Cannabis, réglementons ! Les propositions du Centre d’Action laïque
Description
L’idée d’écrire une proposition de loi plus complète sur l’ensemble des substances aujourd’hui illégales a émergé à la suite d’une rencontre que nous avions organisée à la Maison des Parlementaires en décembre 2010 avec des représentants des différents partis démocratiques francophones et leurs collaborateurs. Deux de ces remarques : comment faire en sorte qu’il n’y ait plus de marché noir ? Comment s’assurer de la traçabilité des substances ?
Parallèlement à cette proposition, nous nous sommes penchés sur la prévention. Parce qu’il n’est pas imaginable, pour nous en tout cas, de réglementer, de dépénaliser –, car pour réglementer et permettre la consommation, il faut aussi dépénaliser la consommation –, sans, par ailleurs, mettre en place des politiques de prévention. Ces politiques nous les concevons en accord avec trois valeurs essentielles : l’autonomisation, l’émancipation et la responsabilité.
Évidemment, quand on pense « drogue », on pense immédiatement aux dangers pour les jeunes, alors que beaucoup d’adultes usent notamment de cannabis. C’est en raison de cette orientation du débat qu’a émergé la nécessité de pistes de prévention pour les jeunes. Il existe des associations qui sensibilisent le public depuis de nombreuses années comme Prospective jeunesse à Bruxelles. La FAPEO (Fédération des associations de parents de l’enseignement officiel) avait d’ailleurs édité un dossier pédagogique très fourni sur les mêmes idées de prévention dans les écoles.
Le principe de cette proposition n’est pas de créer une nouvelle loi, mais de modifier la loi de 1921. Cette loi est souvent critiquée parce qu’elle est très touffue, très compliquée. Nous nous sommes basés sur cette loi, parce que nombre de ses articles ouvrent des possibilités de dérogations. Certaines existent déjà. L’échange de matériel permettant l’injection de drogues est permis, alors que faciliter la consommation de drogue est interdite. Ce que nous avons souhaité, c’est ajouter des articles de manière à pouvoir permettre une consommation et une production dans le cadre légal.
L’idée était également de séparer les produits. Il n’est pas concevable de vendre au tout-venant de l’héroïne ou de la cocaïne. Dans le même temps, faire en sorte qu’il faille voir un médecin avant de consommer du cannabis n’a strictement aucun sens, puisque l’on sait que cinq à sept pour cent de la population belge en consomme régulièrement. Les produits ont été répartis en trois groupes distincts.
Dans le premier, on retrouve l’alcool, le tabac et le cannabis. Le cannabis est aujourd’hui un produit culturellement largement connu. Trente à soixante pour cent de la population a consommé du cannabis au moins une fois au cours de la vie.
Dans le deuxième groupe de substances, on retrouve des produits utilisés pour la fête. On rencontre ces produits lors des actions de réduction de risques dans les festivals, notamment. Ce sont des produits qui ne créent a priori pas d’accoutumance ou de dépendance, mais qui, dans l’état actuel des choses, dans la vente au marché noir, sont extrêmement dangereux. Les surdoses actuelles se produisent surtout avec l’ecstasy. Ces produits purement chimiques, disponibles sur le terrain, sans aucun contrôle quant à leur fabrication et à leurs composants, engendrent des problèmes de santé individuelle et publique. Ce deuxième groupe rassemble donc les hallucinogènes et les stimulants.
Le troisième groupe qui est, actuellement, sur le devant de la scène est composé de l’héroïne, des opiacées et de la cocaïne. Il est question, aujourd’hui, d’ouvrir des salles de consommation. L’idée de créer un dispensaire était déjà dans notre proposition. Ce dispensaire permettrait la consommation sur place, mais aussi la délivrance, mais cette fois, avec des règles particulières. L’intention est d’accompagner le consommateur dans sa consommation, y compris s’il souhaite cesser cette consommation.
La proposition de modification de la loi de 1921 prévoit une nouvelle institution : une commission fédérale de contrôle qui veillerait à l’évolution de la situation. Dire que l’on va dépénaliser, c’est bien, mais il serait intéressant – et ça manque cruellement en Belgique – d’avoir des données sur la consommation, mais aussi sur les effets de la consommation sur la société en général.
On sait qu’actuellement la prohibition a des répercussions sociétales notamment sur la santé et sur la justice. Les tribunaux sont encombrés par des affaires de consommation ou de revente.
Ce nouveau système permettrait de mesurer l’effet sur le fonctionnement de la justice dans son ensemble. Actuellement, trente pour cent des détenus y sont pour des faits liés à la consommation ou à la vente. Il sera donc nécessaire d’analyser, d’année en année, les effets sur la société, quitte à ajuster la nouvelle législation ou à revenir en arrière si les effets devaient être très négatifs. Mais les résultats sont encourageants dans les pays qui ont modifié leur réglementation en la matière. Ce contrôle est en outre imposé par les conventions internationales.
