déchirer quand la logique à laquelle il obéit s’exerce hors de tout contrôle extérieur» écrit encore Luc Boltanski. Au risque du désengagement des acteurs anciens. Avec la chance d’entrée constante de nouveaux producteurs et de nouveaux consommateurs potentiels. Il y a toujours des aventures à tenter quand on provient de la pénurie. Déjà, de nouveaux horizons consuméristes apparaissent dans de vastes régions du Sud. Y aura-t-il un point de fracture à cette accumulation constante ? Quelle prévisibilité pour une rupture dans le processus de concentration des biens ? Révolte des peuples, économies alternatives, lente agonie de la planète ? Ou bien récupération générale, fin de toute valeur autre que marchande, fin de toute réalité autre que virtuelle ? Ère du nihilisme absolu ?
Décrochage de la production. Sacre du capitalisme patrimonial. Fini le temps des managers des grandes entreprises, tous affairés à standardiser le travail pour accroître la productivité, loin de tout contrôle des actionnaires. Étape nouvelle. Le capital humain. Inventivité, flexibilité et polyvalence. Le travailleur se doit d’être souple, disponible et impliqué. Retour de l’acteur actionnaire. La rentabilité financière avant tout. Mort du fordisme et des économies d’échelle. Intrusion brutale du capitalisme patrimonial dans l’organisation des entreprises. Investissements et spéculations sur le cybermonde. La seule promesse d’un profit futur suffit. Vive la démocratie actionnariale. Profits d’aujourd’hui, investissements demain, emploi après-demain. Les profits ? Spéculations, bulles boursières et escroqueries accompagnent l’histoire du capitalisme financier. Banqueroute de la compagnie des Indes au XVIIIe siècle. De certaines compagnies de chemins de fer au XIXe. 1920 : les banques de Wall Street. 1990 : des groupes immobiliers japonais. Aujourd’hui : Enron, Tyco, Worldcom, Xerox, Vivendi. Les scandales financiers se succèdent. L’exubérance irrationnelle des marchés a masqué le recul de la rentabilité réelle. L’ampleur des fusions et des acquisitions, le développement fou de la cession des plus-values s’éloignaient de plus en plus de la valeur effective des entreprises. Truquage des comptes et ruine de millions de petits actionnaires. Survaleurs qui s’effondrent et menaces lourdes sur l’emploi.
Les investissements ? Nonante pour cent des investissements américains à l’étranger ont servi à la concentration du capital. Et la concentration des masses financières peut être considérable. L’ensemble des fonds de pension de l’OCDE représente quatorze fois le PIB de la France. Géants économiques contre nains politiques. Le capitalisme financier doit pouvoir investir là où il l’entend. Accord multilatéral sur l’investissement. Mais là où le rendement est le plus favorable. En l’an 2000, quatre-vingts pour cent des investissements directs à l’étranger s’orientaient vers les pays développés. Et les emplois ? Attac : « Le rétablissement du taux de profit n’a pas dynamisé l’investissement. (…) Non seulement l’investissement n’a pas progressé, mais sa nature s’est transformée, en défaveur de l’emploi ». Suivez les courbes du chômage et du profit non investi en Europe depuis 1960. Elles sont quasi parallèles. L’enchaînement du triptyque des années 1970, qui fondait une bonne part de la réflexion sociale-démocrate ne s’est pas réalisé. C’est le contraire qui s’est produit. La sphère financière internationale a grossi démesurément en regard des échanges commerciaux. « L’intelligence et les ressources sont consacrées à l’argent et non à secourir les hommes ». Le temps du turbocapitalisme.
Des économies entières sont soumises aux normes des institutions financières internationales. Les dogmes de la libéralisation des biens et des services, de l’équilibre budgétaire et de la maîtrise de l’inflation, ravagent des États entiers. FMI, le pompier pyromane. Programmes d’ajustement structurel qui aggravent la situation. Désastres de la Russie, de l’Argentine, de l’Indonésie. La succession des échecs dénoncée par Joseph Stiglitz. Austérité, privatisations et fanatisme du marché déstructurent les économies du Sud. Croyance « que les marchés agissent aussitôt pour répondre à tous les besoins. Tout simplement. En réalité, beaucoup d’activités d’État existent parce que les marchés n’assurent pas des services essentiels » écrit Stiglitz. Crise financière au Brésil, implosion bancaire en Uruguay, chômage et pauvreté en Corée, en Thaïlande. « Seule la Malaisie semble résister aux exigences de gendarme du monde » écrit Le Monde. La Turquie sous perfusion financière. L’Éthiopie qui se débat contre le rigorisme, absurde pour un pays aussi pauvre, du FMI.
