Conscience athée

Noël Rixhon

 

UGS : 2010010 Catégorie : Étiquette :

Description

Mon intention est ici de faire le point, de clarifier autant que possible mes idées, de récapituler et de reformuler ma pensée athée : quels sont les arguments qui la fondent, comment ma conscience m’indique et me conduit à affirmer sans aucun doute l’inexistence de « Dieu » ou de tout être dit « surnaturel », comment j’ai éliminé cette question dans les limites de mes connaissances et de mon entendement.

1. Le « surnaturel » déroge à l’ensemble des lois et des forces physiques à l’œuvre dans l’univers et la nature ; il défie la raison humaine. Pour un croyant, «Dieu», c’est qui, c’est quoi en réalité ? S’il est un pur esprit, qu’est-ce à dire ? Qu’est-ce qu’un pur esprit ? De quoi est-il fait ?

En fait d’« esprit », nous n’avons connaissance que du nôtre, qui est constitué d’intellect, d’imagination, de volition, de mémoire, de sensibilité et de la coordination entre ces facultés, en un mot, de notre conscience. Avec le temps et grâce à une connaissance de plus en plus affinée de l’activité cérébrale, les sciences cognitives arriveront à comprendre de mieux en mieux la biologie de l’esprit, c’est-à-dire toute l’activité neuronale, hormonale et autre qui entre en jeu dans la constitution et dans les modes d’expression de notre esprit ou de notre conscience, et sans laquelle il n’y aurait pas d’esprit ! À noter qu’à des degrés divers de développement, ces facultés « spirituelles » existent dans les plantes et chez les animaux, et c’est au cours de l’évolution qu’elles ont atteint le stade avancé qui est le nôtre aujourd’hui (qui certes constitue un incomparable bienfait, mais nous joue aussi de très vilains tours). En outre, il faut remarquer que lorsque le cerveau meurt, il n’y a plus d’esprit du tout ; celui-ci ne peut survivre indépendamment de notre corps ; il disparaît complètement. Ce qui signifie que l’esprit ne peut être réalité en soi ni par soi. Il n’est que réalité psychophysiologique, propre aux organismes vivants. Il faut remarquer que, dès le moment où l’esprit est conçu comme un être en soi, immatériel, tout à fait distinct du corps, il n’est pas étonnant qu’il soit finalement pensé comme étant la substance même d’un être surnaturel, éternel, divin… Mais alors il est logique et pertinent de se demander comment un être de cette sorte, « pur esprit », pourrait avoir une existence agissante et même créatrice d’un univers fait de matière, de temps et d’espace. La notion même de « pur esprit », comme celle de « Dieu », n’est donc que pure élucubration irrationnelle de l’esprit humain, lequel au demeurant a la capacité de s’octroyer le plaisir, tout à fait légitime, mais risqué, de s’aventurer hors des frontières de la raison dans de l’inconcevable et de l’impossible qu’il s’invente de toute pièce.

2. À l’origine des croyances religieuses, il y a d’abord la peur, qui est « la plus ancienne et la plus forte émotion de l’humanité » (Y. Coppens, paléontologue), la peur du manque, du vide, du néant, de l’inconnu, d’un monde sans pourquoi, sans destin ; il y a le sentiment d’impuissance face aux catastrophes et, par ailleurs, face à la nécessité de s’organiser en groupe, puis en société, et d’établir des règles de conduite à faire appliquer par tous ; il y a le refus de la mort et la soif d’absolu, c’est-à-dire le désir d’être plus qu’un être fini, le désir inassouvissable de ne devenir qu’esprit.

Parce qu’il n’admet pas que l’unique réalité soit celle de l’univers ou des univers (« multivers »), de la nature ; parce qu’il n’accepte pas que rien ne puisse exister en dehors et au-dessus de lui de plus grand, de plus fort que lui, qu’il pourrait atteindre (besoin de transcendance) ; parce qu’il ne supporte pas de n’être que lui, inconsolable de sa finitude, de son imperfection, tiraillé par son profond désir d’immortalité, voire de résurrection, l’humain a donné un contenu au néant, y mettant ses aspirations les plus nobles, mais aussi les plus folles. Il s’est inventé un autre monde plus rassurant, immatériel, infini, indestructible. Il s’est conçu des êtres surnaturels qui ne sont que des êtres de substitution de soi ; et il est allé jusqu’à « surnaturaliser » (déifier, canoniser) des hommes et des femmes ayant exceptionnellement mérité au cours de leur existence.