Le premier groupe envisagé reprendrait donc l’alcool, le tabac et le cannabis. Pourquoi réunir ces trois produits ? Il faut savoir que des règles particulières s’appliquent déjà à l’alcool et au tabac, notamment l’interdiction de publicité pour le tabac. Sur ce point, il nous est apparu nécessaire d’interdire la publicité pour le cannabis. Notre proposition prévoit également l’interdiction de vente, comme pour l’alcool et le tabac, aux mineurs de moins de seize ans.
Nous avons beaucoup débattu sur l’âge à partir duquel la consommation serait permise. Sans doute, l’idéal serait de permettre la consommation à la majorité, dix-huit ans ; mais dans les faits, il faut se rendre compte que la consommation concerne très fortement la tranche d’âge entre seize et dix-huit ans. Or, la proposition a également pour but d’endiguer le marché noir. Si on laisse une part des consommateurs sans produit, on provoquera la poursuite de ce marché noir. C’est pourquoi nous avons choisi une limite de seize ans.
La proposition prévoit également la décriminalisation –, la dépénalisation, – de manière à ce que le consommateur soit à l’abri des poursuites judiciaires.
Hormis le fait de dépénaliser la consommation, la proposition vise à créer des filières de production pour le cannabis afin que le consommateur puisse cultiver ses propres plans et que des producteurs soient agréés. Aux Pays-Bas, la vente est autorisée, mais, par contre, la production ne l’est pas, ce qui crée une nébuleuse à ce niveau.
L’idée, c’est d’avoir des producteurs autorisés et agréés pour le faire ; ces producteurs seront belges. S’il s’agit d’un producteur personne physique, il faudra qu’il ait au moins dix-huit ans. En ce qui concerne les produits, l’intention est d’organiser la traçabilité : faire en sorte que le produit soit mis en conditionnement sur le lieu de production et qu’il soit vendu sous ce conditionnement dans les magasins.
L’un des points importants de la proposition, c’est qu’au lieu d’autoriser uniquement des magasins spécifiques, on permettrait l’ouverture de comptoirs spécifiques, y compris, par exemple, dans les supermarchés. Le produit devrait être vraiment mis à part. La vente du produit en comptoirs spécifiques permettrait, entre autres, de vérifier l’âge du consommateur et d’éviter une vente libre dans les supermarchés.
À l’entrée de presque tous les supermarchés, le premier rayon est celui de l’alcool. Cette modification de la loi prévoirait également de vendre l’alcool en comptoirs spécifiques afin d’éviter l’attractivité du produit.
Ce qui est important également, et cela existe sur les paquets de cigarettes, c’est de prévenir des risques de la consommation. La composition exacte devrait figurer sur le contenant – ce que l’on ne retrouve pas sur les paquets de cigarettes –, mais aussi le taux de THC et de CBD.
Sur le marché noir actuel, et cela s’est vu il y a quelques années lorsque les taux de THC ont brusquement augmenté, c’est que l’on ignore ce que l’on consomme, y compris pour le cannabis. Il y a quelques temps, en province de Luxembourg, des jeunes ont été intoxiqués lors d’une soirée. Ils pensaient consommer du cannabis, alors qu’ils consommaient du « cannabis chinois », un produit de synthèse et, donc, une toute autre substance.
La vente dans des comptoirs permettrait de savoir ce que l’on consomme. Si on achète de l’alcool, comme une bière blonde légère, on sait qu’elle contient environ cinq pour cent d’alcool au volume et si on boit du whisky, on sait qu’il est plus hautement dosé. Par conséquent, on ne le boira pas de la même manière. Or, quand on achète du cannabis au marché noir, il est évident que l’on ignore le taux de THC et des autres substances actives du produit.
Le principe de la réduction des risques, c’est de s’adresser aux consommateurs, et aux consommateurs uniquement, pour faire connaître les risques qu’il y a à consommer ces produits. On peut diminuer la dangerosité selon la manière dont est consommé le produit, selon les mélanges, etc. Ces conseils figureraient sur les paquets.
Dans les comptoirs spécifiques, on ne retrouverait pas uniquement les produits que l’on trouve actuellement dans la rue, mais également des dérivés tels que l’huile de cannabis, le beurre, etc. qui permettrait d’ingérer le cannabis autrement que par le mélange cannabis-tabac.
Le deuxième et le troisième groupes de produits concernent les substances stimulantes, les hallucinogènes, les opiacées et la cocaïne. On retrouve également dans ce groupe les champignons hallucinogènes, l’ecstasy, le LSD, etc. Pour ces substances, on entre aussi dans une optique de dépénalisation de la fabrication et de la vente sous agrément. Il ne s’agit, donc, pas d’ouvrir complètement le marché, mais d’organiser une filière qui soit contrôlée.
Cette proposition de loi a été écrite il y a environ deux ans. Il est vrai qu’en deux ans le marché des drogues a évolué, puisque, si l’on va sur Internet, on peut trouver des drogues qui ne sont pas répertoriées. Or, pour rédiger cette proposition de loi, nous nous sommes basés sur la liste actuelle de produits illégaux, qui se trouve dans l’arrêté royal d’application de la loi de 1921. Notre idée est qu’il y aurait une liste de substances autorisées à la vente. La liste serait évolutive en fonction du marché, mais l’intention est de se limiter aux produits connus des consommateurs actuels.
