À propos de nos noms de famille

Jean Germain

 

UGS : 2010009 Catégorie : Étiquette :

Description

Au nom du père et du fils…

Le père et le fils, le père puis le fils, le père donc le fils, voilà bien le socle sur lequel réside ce que l’on appelle le « patronyme », étymologiquement le nom du père, un mot un peu galvaudé aujourd’hui, qui est mis à toutes les sauces et parfois de façon impropre.

Le patronyme et donc le système patronymique, reflet de notre société patriarcale occidentale depuis la fameuse loi salique, qui donne tous les droits – mais chaque jour un peu moins, heureusement – aux hommes, aux mâles.

Avec ce paradigme qui revient comme un reflet de ce qui peut paraître, pour l’homme, une frustration physique et morale, celle de ne pas enfanter : « la femme donne la vie, l’homme donne le nom ». Pour combien de temps encore ? Plus pour très longtemps, je pense.

Le nom de famille. Un mot – ou plutôt un syntagme nominal – qui nous paraît éternel, immuable, et qui pourtant n’est âgé que de deux siècles à peine. C’est la Constitution française (puis le Code Napoléon) qui, en 1794 (en 1796 chez nous), a consacré le remplacement de nom de baptême par prénom et de surnom par nom de famille, et qui a aussi interdit d’en changer.

Auparavant on parlait de surnom, d’où l’anglais surname encore souvent utilisé dans des documents officiels ; dans d’autres langues, on dit cognome en italien (comme en latin), appellido en espagnol.

Longtemps, c’est en effet le nom de baptême, le nom individuel, qui a eu la primauté sur le second nom, sur le surnom ; les Anglais l’appellent encore du reste le first name.

Longtemps aussi, ce surnom, ce second nom, a eu une vie empreinte de liberté, changeant parfois au gré des familles, des contextes socio-économiques, des déplacements et des fantaisies orthographiques des scribes et greffiers de l’époque. Même si tous les pouvoirs, laïcs ou religieux, jaloux de leurs prérogatives et de leur contrôle sur les gens, cherchaient à en limiter les effets. Les noms vivaient à l’époque ; pas de carte d’identité, pas de numéro de sécurité sociale ; le nom ne vivait pratiquement que dans son usage oral, comme un électron libre. Il n’était pas rare, encore au XVIIe siècle, de voir la même personne être appelée de façon différente à une ligne d’intervalle, ne fût-ce que sous sa forme wallonne.

Aujourd’hui les noms sont figés, morts, sclérosés ; on s’offusque même d’un accent mal placé, d’une lettre en trop.

Bien sûr, ces surnoms, ces seconds noms, ancêtres de nos noms de famille, ont eu souvent une existence plus tranquille, moins mouvementée que celle que j’évoque de façon un peu lyrique, et l’on estime même que beaucoup d’entre eux ont traversé sept à huit siècles pour arriver jusqu’à nous, pas tout à fait tels quels, moyennant des adaptations phonétiques ou graphiques, et surtout des francisations au fur et à mesure de l’épurement de notre « scripta » régionale (langue écrite) et de notre langue orale. Mais cette frappe wallonne continue à transpirer, par ex. dans des noms de famille comme Charlier (w. tchôrlî), Crahay, etc. ou dans les noms de famille Ledent, Clerdent, Grosdent, toujours masculins comme en latin.

Comment sont nés les noms de famille et surtout comment ont-ils évolué ?

Il me faudrait plusieurs heures pour vous le détailler de façon circonstanciée. En quelques mots, je vais résumer la situation en partant de l’an 1000, date à laquelle naissent parallèlement l’ancien français et l’ancien wallon, dans des contextes similaires, date à laquelle aussi s’efface progressivement le mode de dénomination importé par les Francs, sous les époques mérovingienne, puis carolingienne. Vers l’an 1000 et au XIe siècle, pendant que Roland sonne du cor à Roncevaux et dans la Chanson de Roland, va naître progressivement notre système anthroponymique, boosté par la christianisation de la société médiévale. À une première phase (XIe-XIIe siècles), marquée par le nom unique, le nomen proprium, celui reçu au baptême (généralement les noms des apôtres et des saints), succède une seconde phase (XIIIe-XVe siècles) marquée par la généralisation du second nom, du surnom, attribué à titre individuel d’abord, devenant héréditaire ensuite. Enfin, la troisième phase, du XVIe au XVIIIe siècle, va voir le futur nom de famille se transmettre presque naturellement, du père au fils, de père en fils, parfois même au beau-fils s’il habite sous le même toit, mais aussi se figer de plus en plus dans sa graphie, dans son orthographe (celle-ci consolidée par la tenue des registres paroissiaux). En 1795-1796, la situation se fige et, à l’exception de quelques changements accidentels ou délibérés, plus rien ne bouge.

Où en sommes-nous aujourd’hui en Belgique ? À environ cent quatre-vingt-sept mille noms de famille graphiquement différents, dont un quart au moins ne sont portés que par un seul individu et donc menacés de disparition. Des noms de famille qui relèvent de deux grandes familles linguistiques, celle du français et de ses langues sœurs (le wallon, le picard et le gaumais) d’une part, celle du néerlandais à travers les particularités des parlers traditionnels flamands. En outre, en moindre quantité bien sûr, des noms de famille de langue allemande et luxembourgeoise, des noms juifs, etc. À cela se sont ajoutés, à date plus récente, nombre de noms de famille étrangers, au premier rang desquels les noms de famille italiens. Aujourd’hui, le sang neuf en anthroponymie belge est apporté par les noms africains, maghrébins, asiatiques, etc.

Le dictionnaire s’intitule « Dictionnaire des noms de famille en Wallonie et à Bruxelles » (dans la 1ère édition, on parlait de « Belgique romane »). Qu’est-ce à dire ?

Je ne vous apprendrai rien en vous disant qu’en Belgique, il est difficile de tirer une frontière –  soit-elle linguistique – au cordeau. Les gens voyagent, les gens ne se préoccupent pas des frontières, encore moins autrefois, alors que l’on ne dépendait pas des mêmes pouvoirs, des mêmes princes (pays du Roi, pays de Liège, par ex.).

Songeons notamment aux noms de maints hommes politiques d’hier et d’aujourd’hui. Des hommes et des femmes politiques wallons tels Cools, Onkelinx, Reynders, Van Cauwenberghe ont des noms de famille flamands ; Leterme, Anciaux ont un nom de famille français ou wallon. Le brassage est important, même si statistiquement, les noms de famille flamands sont toujours en Flandre, et les noms de famille wallons en Wallonie. Bruxelles est un microcosme réunissant les deux corpus, parité linguistique oblige.

Comme mon prédécesseur et complice Jules Herbillon, j’ai donc continué à privilégier les noms de famille de facture française ou wallonne, tout en reprenant les noms de famille flamands les plus répandus, et surtout en Wallonie.

Quelle différence avec le dictionnaire de 1996 ? Les indices de fréquence ont disparu puisqu’on peut y avoir accès facilement sur internet, mais beaucoup de noms de famille ont été ajoutés et de nombreuses notices revues et corrigées, en divers sens, des mentions anciennes ont été ajoutées en provenance de nouvelles sources (j’insiste sur l’importance des mentions anciennes, qui ne sont pas mises là uniquement pour nos amis généalogistes). Pour le reste, des améliorations ont été apportées pour rendre plus claires (au lecteur moyen) les explications, les références bibliographiques, les significations des surnoms, la répartition géographique, etc. D’autres « plus » ont été apportés à l’intention des spécialistes et des lexicographes, comme le regroupement assez systématique des dérivés sous le nom simple (Pierlot/Pirlot par rapport à Pierre par exemple) et les références étymologiques aux dictionnaires de langue, le Few particulièrement. Pour cela, j’ai bénéficié de l’aide de quelques personnes et de lecteurs, au rang desquels je mettrai en avant mes collègues Jean Lechanteur, Jean-Marie Pierret et Marcel Hanart. Cela n’empêchera pas la frustration de tous ceux qui espèrent que leur nom prenne dix pages, au détriment des autres noms. Enfin, on se fait plaisir d’abord à soi-même, et la plupart du temps les notices de noms rares ou intéressants sont bien plus longues que les noms figurant dans le top 10, sur lesquels il y a peu à dire. Personnellement, je suis sensible aussi à la poésie des noms de famille ; parmi mes préférés, Delpomdor, Vercheval, Croibien, Brousmiche, Maxheleau, Pissevin…

Je voudrais ajouter — et la chose est d’importance — qu’il faut bien insister sur le fait que ce ne sont pas nos noms de famille d’aujourd’hui qui signifient quelque chose (ce sont de simples étiquettes), mais bien les surnoms au Moyen Âge qui les ont précédés. On confond trop souvent ; ce sont ces surnoms de l’ancêtre éponyme qui ont une signification, avant leur transmission patronymique. Et du point de vue génétique – une vingtaine de générations après parfois – cela ne représente plus rien ; on peut avoir hérité d’un surnom signifiant « avare » et être le plus généreux du monde.

Et j’ajouterai que le sens est très souvent différent de celui d’aujourd’hui ; par ex. coquin avait le sens de « mendiant » aux XIVe et XVe siècles. Un autre exemple : des gens s’appellent Engoulevent ou Goulevent, dès le XIIIe siècle, ce qui n’a rien à voir avec le nom d’oiseau né au XVIIIe siècle. A fortiori, pour les noms qui sont issus d’un toponyme ; le nom Duchêne ou Tilleuil ne signifient pas « fort comme un chêne » ou « majestueux comme un tilleul », mais bien « qui a habité près d’un chêne ou d’un tilleul remarquable ». Il ne faut pas faire de l’etimologia remota comme disent nos collègues Italiens, c’est-à-dire l’étymologie de l’étymologie.

Je dois rappeler aussi que, de tout temps (du moins dans nos pays), on a été dénommé par les autres, on ne se dénomme pas soi-même. Il ne faut pas s’offusquer si on s’appelle Legros, ou Rousseau, surtout qu’il y a eu d’heureuses époques – provisoirement révolues – où être qualifié de gros signifiait « être en bonne santé, avoir de quoi se nourrir ».

Voilà donc ce qu’il me plaisait de vous dire tout simplement, en présentant ce « gros petit » dictionnaire qui cherche à étymologiser les surnoms initiaux et à donner une profondeur historique à nos noms de famille, ceux de Wallonie et de Bruxelles. Ces noms de famille qui nous précèdent avant notre naissance, qui nous accompagnent durant notre parcours ici-bas et surtout qui nous survivent après la mort.

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Informations complémentaires

Année

2010

Auteurs / Invités

Jean Germain

Thématiques

Histoire, Patrimoine, Questions et options philosophiques, politiques, idéologiques ou religieuses