D’êtres divins multiples, hiérarchisés et même concurrents, il finit par en arriver à la conception d’un être divin unique, mais présentant plusieurs visages au cours des temps. Ainsi en fit-il d’abord un Dieu tout-puissant, omniscient, parfait, mais jaloux, exigeant allégeance de ses créatures, se choisissant un peuple pour les besoins de sa cause, enjoignant même à celui-ci de combattre et d’exterminer les populations ne voulant pas de lui ou s’en détournant (les appels à la violence ne manquent pas dans la Bible ni dans le Coran). Ensuite, il en fit un Dieu comme pris de remords, miséricordieux, sensible à la misère, aux souffrances et aux déviances humaines, venant au secours de l’humanité, renonçant même à sa toute-puissance, épousant la condition humaine afin de la sauver et de la tirer vers lui, appelant, cette fois, à la réconciliation, l’amour, la justice et la paix… Quel serait le faux ? Quel serait le vrai ? Les deux seraient-ils vrais n’étant qu’un seul et même être ayant, en seconde phase, pris un nouveau « visage » nettement plus sympathique et intéressant ? Il y a de quoi se brouiller l’entendement ! Une saine logique porterait plutôt à conclure qu’il ne s’agit là que de deux conceptions qui se sont succédé au cours de l’histoire en fonction d’une évolution dans les mentalités religieuses.

Contrairement à l’assertion biblique bien connue, ce n’est donc pas Dieu qui a créé l’homme à son image, c’est bien l’homme qui a créé Dieu à son image, qui l’a fait correspondre à ses besoins et désirs. Ces derniers sont à ce point puissants, profonds et impossibles à satisfaire que l’humain s’est dès lors imaginé un monde impossible, hors norme, en dehors de son monde, un monde surnaturel en lequel il s’est mis à croire irrésistiblement comme d’une nécessité, puis de là comme d’une réalité, et enfin comme d’une vérité. Ainsi l’émotion a-t-elle pris le pas sur la raison !

3. Tel est le processus par lequel, au sein des consciences, la croyance religieuse a pu très bien prendre naissance et prendre forme : se donner un contenu, s’incruster, se répandre, s’organiser, voire même s’imposer. Le nom de « Dieu » (singulier ou pluriel), la réalité que l’on nomme « Dieu », ce n’est, par conséquent, que le fait psychosociologique des croyances religieuses dont la diversité, divergente et absconse, constitue un argument supplémentaire démontrant leur seule origine humaine.

Par rapport au fait religieux, serait-il alors inconvenant de faire la distinction suivante : entre, d’un côté, les consciences religieuses qui sont prises, volontairement ou non, dans ce processus, d’un autre côté, les consciences athées qui ont compris celui-ci, ont démantelé son mécanisme, et enfin les consciences agnostiques qui ne se positionnent pas ou, hésitantes, se situent entre les deux, penchant plutôt ou dans un sens ou dans l’autre ? À ce propos, à tort ou à raison, je serais porté à penser que ces trois types spécifiques de conscience demeureront à jamais et se confronteront, mais de plus en plus positivement, dans un souci de vérité à construire plutôt qu’à découvrir. Serait-ce trop d’optimisme ? Serait-ce illusoire ? Serait-ce tout simplement réaliste ? Il me semble que les bonnes volontés vont dans ce sens. En outre, vu l’évolution de l’humanité (mondialisation des communications, de l’économie, de la politique…), les antagonismes ne se situeront-ils pas, non plus au niveau religieux proprement dit, mais par rapport à l’application de la Déclaration des Droits de l’Homme, entre les humains qui y adhéreront effectivement et les humains qui la refuseront et la nieront dans les faits et les comportements ?