Au niveau de la vente, deux groupes de produits : les produits festifs, utilisés plutôt de manière récréative. Ils seraient vendus dans des comptoirs spécialisés de réduction de risques. Il faut amener une réflexion sur la consommation et sur sa gestion via ces comptoirs. Il n’y aurait pas de consommation sur place.
L’idée forte, que ce soit pour ces comptoirs ou pour les dispensaires, c’est d’avoir une attestation de santé. Ce ne serait pas une autorisation de consommer, mais la nécessité de consulter un médecin avant la consommation. Il pourrait non seulement faire un bilan de santé par rapport aux risques liés à la consommation, mais aussi avertir des risques de manière très médicale sur le produit, les surdosages ou les mélanges de produits. On constate ainsi, sur le terrain, que les mélanges entre alcool et d’autres substances sont des pratiques courantes.
L’équipe de ces comptoirs spécialisés comporterait un médecin. Prendre rendez-vous chez son médecin traitant pour lui dire qu’on a l’intention de prendre, dans quelques heures, de l’ecstasy n’est pas une démarche qui va de soi. Disposer de médecins dans les comptoirs spécialisés et dans les dispensaires éviterait l’émergence de médecins spécialisés en attestation de santé et de bénéficier d’un médecin qui soit vraiment versé dans la réduction des risques.
Les produits légaux seraient également étiquetés avec des conseils de réduction de risques beaucoup plus précis, information également rappelée par les travailleurs des comptoirs spécialisés. Ces travailleurs devraient d’ailleurs suivre une formation spécifique.
La preuve de l’achat en comptoir – garder la facture d’achat – devrait être conservée en cas de contrôle.
Pour le troisième groupe, qui concerne les opiacés et la cocaïne, s’agissant de produits, comme l’héroïne, qui peuvent provoquer une dépendance rapide, nous avons opté pour un système de dispensaires. Les consommateurs devraient systématiquement rencontrer le médecin du dispensaire, non pas pour que ce soit rédhibitoire, mais pour un rappel des risques liés à la consommation, et un accompagnement.
La consommation pourrait avoir lieu sur place, mais serait aussi possible à l’extérieur. Pour un certain nombre de consommateurs, les rituels de consommation sont primordiaux. Les usagers, dans les salles de consommation au Luxembourg et en Allemagne, par exemple, viennent y trouver la sécurité. Par contre, d’autres personnes ont des habitudes de consommation, par exemple, dans leur appartement, également de manière sécurisée. Il faut éviter qu’un marché noir ne se développe pour ce type de consommateurs.
La substance serait remise en main propre et il faudrait pouvoir prouver qu’on l’a achetée dans un dispensaire. Ces dispensaires seraient composés d’équipes pluridisciplinaires. Pour le deuxième et le troisième groupe, les usagers devraient avoir dix-huit ans et non seize ans.
La proposition met en place des règles qui évitent que les consommateurs soient poursuivis par la justice ou, en tout cas, répertoriés dans des bases de données. Le secret professionnel et le secret médical s’appliqueraient aux différents comptoirs et dispensaires.
Depuis plus de deux ans, le Centre d’Action laïque organise des enquêtes sur la dépénalisation du cannabis dans des festivals et dans d’autres lieux, notamment aux « Solidarités » à Namur et aux rentrées académiques de l’Université libre de Bruxelles. Les résultats indiquent que globalement quatre-vingts pour cent des personnes interrogées pensent qu’il faut réglementer le cannabis. Les répondants sont, en moyenne, pour cinquante pour cent des non-consommateurs et cinquante pour cent des consommateurs.
Dans le cadre de la campagne d’éducation permanente menée par le Centre d’Action laïque, l’enquête sera étendue dans d’autres lieux, vers un public plus large, ceci pour vérifier si les résultats seront semblables ou non, et ensuite comme méthode d’accroche pour discuter de la question de la régulation du marché du cannabis.
Pourquoi a-t-on axé notre campagne sur l’aspect cannabis de nos propositions ? En cette matière, les choses bougent énormément dans le monde. Il y a en effet de plus en plus d’États qui légifèrent : le Canada tout récemment ; le Mexique en parle ; au Grand-Duché du Luxembourg, nos voisins viennent d’inscrire leur volonté de légiférer en la matière dans leur accord de gouvernement… Or, en Belgique on est confronté à un gouvernement qui va plutôt dans l’autre sens, en marche arrière. Dès lors, il semblait urgent pour le Centre d’Action laïque de relancer le débat.
Informations complémentaires
Auteurs / Invités | Anne Cugnon, Christophe Marchand, Marie-Ange Cornet |
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Thématiques | Assuétudes, Cannabis, Droit / Législation, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses, Questions éthiques, Santé, Santé mentale |
Année | 2018 |