Institutions de Bretton Woods qui appliquent des remèdes médicinaux drastiques qui tuent le malade. Sans voir que derrière l’orthodoxie économique qu’elles imposent, il y a les cohortes d’hommes et de femmes encore plus livrées à la précarité et à la misère. Urgence de réformes. « À long terme, nous serons tous morts » disait Keynes. Démocratiser les IFI. Subordonner les règles du commerce aux normes sociales et environnementales. Annuler la dette des pays les plus pauvres. Augmenter considérablement l’aide au développement. Les remèdes sont archiconnus et répétés inlassablement. Question de volonté politique et de choix dans les rapports de force. Tout simplement du devenir de l’humanité. « Là où croît le péril croît aussi ce qui le sauve ». La parole d’Hölderlin sera-t-elle, pour une fois, vérifiée ?
Transformer radicalement les finalités de l’homme. Ancrer l’économique dans le vivant. Interroger le fondement même du processus de production. Ne pas oublier que le premier problème en est la répartition. « Le produit mondial a été multiplié par six en trente ans, par neuf en un demi-siècle ; les besoins alimentaires de base sont théoriquement couverts en moyenne à plus de cent dix pour cent. […] Si la faim et la pauvreté restent les maux de notre époque, ce n’est pas par manque de capitaux, mais parce que ceux-ci sont attirés par la richesse en même temps qu’ils se détournent de la pauvreté » écrit René Passet. Non pas pénurie, mais surabondance. Et dramatique crise de la justice distributive. En ce sens, les idéaux du socialisme sont à l’aube de leurs potentialités. Mais conscience aussi que notre modèle de développement est inextensible à l’ensemble de la planète. En termes de consommation de matériaux et d’énergie.
Instaurer une taxe sur les mouvements internationaux de capitaux
L’objet de la proposition est d’instaurer une taxe, en coordination avec des décisions similaires susceptibles d’être prises par d’autres États membres de l’Union européenne, sur les mouvements internationaux de capitaux qui contribuent à déstabiliser le système monétaire et financier international.
En effet, entre 1500 et 1800 milliards de dollars sont échangés chaque jour sur le marché des changes. Ces transactions sont pour la plupart purement spéculatives et sont sans lien direct avec l’échange réel de marchandises, de services et/ou d’investissements. Ces mouvements de capitaux volatils ont notamment pour effet de déstabiliser certaines économies entières de pays en voie de développement en provoquant de graves crises financières comme par exemple dans le Sud-Est asiatique, en Amérique latine et en Russie.
Le principe de cette taxe est celui d’une taxe de très bas niveau qui n’affecte pas les échanges de marchandises, de services et d’investissements, mais qui peut jouer un rôle de frein sur les mouvements de capitaux spéculatifs. Elle pourrait dès lors contribuer, à côté d’autres mécanismes permettant de lutter contre la spéculation financière, dont le principal au niveau européen est incontestablement la mise en œuvre de la « zone euro », à une stabilisation des flux financiers et à une plus grande autonomie des États pour mener leur politique monétaire avec toutes les conséquences positives pour le développement durable des économies émergentes et des économies en retard de développement.
L’orientation d’une part importante de ce volume de capitaux, motivée par la recherche du profit immédiat, ne tient évidemment pas compte de l’état de la production et du commerce des biens et des services des pays concernés par ces transactions avec pour conséquence l’accroissement des seuls revenus du capital au détriment de ceux du travail et du développement économique global, ce qui engendre tous les mécanismes favorisant la généralisation de l’exclusion sociale et de la pauvreté.
La proposition vise dès lors à insérer une taxe sur les flux financiers dans le code des taxes assimilées au timbre dont les dispositions législatives sont coordonnées par l’arrêté royal du 2 mars 1927. Elle vise clairement à déterminer le champ d’application de l’instauration de cette taxe à toutes les opérations à terme ou au comptant, conclues, exécutées ou transitant par la Belgique, et ce, quelle que soit la qualité des parties à la transaction et à partir d’un minima de dix mille euros. En effet, l’objectif est de percevoir une taxe sur les échanges de capitaux significatifs et non pas sur les petites transactions des citoyens qui sont rarement opérées à des fins spéculatives.
Afin de garantir une souplesse et une adaptation rapides en fonction de l’évolution de la conjoncture internationale, la présente proposition fixe une fourchette dans laquelle le gouvernement peut fixer par arrêté royal délibéré en Conseil des ministres le montant exact de la taxe.
Selon les chiffres communiqués le 9 octobre 2001 par la Banque Nationale de Belgique, le chiffre d’affaires net sur les segments traditionnels du marché des changes et des produits dérivés s’élèvera en 2001 à plus ou moins six mille milliards d’euros. En appliquant un taux de 0,01 pour cent, le produit de la taxe rapporterait plus de six cents millions d’euros (soit plus de vingt milliards de FB).
Il est proposé que les revenus de cette taxe soient entièrement affectés à la Coopération au Développement dans la mesure où il y a évidemment un lien entre le caractère spéculatif de ces transactions et la déstructuration de certaines économies des pays en voie de développement. Compte tenu des besoins urgents de ces pays pour améliorer le bien-être de leur population et de lutter contre la pauvreté et l’exclusion sociale, il nous paraît particulièrement opportun d’affecter le revenu de cette taxe à l’aide au développement. Le programme des Nations-Unies pour le développement estime à quarante milliards de dollars par an une action d’élimination des formes les plus extrêmes de pauvreté et l’accès aux structures sanitaires et éducatives de base dans les pays du Tiers-Monde. Cette source de revenus, qui préfigure une forme de premier impôt mondial, doit dès lors évidemment compenser les effets destructeurs de la spéculation financière.
Une Commission d’enquête sur les sociétés de clearing
Créées pour remplacer l’échange physique d’actions ou d’obligations expédiées par voie postale, des centrales internationales de règlement-livraison (settlement) ont été crées, lieux uniques de compensation internationale où les titres sont stockés et les échanges effectués sous forme de jeux d’écritures informatiques, afin de conserver les titres et d’assurer les transferts en espèces contre ces valeurs mobilières.
En plus du réseau Swift, par lequel transite toutes les transactions en devises au niveau international, il existe en Europe deux chambres de compensation par lesquelles transitent toutes les transactions mobilières internationales : Euroclear, dont le siège se trouve à Bruxelles, et Clearstream, dont le siège se trouve à Luxembourg.
Les sommes transitant par ces deux chambres sont très élevées : selon les derniers chiffres, Euroclear enregistre quatre-vingt-deux mille milliards d’euros de transferts d’actifs, pour trente mille milliards chez Clearstream. À ce titre, elles sont donc un rouage essentiel dans le monde économique et financier.
Cependant, si l’explosion des échanges financiers a pu laisser croire au chaos en matière de « traçabilité » des flux, en réalité, aucune trace de la circulation des capitaux, qu’ils soient licites ou non, ne s’égare. Toutes les opérations sont enregistrées sur microfiches ou disques optiques et sont conservées au sein des chambres de compensation (Clearstream et Euroclear) et dans les archives de Swift.
Ainsi, les mouvements de fonds à partir des paradis bancaires et fiscaux peuvent être facilement reconstitués, ce qui offre les outils nécessaires à la lutte contre la criminalité financière et contre la prolifération des paradis fiscaux. A contrario, abandonnés sans contrôle réel par une autorité publique de surveillance, ou contrôlés par les seules banques, comme c’est actuellement le cas, ces organismes supranationaux peuvent « être les pourvoyeurs de fraude financière, de la corruption et de blanchiment », comme l’ont affirmé cinq magistrats (Bernard Bertossa, procureur général de Genève ; Benoît Dejemeppe, procureur du roi à Bruxelles ; Éva Joly, juge d’instruction à Paris ; Jean de Maillard, magistrat à Blois ; Renaud Van Ruymbeke, juge d’instruction à Paris) dans le quotidien Le Monde du 10 mai 2001.
Or, les données publiées dans les ouvrages Révélations et La boîte noire du journaliste Denis Robert, confirmées par la mission parlementaire française sur les obstacles au contrôle et à la répression de la délinquance financière et du blanchiment des capitaux en Europe (2002 – n° 2311), témoignent de l’existence en Clearstream de comptes non-publiés – soit des sous-comptes de comptes officiels pour faciliter les transferts entre filiales d’une banque et de sa maison-mère, soit des comptes non-publiés ne se rapportant à aucun compte officiel. Certains de ses comptes étant ouverts dans des paradis fiscaux ou directement par des entreprises sans passer par une institution financière.
Il est incontestable que la fraude fiscale porte atteinte au principe fondamental de l’égalité des citoyens devant la législation fiscale et induit des distorsions de concurrence au détriment des individus et des entreprises qui la respectent. La criminalité organisée crée des profits considérables qui sont blanchis par le biais d’entreprises légales ou mis en sécurité dans des comptes secrets. Le blanchiment des capitaux, qui consiste donc à retraiter des produits d’origine criminelle (drogue, prostitution, ventes d’armes, etc.) pour en masquer l’origine illégale, a en outre des répercussions importantes sur le comportement des marchés financiers, en induisant des mouvements de capitaux irrationnels, non anticipés, qui provoquent une plus grande volatilité des taux de change et des taux d’intérêts.
Compte tenu que des comptes non publiés de plusieurs banques belges ont été retrouvés dans les archives de Clearstream (datant d’avril 2000) et que Euroclear et Swift se trouvent sur le sol belge et Clearstream sur le sol du Benelux, la Belgique ne peut échapper à ces enjeux politiques.
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Informations complémentaires
Année | 2006 |
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Auteurs / Invités | Jean Cornil |
Thématiques | Capitalisme, Droit/Monde juridique, Économie mondiale, Politiques publiques, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses |
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