En somme, les droits et devoirs de l’homme ne se résument-ils pas en ceci : respect (positif et constructif, ce qui est bien plus que simple tolérance) d’autrui quel qu’il soit, quoi qu’il pense, quoi qu’il croit et respect (tout aussi positif et constructif) de soi, les deux étant nécessairement liés, conditionnés l’un par l’autre ? Respecter quelqu’un, c’est favoriser et sauvegarder sa liberté et son autonomie, c’est-à-dire sa capacité de mettre en œuvre le meilleur de lui-même ; me respecter moi-même, c’est envers et contre tout vivre libre et autonome, tâchant de donner le meilleur de moi-même. Si je ne me respecte pas, je ne suis pas capable de respecter autrui ; si je ne respecte pas autrui, je ne me respecte pas moi-même. N’est-ce pas là la condition indispensable à la construction du nous en lequel se trouve en réalité notre véritable transcendance, car, selon la formule consacrée, « le tout est plus que la somme de ses parties », autrement dit par Régis Debray : « Ce qui relie est toujours supérieur à ce qui est relié ; c’est cela qui crée la sacralité », ce que Marcel Bolle De Bal nomme «reliance»? Celle-ci est seule capable de nous élever véritablement, parce que c’est nous qui la réalisons ; c’est nous qui créons notre nous. De la sorte, nous créons effectivement notre transcendance proprement et exclusivement humaine ! Reliance de soi au nous vécu au quotidien ; par le nous, reliance à la société, à l’humanité, à la nature, à l’univers. Reliance du particulier à l’universel et de l’universel au particulier, de l’infiniment petit à l’infiniment grand, et vice versa ! Tout se tient. Tout forme un tout, au sein duquel cependant interagissent, s’entrechoquent, s’entremêlent vie et mort, ordre et désordre, construction et destruction, libération et asservissement, amour et haine, bonheur et malheur… ; un tout en mouvement intrinsèque perpétuel où le « positif » (vie, ordre, construction, etc.) prend finalement, diversement et globalement le dessus sur le « négatif » (mort, désordre, destruction, etc.), sinon il se serait annihilé déjà depuis bien longtemps, le monde n’existerait plus ! Il appert qu’au cours de l’évolution, la vie a toujours triomphé des obstacles les plus insurmontables et des catastrophes les plus ravageuses.

4. Ainsi donc définirais-je l’athée comme étant une personne dont l’unique souci existentiel, premier et final, est de coopérer à la réalisation d’une humanité plus humaine, prenant la raison comme la référence majeure de la vie humaine et, dès lors, sans se référer à quelque croyance religieuse que ce soit.

 L’accent est expressément mis sur l’aspect exclusivement humain et rationnel qui caractérise nécessairement et spécifiquement l’athée, puisqu’il construit son existence en dehors de toute religion. Ce qui ne l’empêche pas toutefois de vagabonder pour son plaisir ou son soulagement dans de l’irrationnel, ne fût-ce que pour exprimer au mieux ses diverses émotions face aux merveilles de la nature et de sa propre vie comme face à sa souffrance et celle d’autrui… !

Certes le terme « athée », avec son a privatif, présente une connotation négative. Et pourtant ici, le préfixe a peut prendre un caractère net, catégorique et paradoxalement positif : il laisse place à toute une pensée ou à toute vision des choses à construire soi-même en dehors de toute transcendance surnaturelle. L’on est d’ailleurs amené, faut-il le dire, à consacrer beaucoup (trop) de temps et de pages à justifier la négation de Dieu, le fait religieux étant incontournable. En outre, comment rester insensible à l’incohérence, à l’aveuglement, à la mauvaise foi, à l’arrogance… dont a encore fait preuve Benoît XVI dans une encyclique lorsqu’il a l’outrecuidance d’accuser l’athéisme d’être responsable des plus graves violations de la justice et d’affirmer que cette prétention de se passer de Dieu a engendré les plus grandes cruautés. La foi en Dieu ne les a-t-elle pas engendrées ces violations : croisades, inquisition, guerres de religion, soutiens à des régimes totalitaires meurtriers, injustices, tueries et autres exactions commises au nom de Dieu ? L’histoire démontre à suffisance que, notamment, les monothéismes portent en eux les germes de l’obscurantisme, du fanatisme et de l’intolérance.

Par contre, la pensée ou la sagesse humaine s’est enrichie depuis bien longtemps déjà et s’enrichit encore toujours de mieux en mieux grâce à un intense travail de recherche et de réflexion typiquement athée qui jette un regard adulte sur notre monde, consistant à ne l’investiguer, à ne l’expliquer et à ne le comprendre qu’à partir de lui-même et de ce qui est vérifiable et tâchant, par ailleurs, d’établir une éthique à portée universelle, des règles de conduite émanant de la seule raison humaine et mises au point dans la concertation. De par son essence humaine et rationnelle, cet intense travail ne peut avoir que cet effet salutaire de contribuer, entre autres, à rapprocher harmonieusement les femmes et les hommes raisonnables ou revenus à la raison, de bonne foi et de bonne volonté, de tous bords, de tous poils et de tous lieux… Utopie… réaliste !

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Informations complémentaires

Année

2010

Auteurs / Invités

Noël Rixhon

Thématiques

Athéisme, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses